Correspondance de Pol de SURIREY de SAINT REMY 16 décembre 1869 - 6 août 1881


Géryville,   16 Xbre 1869.

Voilà bien une heure , ma bonne mère, que je cherche à mettre ma table d’aplomb, mais c’est en vain, je suis forcé d’y renoncer. J’avais cependant fait niveler mon sol aussi bien que possible, à force de balayer, on a enlevé la terre de sorte qu’il y a autant de trous qu’auparavant. J’avais mis comme tapis une belle peau de mouton, ce sont mes chiens qui s’en sont emparés, il m’est impossible maintenant de m’en servir ; je n’ose pas les laisser coucher sur la terre, il fait très froid. Mon noir n’était même pas encore satisfait, il lui fallait le lit, j’ai eu beaucoup de peine à lui faire perdre cette habitude.
Le temps passe encore assez vite, voilà bientôt deux mois que nous sommes ici, il n’en reste que quatre, ce sera bientôt terminé. Je ne m’ennuie pas trop, la chasse me fait oublier tous les petits désagréments du pays. Nous avons cependant un bien mauvais temps, toujours de l’eau, de la neige, il fait froid : j’ai fait mettre chez moi une chouette porte et je ne sens pas du tout le froid ; le bois ne nous coûtant que la peine d’aller le chercher, il est vrai qu’il y a 14 ou 15 Ktres dans de très mauvais chemins, je ne ménage pas ma provision, j’en ai au moins encore pour un mois. Je suis assez content de mon nouveau chasseur, je regrette toujours l’autre ; il y avait chez lui plus de prévenances, plus de dévouement ; j’ai fait tout ce que j’ai pu pour le faire revenir, je considère maintenant la chose comme impossible. Celui que j’ai est un très honnête garçon, je crois, toujours actif et exact ; c’est lui qui lave mon linge et jamais je n’ai eu pareille blanchisseuse, il fait la lessive dans un vieux baquet qu’il a pris je ne sais trop où, c’est ma foi une économie de 8 ou 10 fcs par mois, il est vrai que je lui allonge un peu ses appointements. Je lui fait faire quelquefois des corvées peu agréables : ainsi par exemple, demain, il partira à 6 heures avec les chiens, ira m’attendre à 15 Ktres d’ici, là je le rejoindrai au trot, il mettra les chevaux à la corde, nous déjeunerons puis je chasserai jusqu’à 3 heures et reviendrai ici. Il n’est jamais seul, c’est d’abord prudent, nous sommes ordinairement trois ; c’est là une de nos grandes distractions, il y a beaucoup de gibier et nous ne sommes jamais revenus sans 20 à30 pièces. Je ne sais si je t’ai dit que j’avais acheté un fusil Lefaucheux, je l’ai payé 200 fcs par petites sommes, j’en suis on ne peut plus content. Je suis devenu d’une adresse assez jolie, je puis le dire sans trop de vanité, presque toujours j’ai été le roi de la chasse.
Je crois que décidément on renonce à une expédition sérieuse ; il en avait été fortement question, on voulait aller raser le Figuig, réunion de villages arabes qui se trouvent tout à fait dans le sud. On craint sans doute les reproches de la chambre, cette expédition nécessitant une colonne de 8 ou 10 mille hommes et des transports très considérables, la dépense se serait au moins élevée à 7 ou 8 millions. Géryville devait former l’avant-garde, c’eut été une très jolie position pour nous. Mais au contraire on va diminuer le nombre de troupes d’ici, ce ne sera plus qu’un poste d’observation. Je le regrette d’autant plus que j’aurais été officier d’ordonnance, on me l’avait fait espérer, et je n’en serais pas revenu sans une récompense quelconque. La destruction de Figuig empêchait toute possibilité d’insurrection de la part des arabes ; les révoltes sont toujours venues de là, ils y sont parfaitement en sûreté et je crois que la position eut été longue à occuper. Nous nous contenterons sans doute, avant notre rentrée à Bel-Abbès, de faire une tournée dans les Ksours, villages qui se trouvent dans les montagnes, on tiendra à nous faire voir.
Je viens d’écrire une lettre de 8 pages à Alix, j’espère qu’elle sera contente. Pourquoi donc, ma bonne mère, m’as-tu caché tes espérances au sujet d’Aline   : il est vrai que mon séjour à Somme Dieu   m’avait été très agréable, j’avais trouvé ma cousine charmante et mon cœur s’en était ressenti. Mais je n’avais jamais voulu en parler, je n’ai même jamais eu aucun espoir. Alix m’en parle dans sa dernière lettre et me demande ce que j’en pense. Non seulement je ne songe pas à Aline, mais encore moins au mariage que je considère comme impossible dans ma position. Pas de fortune, une position peu brillante, un avenir moins brillant encore, quelle est la femme qui voudrait accepter ça ? Du reste, Aline ne veut pas d’un militaire, elle s’est parfaitement prononcée ; quoiqu’à regret, n’y pensons plus .
Je viens de recevoir un faire-part de la mère de M.Cavalier, elle avait au moins 85 ou 86 ans, elle a tenu à être enterrée à Avon ; M. Cavalier est maintenant chanoine à la cathédrale de Meaux.
Ce pauvre Rancourt est toujours aussi triste, il devait bientôt répondre à Fanny, il ne manque jamais dans ses lettres de me parler de vous tous ; il avait eu un moment l’idée de venir camper avec moi ici pendant quelques temps.
Au revoir ma bonne mère, je vous aime et vous embrasse tous les quatre ; soyez tranquille, je ferai en sorte de ne pas être trop paresseux.

Pol

J’ai retrouvé ici à la légion étrangère un capitaine avec lequel j’ai bien joué étant enfant, c’est Maré , qui habitait près de nous à Verdun.
 


Géryville,   28 Xbre 1869.

Ma bonne mère,
Je suis étonné que vous n’ayez pas reçu mes deux lettres, une pour mon frère, l’autre pour toi ; j’espère que ce n’est qu’un retard et qu’elles vous seront parvenues. Le courrier se fait d’une manière assez régulière, le retard ne peut venir que de l’envoi du paquet à Alger, ta dernière lettre m’est arrivée assez vite, je la reçois aujourd’hui.
Je vous envoie à tous mes meilleurs souhaits pour 1870, santé et bonheur, sans oublier Thérèse qui me fait un reproche de ne jamais parler d’elle.
Je commence à trouver le séjour de Géryville un peu monotone, depuis un mois, nous avons un temps bien désagréable, un vent très fort qui fatigue beaucoup et qui ne cesse de temps à autre que pour faire place à la pluie et à la neige. Il fait très froid, nous avons eu jusqu’à 5 degrés au dessous de 0. Nous avons été obligés de suspendre nos chasses, à notre grand regret, c’était notre seul moyen de passer le temps. On prétend qu’ici janvier est toujours très beau, que Dieu le veuille ! car c’est bien ennuyeux de ne pas pouvoir mettre les pieds dehors. Si encore nous avions quelques livres, mais le peu que possède le cercle est bien épuisé.
Il est depuis quelques temps question de quitter Géryville, ou du moins de n’y laisser qu’un simple poste ; nous le désirons de grand cœur sans beaucoup y compter.
Notre nourriture devient assez mauvaise, les bœufs qu’on nous donne, trouvant à peine une nourriture suffisante, sont d’une maigreur épouvantable, la viande est sèche et n’a aucun goût. Nous n’avons pas de légumes, si ce n’est de mauvaises pommes de terre qui se représentent sur la table deux fois par jour. Je n’ai jamais été bien difficile heureusement et je n’en souffre pas beaucoup. Je me trouve aussi bien que possible dans mon petit taudis, j’y ai très chaud, c’est tout ce que je demande.
Nous avons depuis trois mois une quantité de vacances, démissions ou mises en réforme etc… tout cela m’avance beaucoup ; une fois ces vacances remplies, j’aurai le N° 7 ou 8, il serait donc temps de faire quelques démarches, d’autant plus qu’avant l’inspection générale il y aura encore deux ou trois vacances. Je me trompe en disant qu’il faudrait faire quelques démarches, ce serait inutile maintenant, le tableau d’avancement étant fait, il vaut mieux attendre un peu. Fanny pourra cependant en parler au Général. Je ne me rappelle pas si je vous ai annoncé la mort de Mme Cavalier, elle devait être bien vieille ; je crois que nous l’avons vue ensemble à Paris. Peut-être ne recevras-tu pas de faire part, ses fils ignorant ton adresse.
Je doute fort qu’Adolphe  puisse faire quelque chose, il demande une perception, c’est très difficile à obtenir : elles sont généralement réservées pour des officiers en réforme pour blessures ou infirmités, dans tous les cas, s’il commence à 15 ou 18 000 f il devra s’estimer très heureux.
Je comprends que la chère cousine Doyen ne laisse partir Paul   qu’avec peine, elle ne s’en est jamais séparée bien longtemps et les commencements sont pénibles. Paul, m’a-t-on dit, commence à regretter  de ne pas être dans la cavalerie, je le comprends, il y trouverait une grande différence comme bien être et bien peu comme avancement.
Je t’ai dit que j’avais retrouvé ici Maré, c’est ma foi un garçon très comme il faut et avec lequel je suis en très bon rapport. Il a eu un joli avancement, il est de mon age et est capitaine depuis trois ans.
Au revoir ma bonne mère et vous tous mes bons amis, je vous aime et vous embrasse de tout cœur.

Ton fils 
PdeSurirey


 Laghouat  ,  le 7 mars 1872

Ma bonne mère,

Nous voici enfin au bout de notre longue excursion mais destinés à passer encore quelques mois ici. J’aurais cependant espéré qu’après un séjour de cinq mois sous la tente on nous enverrait nous reposer dans une ville un peu confortable. Ici nous sommes dans des baraques plus ou moins bien conservées n’ayant pour tout potage que les quatre murs. Je n’ai plus rien en fait d’effets d’habillement, pas une chaussure à me mettre au pied ; il faut que je fasse venir une partie de ce que j’ai laissé à Milianah.
Je suis fatigué, je l’avoue, mais je me porte très bien : nous avons encore deux mois avant les grandes chaleurs, après cela il sera impossible de mettre le nez dehors dans la journée.
Depuis la fin de Janvier je n’ai pas reçu une seule lettre de vous, pas un seul paquet du régiment.
A la suite de cette colonne j’ai été porté pour chevalier de la légion d’honneur ; j’espère cette fois que la proposition réussira et ce serait d’ici peu de temps.
Le docteur de la colonne a envoyé à l’Illustration plusieurs croquis du pays que nous avons parcouru ; un entre autres représente notre entrée à Ghardaïa, j’ai l’honneur d’y figurer dans la légende comme commandant de la cavalerie . On dirait une entrée dans une ville prise d’assaut ce qui est complètement faux car nous y avons été très bien reçus. Vous pourrez vous procurer ces numéros au bureau du journal, ils ont dû paraître dans la deuxième quinzaine de février.
Le courrier doit arriver ce soir. J’espère y trouver une lettre de La Volve ; tu ne saurais croire, ma bonne mère, combien il m’a été pénible de rester si longtemps sans un mot de vous. J’attends de longues lettres avec la plus grande impatience.
J’ai à travailler toute la journée, mon courrier de service  va être très long. Je suis obligé de vous quitter.
Au revoir ma bonne mère, je vous aime et je vous embrasse de tout cœur.

    Pol de Surirey

 
 Laghouat, le 15 mars 1872

Ma chère Fanny,
Me voici installé pour 6 mois d’une façon à peu près confortable, c’est à dire que j’occupe un gourbis où je suis à peu près à l’abri, excepté lorsqu’il pleut très fort : dans ce cas j’ai le plaisir de recevoir l’eau du ciel comme au dehors. Cependant je fais faire quelques réparation qui je l’espère, rendront ma maison à peu près habitable. J’ai pu me procurer quelques planches et me faire quelques meubles indispensables. J’avoue qu’après une colonne aussi longue que celle que je viens de faire, j’espérais rentrer dans une ville du Tell, mais le commandement en a jugé autrement et je dois, sans murmure, me soumettre à sa décision .
    Nous sommes logés à deux Km de la ville, dans des maisons construites par les troupiers ; le séjour ici en été est fort peu agréable, le thermomètre marque ordinairement de 40 à 45 degrés centigrade. Pour me consoler, le Cdt supérieur, Mr de Langle, un homme charmant, me disait il y a quelques jours : « mon cher il ne faut pas vous désoler, vous êtes dans un pays assez joli, ne vous effrayez pas de la chaleur, nous n’avons eu que 42 degrés l’année dernière, nous avons bien eu quelques jours de sirocco, mais on s’y habitue très vite ». Enfin, j’en ai pris mon parti et pourvu que je puisse aller vous voir cette année ce séjour m’est tout à fait indifférent.
    Depuis mon arrivée ici j’ai eu beaucoup à faire pour remettre mon escadron en ordre et je n’y suis pas encore arrivé.. La gestion d’un escadron en campagne est chose, je ne dirais pas difficile, mais qui demande une surveillance de tous les instants ; je suis responsable d’un  matériel de plus de 1500 francs , je suis responsable de toutes les perceptions en vivres et fourrage, il faut la plus grande attention pour ne pas se fourrer dedans et jusqu’ici je m’en suis tiré très convenablement. Depuis huit jours la correspondance que j’entretiens avec mon colonel, les états que j’ai à fournir et que je suis obligé de vérifier très exactement, n’ayant pas grande confiance dans mon MdL Chef , tout cela me prend une partie de la journée. Aujourd’hui courrier ; j’ai plus de 20 pièces sérieuses à fournir.
    Comme vous mes bons amis, j’ai les maçons et les charpentiers, je fais un peu restaurer mon habitation ; je m’enferme entre quatre murs, il y a ici une quantité de gens plus ou moins voleurs et je ne veux pas me laisser enlever ma caisse.
    Tu sais, ma bonne Fanny, que cette fois encore j’ai été porté pour la croix; je dois dire qu’une déception me serait d’autant plus pénible que je me vois entouré d’une quantité de jeunes gens qui, à mon avis, n’ont pas rendu les services que j’ai pu rendre depuis 17 ans, et cependant portent tous le ruban. Je pense que nos états de proposition seront bientôt à Paris et que la solution ne tardera pas à être connue .
    Je vous assure que j’aime cent fois mieux être confiné dans ce trou infecte, appelé Laghouat, que de me voir en France dans n’importe quelle garnison. Je vois avec peine les mesures prises par la chambre pour refaire notre beau pays ; nos progrès sont bien lents, nous marchons vers l’inconnu, on n’ose pas y songer. Ces belles idées libérales du jour vont nous conduire je ne sais où ! il faut voir les progrès qu’elles font dans la population algérienne, ramassis de toutes les canailles de tous les pays. Tous ces journaux d’Afrique ont des opinions révoltantes , je ne veux plus les lire, ils me mettent dans une fureur bleue.
    J’ai rencontré ici un jeune officier des tirailleurs neveu de Mr Dufour, il se nomme Méran ; nous nous sommes trouvés de suite en pays de connaissance, c’est un garçon fort bien et qui vient de nous quitter malheureusement pour rentrer dans le Tell.
    Figure-toi que sur mes deux montres, pas une ne marche ; je viens d’envoyer celle en or à Alger et je l’attends ces jours-ci. C’est d’autant plus ennuyeux qu’ici il n’y a pas une seule horloge. Depuis quelques jours je vis sans savoir ni le jour ni la date.
    Je suis on ne peut plus content de savoir Thérèse en possession d’une institutrice. Je t’avoue que j’aurais été très peiné de la voir mettre en pension. C’est une éducation qui laisse souvent à désirer.
    J’espère bien ne pas m’ennuyer ici ; pour me donner une occupation, je ferai quelques cours d’histoire de géographie etc…à mes sous-officiers, je leur ferai la théorie, mon temps sera pris et passera très vite.
Au revoir mes bons amis, je vous aime et vous embrasse tous quatre de tout mon cœur .

Ton dévoué frère
P de Surirey


 Schrassig  , 6 septembre 74

Mon cher frère,
Le bonheur rend quelquefois égoïste et fait oublier les amis, aussi vais-je rattraper le temps perdu et vous écrire un peu longuement. Je suis si heureux ici que je vois avec peine approcher le jour de notre départ: plus je connais Victoire   plus je remercie la Providence d'avoir mis sur ma route une femme aussi charmante, aussi dévouée. Vous pourrez bientôt l'apprécier, je l'espère, et vous verrez que nous sommes encore restés en dessous de la vérité. Je ne lui connais encore aucun défaut si ce n'est celui de ne jamais vouloir s'occuper d'elle; tout ce que je lui ai dit de l'Afrique, de ses ennuis, de ses désagréments, du peu de ressources que nous y trouverons, n'a fait qu'augmenter son désir d'y aller. Elle se réjouit beaucoup de ce voyage et surtout du séjour de La Volve. Le père est charmant pour nous deux; c'est un homme d'une droiture et surtout d'une délicatesse parfaites. Le départ de sa fille lui sera bien pénible, je ne vois pas comment il pourra continuer son train de maison, il a un personnel considérable et j'espère pour lui qu'il se décidera à louer.
Nous avons été dans toute la famille qui est très nombreuse et partout nous avons été parfaitement accueillis. Nos journées sont très occupées et passent bien rapidement. Aujourd'hui et demain encore nous aurons du monde, j'aurais cependant bien voulu être un peu avec Victoire que notre départ effraye un peu; elle aurait bien voulu nous garder jusqu'au jour du mariage.
J'ai fait partir jeudi dernier ma demande pour le Ministre  , elle doit être depuis hier à Orléansville et j'ai prié en même temps le Colonel de l'expédier de suite à Paris. Ces formalités sont quelquefois très longues, et j'ai l'intention de prier L. de Mecquenem   d'aller au ministère pour hâter la réponse. Je ne puis pas faire publier les bans avant de l'avoir reçue et ça va nous mener au moins au 20 novembre. Il est bien entendu que le jour même de la noce nous nous mettons en route pour Paris, où nous resterons quelques jours; Victoire ne le connaît pas et je lui montrerai le plus intéressant. Raoul pourra, je pense, nous servir de guide .
Jeudi nous partons pour Arlon où nous coucherons; le surlendemain nous irons au Chesne , chez la cousine Doyen; nous y resterons seulement deux jours et après avoir passé 24 heures à Paris, nous arriverons le 15 au soir. Nous aurons peut-être la chance de trouver le chemin de fer de Ch. R.   en pleine exploitation et éviterons ainsi l'infecte voiture de Bornat.
Depuis huit jours, nos matinées se passent à écrire, et vous savez mon antipathie pour ce genre d'exercice, mais enfin j'ai à peu près terminé, me voilà tranquille pour quelques temps.
J'avais prié L. de Mecquenem de me servir de témoin, j'ai reçu sa réponse hier, il accepte avec grand plaisir; je comptais aussi sur le Colonel de Fenelon , mais lui ne peut pas venir et je prierai Armand d'accompagner le Général.
Il est probable que je demanderai une prolongation d'un mois, ce qui permettrait à Mr de La Fontaine de venir voir sa fille avant son départ pour notre grand voyage. Ce projet sourit beaucoup à Victoire.
Fanny ne dit rien de la santé de Thérèse, nous pensons donc qu'elle est tout à fait bien. Cette séparation, mon cher frère, vous sera bien pénible à tous, et je regretterai bien aussi de ne pas trouver cette chère enfant à La Volve. Elle aurait été l'enfant gâtée de Victoire et nous n'aurons que juste le temps de la voir à notre passage; vous voudrez bien  j'espère, nous la confier pour la journée.
Au revoir, mon cher frère, je vous embrasse tous de tout cœur et serai bien heureux de vous revoir.

Votre tout dévoué frère
P.deSurirey


 Fontainebleau  ,  27 mars 1878

Ma bonne mère,
    Voilà le 9° jour et tout jusqu'à présent va on ne peut mieux; Victoire a un excellent appétit et digère très bien. Elle ne se lèvera pas encore de quelques jours car elle a bien peu de forces et sera longtemps avant d'être complètement remise; cependant elle a bien meilleure mine qu'avant ses couches.  Fanny aura pu vous donner bien des détails; Marc est très sage et ne fait que boire et dormir; le médecin depuis hier lui a augmenté sa ration, ou du moins la qualité, il prend moitié lait et moitié eau. Les deux autres vont toujours bien et sont très raisonnables.
    Je suis persuadé qu'un mois de la Volve fera le plus grand bien à Victoire et je pense bien qu'elle pourra se mettre en route vers le 15 mai. Quoique Pierre  parle souvent de Grand mère il est probable qu'il fera comme pour Fanny et dira: "bonjour Madame." Il a très bien accepté son petit frère et veut le voir à tous les instants.
    Demande à Fanny ce qu'elle a payé pour la voiture: aussitôt son départ j'ai été au bureau de l'omnibus et on m'a dit que le conducteur ne devait lui demander que le prix ordinaire, 0f50. j'ai bien regretté de ne pas avoir été l'accompagner car le cocher a dû aller bon train et sans doute elle aura eu peur. Le lendemain matin j'ai été mettre les arbres au chemin de fer et l'employé m'a assuré qu'ils arriveraient le même jour; je les avais abrités pour la nuit et j'espère qu'ils n'auront pas souffert de la gelée. C'est à 25 ou 30 centimètres au dessus de la greffe que Fanny doit couper ses(illisible).
    Victoire me charge de dire à Fanny et Alix combien elle regrette que leur séjour n'ait pas été plus long; elle se réjouit beaucoup de son voyage à la Volve. Je ferai peut-être encore cette année la tournée des chevaux qui aura lieu justement pendant l'absence de Victoire.
    Au revoir ma bonne mère nous vous embrassons toutes les trois de tout cœur
   
Ton bien dévoué fils
Pol


 Bône  , 16  avril 81

Ma chère Alix,
J’aurais désiré t’annoncer moi-même mon départ pour l’Afrique, mais j’ai été si bousculé que je n’ai pas eu le temps.
Parti le 10 de Vesoul   , nous arrivions le 11 à 4 heures du soir et embarquions de suite sur l’Algésiras. Nous passions la journée du 12 à Toulon sans pouvoir débarquer et attendant à chaque instant l’ordre de départ ; ce n’est que le 13 à 11 h ½ du matin que le bateau se mettait en marche et nous débarquait hier à 6 heures du soir , après une traversée magnifique.
Demain nous partons pour Souk-Arhas où nous arriverons dans trois jours : nous allons nous réunir 13 escadrons pour opérer contre les tribus de la Tunisie et leur infliger le châtiment qu’elles méritent. Tout le monde est plein d’entrain. Je suis enchanté de mes hommes.
Il fait déjà pas mal chaud et j’ai été si occupé toute la journée au soleil que je suis à la tête d’une migraine charmante et que je n’y vois plus.
Tu dois comprendre tout le chagrin de Victoire ; moi-même je n’ai pas quitté sans une grande émotion toute cette petite famille. Dieu veuille que cette séparation ne soit pas longue !
Au revoir, chère amie, je te quitte pour me mettre sur mon lit. Je t’embrasse de tout cœur ainsi que Fanny et Thérèse.

Ton dévoué frère et ami .
Pol


 Camp de Fernana, 6 mai 81

Ma chère Alix,
Nous nous reposons aujourd’hui et c’est fort heureux car il fait un temps de chien ; à chaque instant cette nuit je croyais voir ma tente s’envoler, aussi étais-je couché tout habillé. Je crois que nous attendons ici une autre colonne qui s’est engagée dans les montagnes et avance avec beaucoup de peine.
Depuis notre affaire du 30 avril, nous n’avons pas eu un coup de fusil à tirer ; les tribus qui nous environnent ont fait leur soumission. Il en est toujours ainsi lorsqu’elles se trouvent en présence d’une force réelle, pour recommencer le pillage quand la colonne disparaît. Je crains que cette expédition ne traîne très longtemps ; nous ne recevons pas les journaux et ne savons ce qu’on en dit en France. Je n’ai encore reçu qu’une lettre de Victoire, datée du 24 dans laquelle elle m’annonce son départ pour Schrassig. Son père m’a écrit aussi une lettre très aimable et très affectueuse. Je serai très heureux quand je la saurai installée et débarrassée de ce déménagement   qui est toujours une opération fatigante.
Nous sommes tous furieux de ce nouveau changement de garnison après 6 mois de séjour dans une ville où nous comptions rester quelques années ; c’est un peu trop jouer avec notre bourre et un ministre devrait regarder à deux fois avant de faire une pareille sottise. C’est fait pour nous dégoûter du métier à tout jamais.

Dimanche 8 mai.
J’ai été interrompu hier par une fausse alerte qui nous a tenu longtemps en éveil ; nous allons rester quelques jours ici sans doute.
Ce matin, l’aumônier a dit la messe au milieu du camp ; tous les officiers de cavalerie s’étaient donnés rendez-vous. Il est défendu à l’aumônier de dire son office ou plutôt de prévenir de l’heure, d’en faire en un mot une chose publique ; c’est pour ainsi dire en cachette qu’il doit officier.
Nous sommes très heureux de l’avoir avec nous et notre intention est de l’avoir un de ces jours à notre table ; c’est un homme charmant et qui était à Alger secrétaire de l’évêque.
Je n’ai pas encore aujourd’hui de lettre de Victoire, c’est à n’y rien comprendre. J’ai heureusement reçu une lettre du docteur qui est resté à Vesoul et qui me donne de longs détails sur le déménagement de Victoire dont il a bien voulu se charger. Je sais aussi que tous vont très bien et que les enfants sont enchantés d’aller chez bon papa pipe.
Il paraît que notre garnison de Valence n’est pas définitive, ce ne serait qu’une étape pour nous rapprocher de l’Algérie. J’avoue que cette supposition ne m’enchanterait nullement et me forcerait à me faire prendre ma retraite provisoirement, c’est à dire à me faire mettre en non activité pour me faire replacer dans un régiment de France.
Je crois que notre rôle est à peu près terminé, l’ennemi s’étant retranché dans un pays trop difficile pour la cavalerie ; nous allons probablement marcher sur Béja et ensuite Tunis. L’Intendance n’est pas plus forte qu’en 70 et trouve le moyen de ne pas nous donner du pain qu’elle remplace par le biscuit et cela à proximité d’un chemin de fer.
Ce qui peut le plus t’intéresser, c’est que je me porte très bien ; il ne fait pas trop chaud, nous avons eu beaucoup de pluie, ce qui est plus à craindre que la chaleur.
Au revoir, ma chère Alix, je vous embrasse toutes trois de tout cœur et pense bien à vous.
Ton dévoué frère et ami.

Pol
 

 Colonne Expéditionnaire de Tunisie,   30 mai 1881

Ma chère Fanny
    Je ne reçois de lettres ni de Victoire ni de vous et je crois bien que mes lettres ne parviennent pas non plus : un de nos courriers a été enlevé le 19 et je devais y avoir des lettres.
    L’expédition est loin d’être terminée comme le prétendent les journaux : on va au contraire en commencer une entre Bizerte et Tabarka et celle-ci très sérieuse mais de peu de durée. Ensuite nous aurons l’occupation et l’indemnité à faire rentrer et je crains que tout cela va prendre longtemps. Il est probable que plusieurs régiments rentreront en France, Dieu veuille que nous soyons du nombre. Le rôle de la cavalerie, de notre côté est terminé, nous ne faisons que nous promener le long de la ligne de chemin de fer pour assurer les approvisionnements : nous campons au milieu d’une plaine bien cultivée mais sans le moindre brin de bois et avec de l’eau très mauvaise.
    Depuis hier je suis détaché avec une division de mon escadron pour appuyer le goum (cavaliers  arabes) et le commander : cette mission me donne une grande liberté. Je suis toujours en avant et me place où je veux. Aussi je t’écris sous un magnifique caroubier qui a plusieurs siècles d’existence et ce matin pour la première fois nous avons pu déjeuner à l’ombre.
    Il ne fait pas encore très chaud ; cependant vers midi nous avons un coup de soleil que je ne vous souhaite pas. Nous avons eu beaucoup d’eau, nous avions de la boue jusqu’aux genoux et cela pendant près de 15 jours de suite. Nous n’avons heureusement pas de malades et pour mon compte je vais très bien et prends beaucoup de précautions. Grâce au chemin de fer, nous avons de Tunis tout ce que nous voulons, à des prix très exagérés, c’est vrai, mais que nous sommes obligés d’accepter. Recevez-vous mes lettres ? je serais désolé qu’il en fût autrement ; la dernière de Victoire est du 14, je l’ai eue avant hier, c’est désolant.
    Au revoir, chère Fanny, je vous embrasse toutes les trois de tout cœur.
Ton dévoué frère et ami
    Pol

J’ai toujours oublié de vous dire qu’il n’était pas besoin d’affranchir mes lettres : il faut mettre sur l’adresse Colonne Expre de Tunisie  Loi du 20 mai 71


 Colonne Expéditionnaire de Tunisie,      4 juin 1881

Ma chère Fanny,
    Nous avons enfin quitté cette plaine infecte que nous avons parcourue dans tous les sens et où les fièvres n’auront pas tardé à se déclarer : nous voici dans la montagne au milieu des bois d’où jaillissent de tous côtés des sources excellentes. Le camp est installé près des ruines d’une ville romaine dans une charmante situation ; il y a de l’air et la chaleur est très supportable.
    Aujourd’hui nous faisons séjour : j’avoue que je ne comprends pas bien le rôle que nous jouons et notre utilité dans un pays qui nous voit peut-être d’un meilleur œil  qu’ils (sic) ne voient les soldats du Bey quand ils viennent chercher l’impôt. Nous sommes cependant au milieu des tribus auxquelles nous avons infligé le 30 avril une sérieuse leçon  ; c’est la meilleure façon de soumettre l’arabe qui ne reconnaît que la force ;
    Nous n’avons aucune nouvelle des autres colonnes et ne savons rien de l’expédition si ce n’est que tout le monde attend la fin avec impatience car il n’y a rien à faire et surtout pas de gloire à récolter.
    Je n’ai toujours pas eu de vos nouvelles depuis votre lettre du 14 : la dernière de Victoire est du 19. Pierre y avait mis toute une page de son invention, sa mère ayant voulu lui laisser la liberté de ses idées ; recevez-vous au moins  les miennes ? Je vous écris tous les 5 ou 6 jours.
    Je vais toujours très bien et n’ai eu encore aucune indisposition : le temps s’est remis au beau mais nous avons eu des orages d’une violence extrême, comme on n’a aucune idée en France. Grâce à ces fortes pluies la chaleur a été très modérée et nous n’avons pas un seul malade.
    Je vous disais dans ma dernière lettre que j’avais le commandement des cavaliers du goum ce qui me laisse une grande liberté d’action et surtout la faculté de choisir un bon campement car tous les jours je suis aux avant-postes .
    Au revoir ma chère Fanny je vous embrasse toutes les trois de tout cœur et pense bien à vous .

    Ton dévoué frère et ami
    P de Surirey


 Oued-Meliz, 6 juin 81

Ma chère Alix,
Je reçois à l’instant un petit mot de Mr Rupp  avec le flacon de pillules de quinquina ; ce qui me fait le plus de plaisir c’est de savoir que ma lettre vous est arrivée. Je te remercie bien vivement de ton envoi dont je vais me servir dès aujourd’hui.
Ne m’adresse pas tes lettres à Souk-El-Arba, nous n’y sommes plus depuis longtemps et ne restons jamais plus de deux jours à la même place ; mets tout simplement sur l’adresse, Expédition de Tunisie, brigade Gaume.
Nous touchons enfin au bout de l’expédition, dans un mois au plus tard nous serons rentrés et il est grand temps pour l’infanterie qui a une quantité considérable de malades. La cavalerie jusqu’ici a été très favorisée et a très peu d’indisponibles, je n’en ai que trois à l’escadron.
Je suis toujours avec mon Goum, campé à 2 kilomètres du régiment, ne sachant nullement ce qui se passe car je n’ai pas vu un journal depuis plus de 15 jours. Nous allons être autorisés à aller à Tunis par petits groupes de 3 ou 4 officiers ; Mr Bourtan a obtenu pour nous moitié place et peut-être me déciderai-je à y aller. Ce qui est ennuyeux c’est que les trains sont très incommodes et qu’il faut coucher ; cependant nous ne sommes qu’à 160 kes et nous en avons été bien plus près. On ne veut faire occuper le pays que par des troupes déjà habituées au climat et les Turcos et Zouaves auront cet honneur. Un colonel de chasseurs a demandé à rester avec ses trois escadrons et j’espère que s’il faut de la cavalerie sa demande sera acceptée.
Je t’écris au bruit d’un coup de tonnerre énorme et d’une pluie battante qui frappe avec fureur sur ma mince toile et me fait craindre à chaque instant de la voir s’envoler. Le climat du pays est bien différent de celui de l’Algérie ; il pleut très souvent, tandis qu’en Algérie , une fois le mois de mai, la pluie est inconnue jusqu’en octobre ou novembre. Avant hier nous étions campés dans un endroit ravissant, dans de hautes montagnes très boisées et d’où sortent à chaque pas des sources d’une eau très bonne. Il y a là des arbres plus gros que ceux de la forêt de Fontainebleau ; aussi trouve-t-on à chaque pas des ruines de villas romaines.
A 2 kes d’ici, nous avons les restes d’une très grande ville, située dans un endroit assez joli ; la moitié des arènes est encore debout ainsi que quelques maisons et un aqueduc qui amenait les eaux à la partie haute de la ville. Je n’ai pu en savoir le nom car on a eu soin de ne nous donner comme cartes que celles du pays où les colonnes n’ont pas eu à aller. Il est vrai que le pays des Kroumirs, compris entre la province de Constantine à l’O., la mer au N. Bizerte, Béja à l’E., la vallée de la Medjerdha au S., était tout à fait inconnu ; la seule partie explorée est la vallée de la Medjerdha jusqu’au bas des montagnes.
Somme toute, aucune colonne n’aura eu une aussi jolie affaire que celle du 11° hussards le 30 avril ; nous avons fait une marche extraordinaire dans les montagnes et on considère que cette affaire a eu un très grand résultat, celui de terrifier la population qui était prête à se soulever et d’amener le lendemain même la soumission d’un très grand nombre de tribus hostiles.
J’ai eu il y a trois jours des nouvelles de Victoire qui allait très bien et venait d’avoir des détails sur Valence qui me font beaucoup regretter Vesoul. Je pense cependant pouvoir m’y installer à peu près et pouvoir bientôt faire revenir toute la famille qui me manque tant. Et puis il est temps de rentrer car je n’ai bientôt plus ni culotte ni dolman et malgré la chaleur je trouve ces vêtements indispensables.
Au revoir ma chère Alix, je vous aime et vous embrasse de tout cœur.

Ton dévoué frère et ami.
Pol


 Oued-Méliz, 9 juin 81

Ma chère Alix,
Le Colonel vient de me faire appeler pour me dire que le ministre venait de faire demander des états supplémentaires de proposition pour l’avancement ; je suis porté avec des notes parfaites mais il faudrait pour réussir un appui très sérieux. Mme de Nouville ne connaitrait-elle  pas une personne très influente ? C’est une question très importante et d’où dépend toute ma carrière ; j’aurais été quand même porté à l’Inspection Générale, mais sans aucune chance d’être maintenu. Une proposition spéciale, au contraire, quand elle est bien appuyée, a toutes les chances de réussir.
Vois donc, ma chère amie ce qu’il y a à faire.
J’ai reçu hier ta lettre et celle de Fanny du 1er Juin.
Adieu, je vais monter à cheval et n’ai que le temps de vous embrasser de tout cœur.

Ton frère et ami dévoué.
Pol


 Mateur, 9 juin

Ma chère Alix,
Je viens de recevoir la lettre de Fanny du 29 ; elle me dit que je dois connaître les démarches que tu as faites et qu’elle espère que ce sera une consolation au chagrin de Victoire de ne pas me voir revenir. Si tu m’as écrit, ta lettre ne m’est pas parvenue ; quelque soit le résultat de tes démarches, je t’en remercie bien sincèrement.
Une autre lettre de Victoire me dit : « quand Alix m’a annoncé ce que son voyage lui avait appris, j’en ai été aussi malheureuse que de ta lettre qui m’annonçait que tu ne rentrais pas etc… » j’avoue ne pas comprendre ce que cela veut dire et j’attends ta réponse avec grande impatience. Qu’as-tu donc appris de si mauvais ? Sans doute que ma proposition n’aboutirait pas : j’avoue que je n’y ai jamais compté très sérieusement pour me faire nommer de suite, mais j’ai toujours pensé qu ‘elle me donnerait une chance de plus pour me faire maintenir sur le tableau l’année prochaine.
Notre Colonel vient d’être nommé Général, à mon grand regret ; malgré ses défauts, il était très bon au fond et je n’oublierai pas ce qu’il a voulu faire pour moi.
Mon beau-père n’a pas encore reçu la réponse de son ami Vellecour qui devait voir le ministre ; je te la communiquerai dès que je l’aurai.
Notre installation marche bien lentement ; sans outils, sans matériaux, nous sommes obligés de nous construire des baraques pour nous mettre à l’abri d’un soleil qui, dès 5 heures du matin nous chasse de nos tentes ; dans la journée, la chaleur y est telle qu’il est impossible d’y rester une seconde sans être en nage. Nous avons un grand gourbis pour manger, c’est là ou au cercle que je passe mes journées. Presque tous ces M.M. recevant des journaux les portent au cercle, c’est la seule lecture que nous ayons, aussi tout le monde se jette dessus avec avidité.
J’ai beaucoup de malades parmi mes hommes, qui n’ont aucun abri encore, une mauvaise nourriture, et couchent sur la terre ; ils subissent tous l’acclimatement, mais ce ne sont que des indispositions légères qu’un purgatif fait disparaître. Jusqu’ici je n’ai rien eu, je prends beaucoup de précautions, j’évite le soleil et j’espère arriver au bout sans avarie. Dans huit jours, ma maison sera terminée, je fais faire des murs très épais ainsi que la toiture et , une fois installé, je n’en bougerai pas de la journée.
Je crains que notre occupation ne dure plus longtemps qu’on nous le fait espérer ; s’il en était ainsi et que l’occupation soit permanente, je chercherai à permuter au printemps prochain. Je ne puis le faire avant que le classement ne soit fait pour qu’on ne puisse pas me reprocher d’avoir fui l’Afrique .
Victoire a mieux supporté que je ne l’espérais la nouvelle de mon séjour ici ; elle me dit qu’elle a très bonne mine et qu’elle mange très bien. Les enfants ne sont pas toujours très commodes et Pierre s’est un peu ralenti dans sa bonne volonté pour le travail ; aussi vais-je lui envoyer un sermon, mon premier lui ayant fait beaucoup d’effet.
Mme de Blarer est dans une position intéressante, mais elle a des malaises atroces qui lui font supporter difficilement cet état ; elle va venir à Luxembourg pendant que son mari ira aux grandes manœuvres .
Au revoir ma chère Alix, je vous embrasse toutes les trois de tout cœur.

Ton dévoué frère et ami.
Pol

Nos courriers vont être très réguliers maintenant et partiront 3 fois par semaine.


 Mateur, 20 juin 81

Ma chère Alix,
Ce que je craignais depuis longtemps et que je n’osais pas vous avouer est arrivé ; nous faisons partie du corps d’occupation, jusqu’au mois d’octobre, époque à laquelle nous serons remplacés par le 7° Chasseurs et rentrerons en France. Le coup est dur, je tâche de le supporter , espérant que ma mise sur le tableau d’avancement de cette année sera la récompense de ce séjour. Victoire n’en sait rien encore, je n’ose lui annoncer.
As-tu reçu ma dernière lettre te parlant de ma proposition spéciale pour chef d’Escon ? Armand ne pourrait-il rien faire ? Mon beau-père a dû écrire à un ami du Gal Farre. J’attends de vos nouvelles avec impatience.
Nous sommes près d’une ville arabe qui offre quelques ressources ; le pays est sain, l’eau très bonne, mais pas un arbre et pas le moindre ombrage. J’ai 50 degrés sous ma tente et des centaines de mouches qui s’acharnent sur ma figure et mes mains ;je vais tâcher de mettre tout le monde à l’abri en faisant construire des gourbis. Ce sera long mais indispensable.
Les officiers vont chercher en ville un local où l’on créera un espèce de cercle d’où je pourrai vous écrire ;ici c’est impossible, les mouches feraient damner un saint.
Au revoir, je vous embrasse de tout cœur.

Ton dévoué frère et ami,
Pol
à Mateur Tunisie


 Mateur, 29 juin 1881

Ma chère Fanny,
    J’ai reçu hier ta lettre du 15 juin, jusqu’à présent le courrier se faisait très irrégulièrement et je suis certain que plusieurs de mes lettres ont été égarées car je vous assure que je n’ai jamais passé huit jours sans vous écrire ; nous venons d’installer avec Bizerte une correspondance  qui partira 3 fois par semaine, c’est par là qu’il faudra m’adresser vos lettres, à Mateur par Bizerte.
    Nous sommes campés  à 500 mètres de la ville sur un rocher pelé, sans un arbre, sans la moindre végétation et tandis que les vaincus se consolent dans des maisons bien closes et fraîches, les vainqueurs se rôtissent la figure au soleil et avalent pas mal de poussière. Nous faisons construire des maisons, travail qui marche avec une telle lenteur , faute d'outils, de bois, que je ne vois pas que le travail soit terminé avant notre départ. On ne s’occupe pas plus de nous que si nous n’existions pas et je me demande comment mes hommes vont passer ces trois mois. Pour nous qui sommes dans de meilleures conditions nous pourrons supporter ces fatigues ; nos tentes sont assez bonnes et puis nous avons installé un cercle dans la ville où je passe mes journées. J’ai sous ma tente, à midi, 45 à 50 degrés et des centaines de mouches qui m’agacent et feraient damner un saint. Si seulement ce séjour pouvait me rapporter quelque chose ; tout le monde me fait espérer qu’on en tiendra compte et que je serai maintenu cette année pour chef d’escadrons. Vous aurez sans doute reçu ma lettre qui parlait de ma proposition , à la suite de la colonne ; je priais Alix de me faire appuyer si possible. Je pense que mon beau-père s’en sera aussi occupé , car son ami de Vellecour est un camarade du ministre : pourvu que mes lettres ne soient pas égarées.
    En même temps que ta lettre j’en ai reçu deux de Victoire ; elle doit savoir maintenant que je ne rentrerai que dans trois mois et je crains que cette nouvelle va lui faire beaucoup de mal. Sa dernière lettre me parlait de ma rentrée prochaine, elle faisait des projets pour notre installation à Valence, pour son voyage, pensant que je pourrais aller la chercher.  J’avoue que moi aussi je comptais bien ne pas rester car enfin nous étions ici depuis le commencement tandis que d’autres régiments n’y étaient que depuis  un mois et n’ont jamais rien fait.
    Les enfants allaient très bien , Pierre continue ses leçons et fait des progrès ; j’espère qu’il sera bientôt en état de m’écrire.
    Je n’ai bientôt  plus aucun effet à me mettre sur le dos ; j’en ai laissé une partie à Bône et je ne sais comment les faire venir. Si seulement j’avais mon fusil ! il y a ici beaucoup de gibier et hier nous avons tiré à balles avec nos fusils d’ordonnance 6 cochons sauvages qui tiennent beaucoup du sanglier  mais n’ont pas les défenses aussi fortes. Pour le moment je me contente de la pêche à la ligne ; il y a une quantité de poissons qui ne sont malheureusement pas très bons mais font un peu varier notre nourriture . j’ai toujours assez bon appétit mais je reproche à notre cuisinier de faire toujours la même chose et on a tant besoin de plats variés et appétissants. Nous trouvons à peu près ce que nous voulons, excepté des légumes, mais tout cela à des prix fabuleux : comme partout le soldat est exploité par cette maudite race de Juifs qu’on retrouve partout.
    Vous ne me reconnaîtriez certainement pas dans ma tenue  journalière, je porte toute la barbe, le chapeau indien et une immense ombrelle dont le dessous est vert, grâce à ce bizarre accoutrement  je n’ai rien à craindre du soleil qui, s’il nous a ménagé pendant les premiers temps de notre séjour, nous envoie maintenant sur la boule ses plus chauds rayons. Heureusement nous ne sommes qu’à 30 ou 35 Km de la mer et la brise se fait sentir vers 10 heures du matin. de ma tente qui reste ouverte toute la nuit je contemple la comète  et ce beau ciel d’Afrique que j’aimerais bien voir  un peu plus couvert de nuages, car on en est à désirer un peu de pluie. De mes 5 officiers je suis encore celui dont le moral est le moins affecté ; ce pauvre Carayon  me fait de la peine, gémit toujours et je suis obligé de temps en temps de remonter la machine. La vie est souvent une rude épreuve qu’il faut savoir supporter avec courage et cette qualité ne me manquera jamais.
    J’ai été très heureux de la décision de Mère Annonciade, on sait au moins à quoi s’en tenir : elle a bien fait d’acheter un piano et je lui recommande de s’en servir  souvent, c’est une grande distraction et plus tard elle verra combien c’est utile.
    Au revoir ma chère Fanny écrivez-moi souvent.
    Je vous embrasse de tout cœur
tous mes compliments à Mme de Nouville

Ton dévoué frère et ami
    Pol


 Mateur, 14 juillet 1881

Ma chère Fanny,
C’est seulement hier que j’ai reçu les deux lettres d’Alix du 24 et 25 : je ne comprends pas qu’elles aient été si longtemps en route , car les courriers sont maintenant très réguliers. Tu comprends avec quelle impatience je les attendais ; je n’ai jamais eu beaucoup l’espoir d’être nommé de suite mais j’espère que cette proposition sera une chance de plus pour être maintenu cette année sur le tableau. Ce serait au moins une compensation à cette pénible séparation.
Notre situation ne s’est pas beaucoup améliorée, on semble nous oublier un peu et toutes nos demandes restent sans réponse. Le gouvernement est sans doute très  préoccupé des événements d’Algérie et de Sfax  ; c’est bien de sa faute s’il s’est mis dans ce pétrin et  je ne crois pas qu’il s’en sorte si facilement. Je crains que toutes ces insurrections ne nous obligent à garder le pays plus longtemps. Ici tout est tranquille, il ne faudrait cependant pas s’aventurer seul trop loin.
Alix me demande ce que sont des gourbis ! pour les officiers ce sont à peu près des maisons, pour les hommes ce sont des abris en pierre , couverts avec des branchages . Tous mes hommes sont transformés en maçons, couvreurs, charpentiers etc…Malgré ce nombre d’ouvriers tout marche très lentement à cause du manque d’outils. Tu comprendras combien ça doit être long quand tu sauras ce qu’il y a à faire : il faut d’abord choisir un talus le plus raide possible, le faire creuser en carré et enfin maçonner et couvrir . Comme nous sommes sur le rocher, au bout de quelques coups de pioche on trouve la pierre et nous n’avons que cet instrument pour l’extraire. Il est vrai que ces pierres vous servent à votre construction et que vous les avez sous la main. Puis encore il faut faire du mortier et pour cela aller chercher de l’eau à 1 Km. Pour mon compte je suis peu avancé et je ne crois pas pouvoir habiter une maison avant 8 jours. Tout cela vous revient encore assez cher, je dépasserai presque 100 francs avec les fenêtres, portes, table etc… : pour comble, l’état nous retient une partie de notre indemnité de logement sous prétexte que nous n’en avons pas à payer.
Dans le jour la tente n’est plus habitable et dès 5 heures du matin il faut déguerpir. Aussi, aussitôt le déjeuner vais-je m’installer au cercle et ne reviens au camp que vers 5 heures . Notre cercle est bien installé, dans une grande maison arabe très fraîche et où on peut dormir sur des nattes.
Notre première occupation, en arrivant ici, a été la construction d’une grande baraque en pierre, couverte de branches , et qui nous sert pour nos repas : mais il y a toujours beaucoup de mouches à cause des provisions de bouche que nous ne pouvons mettre autre part.
J’ai reçu les effets que j’avais laissés à Bône et dont je commençais à avoir grand besoin. J’ai adopté, comme tous les autres officiers, le chapeau cochinchinois et l’ombrelle grise : c’est on ne peut plus commode et on est très bien garanti des coups de soleil .
Le dernier courrier ne m’a pas apporté de lettre de Victoire ; l’avant dernier je recevais une lettre de Pierre qui a fait réellement de grands progrès. Les idées sont de lui, la mère guidait un peu la main. Comme toute cette petite famille me manque ! et dire qu’il faut encore en être séparé deux mois 1/2 et peut-être plus !
J’espère que Thérèse s’occupe beaucoup de son piano, qui doit être parfait ; elle doit y trouver une grande joie et surtout une grande différence de sons.
J’ai écrit à Alix par le dernier courrier pour la remercier de toutes les démarches. Ces chaleurs ne lui donnent-elles pas la migraine?

Au revoir ma chère Fanny, je vous embrasse de tout cœur.
Tout à toi.


 Mateur, 18 juillet 81

Ma chère Alix,
Le courrier d’hier m’a apporté vos trois lettres et une de Victoire ; c’est une bonne aubaine qui me fait passer une bonne journée et paraître le temps moins long.
Il y a une chose que je ne comprends pas dans ta lettre ; tu me dis : « tout aurait été emporté si tu avais figuré au nombre des proposés, mais tu n’y étais pas . » Veux-tu  parler d’une proposition antérieure ou bien le Colonel m’aurait-il trompé en me disant qu’il portait de Laumont et moi sur l’état de proposition demandé à la suite de la campagne. Je ne crois pas le Colonel assez faux et si je figurais sur son état, qui aurait pu arrêter ma proposition ? Je tiens à éclaircir le fait.
Je ne connais pas encore les nominations, si ce n’est celle de Laumont ; je crois en effet que le ministre ne prendra que parmi les officiers déjà maintenu au tableau, mais il pourrait se faire (on me l’a assuré) qu’il maintienne les propositions spéciales à la gauche du tableau et c’était mon seul espoir. Quoiqu’il en soit, je pense qu’on me tiendra compte de cette campagne et que j’aurai une chance de plus cette année.
Je n’ai besoin de rien et te remercie vivement de ton offre ; à part mon gourbis, quelques vêtements de toile, je n’ai rien à dépenser et je me trouve encore à la tête de 500 francs. Nous avons une indemnité de 2 F 50 par jour qui suffit largement à tous nos besoins ; notre pension nous revient au plus à 150 francs par mois et nous y avons café et thé à discrétion.
L’état sanitaire n’est pas aussi satisfaisant que le disent les journaux officiels ; sur 125 hommes, j’en ai 8 à l’ambulance et 12 à 15 malades tous les jours. Ce ne sont pas des maladies sérieuses, c’est la suite des fatigues que ces hommes ont eu à supporter et la grande chaleur contre laquelle ils ne peuvent que difficilement s’abriter. J’ai défendu tout espèce de travail de 10 heures à 3.  Sans cela les hommes sont si pressés de terminer leurs gourbis qu’ils travailleraient en plein midi. Ils sont mieux nourris qu’en France, ils ont 4 jours sur 5 un peu de vin ; c’est souvent le manque de précautions, l’oubli des prescriptions qu’on leur recommande tous les jours qui sont la cause de leur maladie. J’ai observé que dans tous les pays chauds, où l’estomac se fatigue très vite, il faut de temps à autre prendre un vomitif pour se débarrasser de la bile que la chaleur fait développer outre mesure. Ce système me réussit très bien et je l’ai déjà employée deux fois depuis l’expédition.
La chose la plus désagréable ici est sans contre-dit la poussière qui pénètre partout ; j’ai beau faire battre ma literie tous les jours, c’est toujours la même odeur de terre. Je crois qu’une fois installé dans ma maison je pourrai m’en préserver un peu mieux ; je pourrai m’y installer à la fin de la semaine, ce qui m’évitera d’aller tous les jours au cercle, après le déjeuner, pour faire la sieste et chercher un peu de fraîcheur.
Ne mets plus sur mon adresse, brigade Gaume, seulement Mateur par Bizerte.
Afin d’empêcher les hommes de s’ennuyer, le Commt  supérieur a décidé que tous les 15 jours il y aurait pour eux des courses, des jeux d’adresse, suivis de prix en argent ; chaque officier donne une petite cotisation de 1 ou 2 francs. L’idée est très bonne et aura certainement du succès.
Nous venons d’écrire à Bizerte pour tâcher d’avoir, les jours de courrier, un peu de poisson de mer : la ville est très renommée pour ses poissons qu’elle glace et envoie dans toutes les parties du monde. Ce serait un petit changement dans notre nourriture qu’il est assez difficile de varier. Petit à petit nous finirons par avoir un peu de confortable ; ceux qui sont dans la province d’Oran sont bien plus à plaindre que nous, il faut donc ne pas trop crier.
Au revoir, ma chère Alix, je vous embrasse toutes les trois de tout cœur.

Ton dévoué frère et ami.
Pol

J’ai fait partir par le dernier courrier une longue lettre pour Mr Rupp.


 Mateur,  25 juillet  (1881)

Ma chère Alix,
J’ai reçu ta lettre du 16 vendredi dernier et j’accorde un bn point au service de la poste qui se fait maintenant assez régulièrement.
Tu as raison de dire qu’il faut se confier entièrement à la divine Providence et savoir être résigné à ses décrets ; quoiqu’ils soient bien durs, la résignation et le courage ne me manqueront pas. Je vais toujours très bien et grâce à cela, j’ai conservé ma bonne humeur et mon énergie, deux choses dont j’ai grand besoin pour relever un peu le moral de ma troupe, un peu affecté par la perte de deux de leur camarades enlevés en très peu de temps par la fièvre. Un d’eux est encore très mal et je crains un nouveau décès. Cependant, depuis deux jours que la température a un peu baisser et qu’un fort vent de mer vient nous permettre de respirer, le nombre des malades a beaucoup diminué. J’en ai eu jusqu’à 20 par jour ; il en est toujours ainsi avec de jeunes troupes non acclimatées et il n’y a pas lieu de s’effrayer. Tous ces hommes ont été très fatigués par les premières chaleurs et on a beau leur faire toutes les recommandations nécessaires, ils se figurent toujours qu’on veut les tracasser et n’en tiennent aucun compte.
Le Colonel n’a pas voulu quitter le régiment sans nous faire ses adieux et il est venu passer une journée avec nous ; j’en ai profité pour lui parler très sérieusement de ma proposition. Il m’a assuré que je figurais sur sa liste et que si j’avais été rayé c’était par le Général qui n’a pas voulu en voir deux par régiment. Laumont étant nommé au 11° Cuirassiers, à Niort, je reste avec le N°1 du régiment ; le Colonel avait déjà envoyé tout le travail au dépôt dont l’Inspection doit être terminée. C’est le Général Carteret qui a passé l’Inspection ; c’est donc à lui qu’il faudrait s’adresser pour qu’il me donne, dans son arrondissement d’inspection, un numéro qui me permette d’être présenté à la commission de classement. Une fois assuré de ses bonnes intentions à mon égard, il faudra attendre la réunion de la commission pour agir. Les Gaux Inspecteurs remettent leur travail au Ministre dans le courant de décembre et je crois qu’il serait mieux de tâter le terrain auparavant.
Le Gal Gaume m’a proposé pour la croix du Nicham , faible récompense dont je serai peu fier mais qui a des chances de réussir.
J’ai de bonnes nouvelles de victoire et je la prie aujourd’hui de faire faire la photographie des enfants que je tiens beaucoup à avoir. Son père semble toujours de bonne humeur, je lui ai écrit une longue lettre pour le remercier d’abriter si longtemps toute ma petite famille et j’ai tâché de le prendre par l’amour propre.
Le Gal Logerot qui vient de prendre le commdt des troupes de Tunisie trouve que les points occupés sont mal choisis : son intention serait d’occuper fortement Carthage et peut-être aurions nous chance d’aller le rejoindre. Nous serions beaucoup mieux sous tous les rapports et j’abandonnerais volontiers ma maison dans laquelle je vais pouvoir bientôt m’installer : il ne reste plus qu’à couvrir et tout sèche si vite qu’au bout de 24 heures on peut habiter la maison sans craindre d’essuyer les plâtres.
C’est demain que la machine à glace, cadeau du Lt Didier, va nous arriver, nous pourrons au moins boire frais, ce qui ne m’est pas arrivé depuis longtemps. C’est un petit appareil très commode  qui peut donner de la glace et permet de rafraîchir toute sorte de boisson ; la dépense est nulle, le sel d’ammoniaque dont on se sert pouvant durer éternellement, il suffit de faire évaporer au soleil l’eau qu’il contient .
Je comprends que ta chambre soit chaude la nuit, tu devrais coucher dans la petite chambre verte. Ici les soirées sont bonnes et les nuits assez fraîches ; je suis très bien sous la tente et y  dors jusqu’à cinq heures ; mais lorsque le soleil se lève, il faut déguerpir.
Au revoir, ma chère Alix, je vous embrasse toutes les trois de tout cœur. Dis à Thérèse que je lui écrirai par le prochain courrier.

Ton dévoué frère et ami
Pol


 Mateur, 6 août 1881

Ma chère Fanny,
J’ai reçu hier ta lettre contenant des timbres et je t’en remercie ; ici il m’était impossible de m’en procurer et Victoire payait mes lettres 10 sous.
Je suis tout à fait installé dans ma petite maison où je me trouve très bien : après trois mois de séjour sous la tente où j’avais à peine la possibilité de m’habiller, mon habitation me semble délicieuse. Il y fait très bon dans la journée, en fermant tout je n’ai pas une seule mouche et puis faire la sieste tout à mon aise. Aujourd’hui par exemple je me suis reposé pendant trois heures : je m’étais levé à 3 heures du matin pour aller à la chasse. Nous avons fait une assez jolie battue. J’ai tué ma douzaine de perdreaux ce qui est très joli pour ce pays où il y en a très peu. A 7 heures ½ nous étions de retour au camp. Ces parties ne sont pas fatigantes. C’est la seule bonne distraction que nous ayons et j’en profite le plus souvent possible.
Mon voyage à Bizerte a été contre-mandé, à mon grand regret ; j’aurais été très content de changer un peu d’air et de prendre un bon bain de mer.
Depuis huit jours nous avons une température excellente, mais un vent très fort ce qui nous amène des nuages de poussière. Je passe mon temps à épousseter ma table qui est toujours aussi sale. Le vent ne se lève que vers 10 ou 11 heures et tombe vers 7 heures du soir ; nous dînons toujours dehors, les soirées sont bien agréables.
Depuis que je suis dans ma maison, je me suis adjoint un bon camarade, c’est une charmante petite chienne qui a 6 mois, caressante et commence à chasser. C’est en outre une excellente gardienne qui ne laisse entrer personne et comme au commencement du mois j’ai toujours beaucoup d’argent pou