Correspondance de Pol de SURIREY de SAINT REMY décembre 1865 - décembre 1868


Saumur le 7 Xbre 1865

Ma bonne mère,

Je crois que c’est à toi que je dois adresser ma lettre aujourd’hui, c’est ton tour, il me semble ; dans tous les cas j’espère que mon frère ne m’en voudra pas et je lui promets la première. Vous ne me dites rien de ma photographie, ne l’auriez-vous pas reçue, je n’ai pas encore eu le temps d’aller poser en tenue de manège, la tenue est assez originale ; le chapeau, surtout, nous fait ressembler à un employé des pompes funèbres et je tiens à vous en envoyer un exemplaire.
Mr de Vaugiraud a écrit ce matin à mon capitaine commandant, Mr Loth; celui-ci m’a fait appeler ce matin et ne me connaissant pas, parce que je n’ai pas de rapports avec lui, il avait demandé des renseignements à notre capitaine de cours qui lui a répondu : « je suis on ne peut plus content du jeune Surirey, jusqu’à présent il est dans toutes les conditions pour sortir avec le N°1, mais il a cinq ou six concurrents terribles, et s’il me fallait actuellement les classer , je ne saurais à qui donner le premier N°. Il est à regretter que ce jeune homme n’ait jamais fait un cours ici. ». J’espère , du reste, que Mr Loth répondra à Mr de Vaugiraud et que vous apprendrez aussi ces bons résultats par Mr de Blangy. Le capitaine ce matin a été fort aimable pour moi, m’a donné quelques bons conseils, m’engageant à m’adresser à lui si j’avais besoin de quelque chose.
Tu vois, ma bonne mère, que je fais mon possible pour arriver ; il ne faut pas cependant chanter victoire, mais ce dont je suis sûr c’est d’être bien classé. Il me faudrait une bonne recommandation auprès du Colonel ou du Général, ce sont les meilleures notes.
Je n’ai pas pu répondre à mon oncle, j’aurai un moment ce soir et je le ferai. Je vais aller faire une visite à Mr Léaux que je n’ai pas vu depuis longtemps.
J’ai reçu il y a quelques jours une lettre du jeune Rancourt : il paraît que tout est arrangé, la corbeille est achetée et que le mariage aura lieu le 9 janvier . Il va sans dire que je suis invité, on compte beaucoup sur moi, mais j’y renonce d’avance. J’obtiendrais bien une permission de quatre jours, mais ça m’en ferait perdre 15 et je n’en ai pas de trop.
Je ne suis pas du tout étonné que le jeune Goudenhove perde un peu la tête ; il paraît qu’il est dans l’enchantement ; tant mieux pour lui car c’est un très bon garçon et jamais Mlle de Rancourt ne pourrait trouver mieux : elle pêche un peu par le physique et tout le monde ne serait pas du goût de Goudenhove.
Je vous remercie bien tous de penser à moi de temps en temps ; vos lettres me font tant de plaisir et vous faites bien de ne pas compter avec moi. J’ai reçu ce matin une longue lettre de Fanny qui me parle beaucoup de Thérèse que je reverrai certainement avec grand plaisir ; Je suis curieux de savoir si elle me reconnaîtra dans ma belle tenue de manège que je ne sais pas encore quand je pourrai envoyer ; car je  prends la semaine  dimanche et je ne pourrai pas sortir d’ici huit jours .
Vous êtes bien heureux d’avoir du beau temps ; ici il ne fait que pleuvoir, nous sommes toujours mouillés et puis le petit vent de la Loire se fait sentir d’une manière assez désagréable ; et je vous assure que de temps en temps un peu de feu n’est pas de trop. Je retarde le plus possible pour mettre mes chemises de flanelle, mais je vais y être bientôt forcé .
Comment va mon frère ? Fanny ne m’en parle pas; j’espère que sa santé est toujours bonne. Ses occupations de jardinage doivent être terminées ; les fleurs sont parties, c’est à peine si on voit quelques malheureuses feuilles qui jouissent de leur reste.
Je vais toujours comme le pont neuf, ce régime ne m’est pas défavorable et je vois avec plaisir que, malgré la prédiction de Fanny, je ne deviendrai jamais trop massif. Il est vrai que la nourriture de notre cantine serait, je crois, un bon remède contre l’embonpoint.
Au revoir ma bonne mère, je vous embrasse tous et vous aime.

P.deSurirey


 Saumur le 31 Xbre 1865

Ma bonne mère,

Ma lettre sera aujourd’hui pour vous tous et vous porte mes meilleurs vœux pour 1866 ; peu s’en est fallu que je n’aille vous embrasser aujourd’hui, nous avons deux jours de congé et beaucoup de sous-officiers en ont profité pour aller dans leur famille. C’eût été pour moi un grand bonheur mais j’ai reculé devant la longueur du voyage et la dépense, et je t’assure que c’est une grande privation .
Hier je me suis couché très tard et j’ai mis toute ma correspondance à jour : mon oncle, mon parrain, Mr de Blangy, Mr Cavalier et quelques camarades du régiment, je n’ai oublié personne. C’est bien mal à moi d’avoir terminé par vous, mais je voulais vous écrire un peu plus longuement.
Cette après-midi j’ai fait plusieurs visites ; je n’ai pas trouvé Mr Léaux, je ne sais pas s’il est encore dans sa famille, il avait eu une permission de huit jours. J’ai trouvé ici un capitaine de mon régiment qui m’a reçu on ne peut mieux et que je pourrai voir souvent. J’ai déposé une carte chez le Sous-Préfet qui reçoit rarement et est peu à Saumur. Demain il me restera Mr Loth  et Souin  avec qui je dîne samedi. C’est un piocheur et je suis sûr qu’il réussira.
Nous avons eu composition mercredi dernier et je crois m’en être bien tiré. Mais on a trouvé qu’elles étaient toutes trop bien et nous avons encore mercredi prochain examen oral. Je ne sais ma foi pas ce qu’on veut nous demander : bientôt on nous demandera le baccalauréat, et cependant je crois que l’instruction pèse peu dans la balance pour notre classement de fin d’année.
Tu auras peut-être, ma bonne mère, reçu une circulaire du Général, car on m’a demandé ton adresse ; j’ignore ce qu’elle contient mais on croit généralement qu’elle prie les parents de veiller aux dettes de leurs enfants. Tu peux être rassurée sur mon compte, je ne dois pas un sou. C’est une des plus mauvaises notes auprès du Général et je ne veux pas qu’il ait quoique ce soit à me reprocher.
Nous venons de perdre au régiment notre commandant de Joigny, celui qui a été si bon pour moi ; il vient d’être nommé Lt Colonel. Je le regrette beaucoup, car il aurait pu m’être utile auprès du Colonel, il avait assez d’influence et était écouté volontiers. Nous perdrons aussi peut-être notre Colonel dans le courant de l’année et quoiqu’il ne ce soit pas beaucoup occupé de nous, il m’a fait beaucoup de bien. C’est toujours fort ennuyeux de changer : on ne sait plus à qui on a affaire, le service n’est plus le même. Heureusement que j’espère bien ne plus rester longtemps une fois ma sortie d’ici.
Voilà donc mon cher beau-frère en route pour la noce : je suis très content qu’il se soit décidé à y aller, je suis sûr qu’il ne s’ennuiera pas. Il faut avouer que ce mariage s’est renoué très drôlement et il faut que Mr de Goudenhove soit réellement bien épris de sa future. Après cela, la jeune personne, quoique pêchant un peu par le physique, est bien élevée et je crois qu’ils feront bon ménage, c’est ce que je leur souhaite de tout mon cœur. J’ai écrit au frère pour le remercier de son aimable invitation que je regrette beaucoup. On doit être en grand remue-ménage à Mimérand et je compte sur Fanny pour me donner de grands détails, je lui fais grâce des toilettes, mais je tiens à savoir quelle figure feront les mariés. Je penserai bien à eux ce jour là et boirai à leur santé.
Je viens de recevoir une longue lettre d’Alix et je vais lui répondre ce soir pour la remercier de ses étrennes. Je ne compte pas avec elle, je sais qu’elle est très occupée ; elle paraît assez contente de sa santé et surtout de sa présentation au prince . Elle me dit que mon frère a voulu que ma montre fût un souvenir de lui, remercie le bien de ma part, ce que je ferai du reste  lorsque je lui répondrai.
J’ai enfin enfilé mes chemises de flanelle depuis quelques temps et c’est sans doute pour cela que le beau temps est revenu : nous avons déjà de fortes gelées et quand nous descendions de cheval j’étais fort heureux de trouver un peu de feu. Nous brûlons à peu près par mois, 9 francs de bois chacun, mais nous avons toujours assez bon feu, surtout le soir. C’est une dépense que je fais très volontiers et que je ne regrette pas ; j’en suis quitte pour moins aller au café et je m’en trouve pas plus mal pour cela.
Au revoir ma bonne mère, je vous aime et vous embrasse de tout cœur et souhaite bon amusement aux voyageurs.

P. de Surirey

L’oncle Pol pense aussi souvent à Thérèse et voudrait bien l’avoir près de lui pour le distraire de temps en temps quand il est de mauvaise humeur.


 Saumur, le 8  février 1866

Ma bonne mère,

J'ai de bonnes nouvelles à vous annoncer et je veux vous les transmettre de suite.
Ce matin, j'ai reçu une lettre de Mr de Blangy qui me dit que son fils  a écrit à mon capitaine de cours et m'a recommandé très chaudement. Nous sommes sous les ordres immédiats de ce capitaine ; c'est lui qui nous donne les notes de théorie, de conduite,  travail, tenue etc…On le dit très influent et comme le classement est basé sur les notes qu'il nous donne, c'est la meilleure recommandation que l'on puisse avoir.
Deuxième bonne nouvelle, tu sais que j'avais le N°4 sur le tableau d'avancement, le N°1 est nommé et on me dit ce matin que j'ai monté sur le dos du N°3, ce qui me donne par conséquent 2.  Mr de Lapisse me disait que tant que je ne serais pas dans les trois premiers il ne pouvait rien faire; m'y voici maintenant, rien ne l'arrête plus. Voici ce que je compte faire: nous avons encore 9 places vacantes, nous en aurons probablement une pour les sous-officiers, au mois de mars. J'attendrai les nominations du 15 août et dans les commencements de ce mois j'irai à Paris faire une visite à Mr de Lapisse: ma présence ferait plus d'effet qu'une lettre. D'ici là je verrai et je vais continuer mon petit train.
C'est une erreur de croire que les nominations sont faites par ordre de numéros; j'en vois tous les jours qui passent avec 6, 7 et même 8; il suffit d'une protection un peu influente qui arrive à point.
Dans tous les cas, ma bonne mère, me voici dans de bonnes conditions; comme je serais heureux si je pouvais, à ma sortie aller te porter mon épaulette de sous-lieutenant. Je suis bien sûr que mon cher frère en sauterait de joie.
Figurez-vous que malgré ma mauvaise jambe , je fais des progrès magnifiques en voltige; je ne désespère pas un jour d'aller remplacer le fameux danseur qui traversait les chutes du Niagara. J'ai pris un peu moins de dégoût depuis quelques temps pour ce genre d'exercice et je crois que ma jambe s'en trouve fort bien car je n'en ai jamais souffert.
J'ai oublié de vous parler aussi du fameux sauteur, autre exercice, peu amusant. C'est un cheval placé entre deux piliers et que l'on fait sauter avec force coups de fouet et de cravache. Dans les commencements nous en avions un qui sautait très gentiment et sur lequel on tenait bien; mais il y a quelques  jours, j'étais le premier à prendre et j'en vois arriver un nouveau que je n'avais jamais vu. C'était le fameux Pharaon, connu dans toute l'armée: à peine j'étais dessus que d'un bond à désarçonner Jupiter lui même, il me fit passer par dessus les oreilles et j'allai retomber sur la partie la moins sensible de mon individu. Vexé d'avoir été le premier jeté à bas, je voulus y remonter mais l'officier ne voulut pas en me disant que si j'étais le premier je ne serais pas le dernier; en effet, tous ceux qui vinrent après moi firent à peu près le même trajet. Heureusement que les accidents sont impossibles, sans cela on serait bientôt dégoûté de cet exercice que je crois fort inutile. Son but est de donner au cavalier de l'aplomb et de l'assurance, mais je crois qu'il est tout à fait manqué avec ce cheval sur lequel on est sûr de ne pouvoir rester.
En revanche, nous avons de fameux chevaux pour le manège et c'est un exercice que j'aime beaucoup et qui m'intéresse au dernier point.
Je vous avais parlé des examens pour le mois de mars, c'est seulement pour le 15 avril. Nous aurons un carrousel et des courses pour le mois de juillet, je crois, mais la partie difficile est laissée aux officiers et du reste, ils ont les chevaux les mieux dressés de l'école. Quel malheur que vous ne puissiez y venir, ce sera fort beau et Thérèse eût été bien contente. Comment va-t-elle, j'espère bien que son rhume est passé avec ce beau temps. Quel bel hiver, un soleil de printemps.
Le carnaval est bien triste ici et Saumur offre peu d'amusement aux élèves; on vient de construire un théâtre magnifique et on nous en fait espérer l'ouverture pour le 15 avril; c'est une distraction un peu moins monotone que le café où je m'ennuie maintenant à mort.
Au revoir ma bonne mère, je t'aime et t'embrasse de tout cœur, et n'oublie personne de la Volve. J'écrirai à mon frère la semaine prochaine.

P. de Surirey


 Saumur, le 18 avril 1866

Ma bonne mère,

Nous attendons toujours les examens avec impatience, on ne sait encore rien; c'est très ennuyeux d'être toujours sur le qui vive. Ces examens une fois passés nous serons peut-être plus occupés mais nous ne reviendrons plus sur les commencements qui sont toujours les plus ennuyeux. Et puis le travail deviendra plus intéressant.
Grâces à dieu, ma bonne mère, il ne m'est rien arrivé jusqu'à présent et j'espère bien que le plus fort est fait. Cette vie active me convient toujours beaucoup et je ne m'en porte pas plus mal.
Nous allons bientôt commencer les exercices du carrousel qui a lieu vers le mois d'août, ainsi que l'entraînement pour les courses; mais comme j'ai un cheval très commun et qui aurait peu de chances d'arriver dans de bonnes conditions, je me dispenserai de ce dernier exercice qui cependant est assez amusant.
Mr Léau va dans quelques jours aller dans sa famille et j'espère que vous le verrez. Ce pauvre homme n'est pas heureux, sa nomination de Chef d'escadrons se fait attendre et je crains bien que le mois d'août ne lui apporte rien de nouveau.
Je regrette bien que mon oncle ne puisse aller vous voir; du reste, je pensais bien qu'il ne pourrait pas mettre sa promesse à exécution tant que sa femme sera là. Quant à son invitation pour toi, je trouve le voyage un peu long et fatigant. Je ne sais si le père Faucheur  a ma photograpkie, j'en ai encore une ou deux et je suis persuadé qu'il en serait très content.
Je viens de recevoir une lettre de Louise de Pouilly  qui me parle d'un enfant qu'elle voudrait faire entrer ici comme élève trompette; elle me dit qu'elle t'avait prié de m'en parler et me demande les moyens qu'il faut employer; malheureusement elle ne réussira pas, je le crains, et je vais lui écrire aujourd'hui pour lui dire que c'est presqu'impossible. Elle me parle de mon ami Rancourt qu'elle a trouvé charmant et du meilleur monde. Louis avait été très souffrant mais va tout à fait bien maintenant.
J'ai conservé les lettres de mon frère, comme toutes les vôtres du reste, et je les relis de temps en temps.
Mon régiment a dû quitter Paris le 15, mais je n'en ai aucune nouvelle: je leur ai écrit quelquefois et Rancourt ne m'a répondu qu'une seule fois et je tiendrais à savoir ce qui s'y passe et à être au courant des places qui peuvent se présenter. Non pas que j'espère pour le mois d'août, nous avons si peu de chances qu'il faut encore patienter. Il paraît certain que nous serons inspectés à Saumur par Mr de Goyon  et je voudrais pouvoir lui être recommandé.
Je ne sais pas si je vous ai dis que j'avais eu le N°1 pour les compositions, on me l'a répété encore et je finirai par le croire: ce serait une bien excellente note qui me fera beaucoup de bien.
Au revoir ma bonne mère, je vous aime et vous embrasse de tout cœur.

P.deSurirey


 Saumur, le 28 mai 1866

Ma bonne mère,

Toute ma journée d'hier s'est passée en visite: on m'avait parlé du premier classement dont on citait les 13 premiers: mon nom n'y figurait pas et j'en avais été fort vexé. J'ai voulu savoir à quoi m'en tenir, car parmi ces 13 j'en voyais beaucoup qui devaient être derrière moi, malgré leurs protections, et je ne pouvais pas me figurer  que la partialité eût une aussi large part. Hier donc je me mis en campagne et je commençais par Mr Loth, à qui je suis recommandé par Mr de Blangy et sur lequel je comptais le plus: ne l'ayant pas trouvé, je me rejetai sur un ancien capitaine de mon régiment qui est écuyer ici et qui me remonta un peu en m'assurant que j'étais classé dans les très bons et que ce classement dont je lui parlais était complètement faux.
Je ne comprends pas du tout qu'on cache le résultat des examens car enfin ceux qui auraient un mauvais numéro chercheraient à le rattraper tandis que les premiers chercheraient à le maintenir et l'émulation serait beaucoup plus grande.
Notre travail devient un peu plus sérieux mais aussi plus fatigant: nous sommes à cheval presque toute la matinée; nous avons de plus la voltige, la salle d'armes, le carrousel etc… heureusement que dans la journée nous n'avons que deux heures de travail et par conséquent le temps de préparer nos cours.
Un officier de mon régiment vient d'être nommé écuyer à l'école: c'est un garçon fort gentil et qui sera pour moi une grande ressource.  J'ai été lui faire ma première visite hier, il m'a déjà invité à dîner mercredi et veut que j'y aille toutes les semaines. Il mange naturellement avec les officiers de l'école et je pourrai me faire connaître davantage.
Le remplaçant de Mr  Jouve est très bien disposé pour moi, c'est un homme très distingué et qui nous fera faire un cours excellent.
Que je suis donc content , ma bonne mère, de la lettre de Mr de Goyon ; quand il veut se charger de quelqu'un il fait beaucoup, mais il tient à ce que son protégé soit réellement méritant. C'est lui qui assiste aux examens de sortie, qui classe d'après les notes qu'il prend et celles qu'on lui donne; il est assez sévère sur ses interrogations aussi je veux me mettre en état de lui répondre très convenablement et il sera ainsi plus libre pour faire quelque chose pour moi.
Vous devez me traiter de paresseux, car voilà déjà longtemps que je n'ai écris, mais c'est que tout en ayant beaucoup de temps à moi, j'ai beaucoup à faire si je veux me maintenir à hauteur et nous nous levons si bon matin que dans la journée j'ai besoin d'un peu de repos. Nous avons eu toutes ces journées un vent affreux, assez froid, j'avais comme mon frère attrapé un mal de gorge qui heureusement n'a rien été et je pense qu'il se sera passé de même chez lui.
J'ai eu une longue lettre d'Alix qui ne me parle pas de sa santé; elle attend son voyage avec impatience et compte sur les bains pour la remettre complètement. Je vais lui répondre demain longuement.
Au revoir ma bonne mère, je vous aime et vous embrasse de tout cœur.

P.deSurirey

Bientôt plus que 4 mois et je serai avec vous, je trouve le temps un peu long.


 Saumur, le 24 juin 1866

Ma bonne mère,

Je prends ce matin un service peu agréable, il faut que je me promène de 6 heures à 9 heures du soir sur les bords de la Loire pour empêcher les hommes de se baigner. Cette promenade, quoique très agréable le matin, cesse de l'être dans la journée; l'ombre est assez rare et il fait une chaleur étouffante depuis quelques jours. J'emporte quelques livres sous le bras et vais tâcher de trouver un arbre quelconque qui me mette à l'abri. Je regrette de ne pas être amateur de la pêche à la ligne, c'eût été un moyen très bon de passer le temps.
Figure-toi, ma bonne mère, qu'on nous fait monter à cheval de midi à 1 heure pour le dressage: ce sont de jeunes chevaux avec lesquels il faut se battre un peu, c'est une sorte de bain de vapeur, quand je reviens dans ma chambre, je suis trempé jusqu'aux os. Je t'assure que nos journées sont bien employées et en voilà pour jusqu'à la fin de l'année. Il est vrai que ce n'est pas un travail désagréable, il est plutôt fatiguant. Du reste je ne m'en trouve pas mal du tout et, pour en avoir la preuve, il faut me voir à table où je m'acquitte fort bien de mes fonctions. Nos réclamations contre la cantinière ont eu enfin un petit résultat: depuis quelques temps, nous sommes beaucoup mieux et j'espère que ça va continuer.
Nous attendons, moi surtout, Mr Jouve avec impatience: je suis enchanté qu'il aille vous voir; c'est un excellent homme, très bon pour nous. Je crois que le séjour de Saumur ne lui convient pas beaucoup: le Général et surtout le Colonel qui assiste toujours à notre travail sont bien ennuyeux et notre cher capitaine n'aime pas à être tracassé comme ils le font. Il faut être très dur pour venir à l'école et ce ne sera jamais son caractère.
Voilà encore que nous allons changer de professeur d'hippologie et d'équitation, ça sera la quatrième fois. Tu dois comprendre combien c'est ennuyeux pour nous; tous ces messieurs n'ont pas la même manière d'instruire et ce qui est bien avec l'un est mal avec l'autre. Ils sont tellement jaloux les uns des autres qu'ils ne trouvent jamais bien ce qu'ont fait leurs camarades. Ainsi lorsque notre premier professeur est parti, nous dressions de jeunes chevaux depuis quelques temps , avec lesquels nous faisions tous les mouvements possibles; son successeur, à peine arrivé, nous a fait recommencer tout, prétendant que nous ne faisions rien de bon, que nos chevaux étaient fort mal dressés etc… Il a même été jusqu'à en parler au Général qui a fait des reproches assez sévères au premier, aussi sommes nous restés deux mois de plus à  ce malheureux dressage. Nous aurons l'inspection au mois d'août: à ce moment là, Mr de Goyon nous voit à peine et ne peut rien faire pour moi. Ce n'est qu'au mois d'octobre qu'il revient ici pour faire le classement. Je crois que beaucoup lui seront recommandés et je suis enchanté d'être l'un des premiers. Il est vrai que quelquefois toutes ces recommandations ne sont pas d'un grand effet, mais je compte beaucoup sur la mienne. J'espère que mon Colonel me maintiendra sur le tableau d'avancement avec les mêmes avantages quoiqu'absent; mais je ne crains pas beaucoup de ce côté, car il était très bien disposé pour moi et comme il reçoit de Saumur des notes tous les deux ou trois mois, il doit en être très content.
Que c'est donc malheureux pour la famille Rancourt que de voir leur fille dans cette position; je n'ai pas de nouvelle de son frère depuis longtemps, il est peut-être encore dans les Ardennes. Goudenhove a bien trompé son monde et, à le voir, il eût été bien difficile de deviner son caractère. Le frère m'a parlé dans sa dernière lettre de son premier voyage dans les Ardennes et il n'en avait pas l'air très content; il ne m'a rien dit du ménage et je me garde bien de lui en parler le premier.
Avez-vous des nouvelles d'Alix? j'en attends depuis un mois. Nous n'avons pas l'air de vouloir nous mêler de toutes ces affaires avec l'Allemagne  et j'espère que son voyage pourra s'effectuer.
Au revoir ma bonne mère, je vous aime et vous embrasse de tout cœur sans oublier Thérèse qu'il me tarde bien de revoir.

Pol deSurirey


 Provins , le 14 novembre 1866

Ma bonne mère,

Ne vous inquiétez pas de moi, je ne rentrerai que samedi: le Colonel était parti dimanche soir et ne revient que demain; il fera la nomination samedi matin. Je suis logé chez Rancourt, je mange au quartier, j'ai tellement d'invitations que je ne sais si je pourrai répondre à toutes.
Hier, j'ai fait presque toutes mes visites: le major qui a remplacé celui qui est parti m'a reçu à bras ouverts, il a connu notre bon père en 1844 à Verdun et a paru enchanté de me voir. Tous les officiers sont pour ma nomination et la regardent comme une chose faite.
J'ai vu Mr  Deroys qui m'a reçu très bien et qui m'a invité à déjeuner vendredi. Nous devons faire de bonnes parties à ma rentrée.
Au revoir ma bonne mère, je vous embrasse de tout cœur.

P.deSurirey

Rancourt me charge de vous présenter ses respects, il est toujours bien triste.


 Provins, le 27 novembre 1866

Ma bonne mère,

Me voici enfin installé comme il faut, au coin d'un feu que la Volve ne dédaignerait pas, et chez moi. Je me carre dans un magnifique fauteuil, du genre de celui qui est au coin de la cheminée du salon et que j'aime tant. Mon ameublement est simple, mais avec le concours de Rancourt, j'ai si bien su tirer parti de ma petite chambre que je m'y plais beaucoup. Ce n'est pas celle que j'espérais avoir, elle n'a pas de cheminée, mais un joli poêle, genre de cheminée à la prussienne et qui ne donne pas une trop grande chaleur. Si tu veux me suivre un moment, je vais te faire faire une petite promenade autour de ma chambre, ce ne sera pas bien long. En entrant, une petite antichambre qui me sert pour mettre mon bois et mes malles d'un côté, mes effets à un porte manteaux de l'autre. Dans le coin à droite, se trouve la porte de mes appartements. A gauche en entrant, le lit, avec des rideaux, ma table de nuit, puis ma commode surmontée d'une grande glace et des petites aquarelles de Fanny qui font très bon effet; toujours en suivant, au coin la table de toilette, la fenêtre qui partage la chambre en deux, puis le poêle dans l'angle et enfin mon fauteuil et mon bureau, au-dessus duquel se trouve un trophée magnifique, composé d'armes, de cannes, de portraits etc… Rancourt couche tout près, mais dans un autre bâtiment, ce qui ne nous empêche pas de nous voir continuellement.
J'ai droit à un peu de bois qui, joint à des mottes et quelques souches que j'ai achetées, me suffisent grandement, je n'aurai pas 4 francs de bois par mois à acheter. Le cheval que j'espérais avoir a été pris par un officier, Mr de Naut, et je ne suis pas encore monté. Il y a quelques chevaux à la remonte, je vais en choisir, mais sans me presser. C'est une chose assez difficile et à laquelle il faut faire grande attention; je ne craindrais pas d'essayer plusieurs chevaux et alors, quand mon choix sera fait, je demanderai au Colonel.
Je ne suis pas non plus tout à fait équipé, notre maître tailleur est un paresseux et, j'ai beau lui dire qu'à mesure qu'un effet sera fait je lui solderai, il ne va pas plus vite pour cela. Je suis toute la journée sur son dos et, à force de l'ennuyer, j'obtiendrai peut--être ce qu'il me faut.
J'ai toujours le même cavalier pour ordonnance, mais je ne pourrai pas le garder parce qu'il est employé à la salle d'armes; ce pauvre garçon voudrait bien rester avec moi, il était si content de me voir adjudant  ! Il est on ne peut plus soigneux, ma chambre est faite tous les matins, après déjeuner, et tout est épousseté, il n'y a pas un grain de poussière; j'aurai bien de la peine à retrouver pareil.
Toutes mes visites  sont faites, j'en ai fait 11 le même jour et partout j'ai été reçu parfaitement: ma nomination a fait plaisir à tout le monde et même à mes concurrents. Nous avons une pension excellente et où je ne craindrai pas d'inviter n'importe qui. Je serai bien heureux si Mr de Blangy, qui vient à la fin du mois, voulait venir déjeuner.
Les trois autres adjudants sont des garçons convenables et très bien élevés .
Je prends la semaine dimanche prochain et demanderai une permission de 15 jours après; je partirai dimanche après le rapport et arriverai le même jour à la Volve.
Provins est peu gai et il fait si mauvais qu'on ne peut mettre les pieds dehors. J'ai vu Deroys, mon ancien camarade de collège et nous devons faire quelques parties. Il va souvent à Bazoches pour chasser et je l'accompagnerai, sans fusil bien entendu. Sa femme est bien et a été très aimable.
Nous avons une vacance  au régiment, un officier vient de donner sa démission, mais aussi nous avons reçu un officier de l'école. Il y aura peut-être encore une autre place, mais on n'est pas sûr, celle-là reviendrait de droit au tour des sous-officiers. Ce pauvre Rancourt compte tellement bien passer au mois de janvier qu'une déception lui ferait beaucoup de peine. Il est bien entendu que je ne lui ai pas parlé de mes espérances, il pourrait en profiter pour faire des démarches plus sérieuses. Je crois qu'il a l'intention d'aller à Paris le mois prochain pour  activer sa nomination.
Je suis certain d'être nommé au régiment ou au moins dans la même arme, par conséquent, tous mes effets me serviront sauf quelques petits accessoires qui se montent à 30 ou 35 francs. Les adjudants portent la pelisse, comme les officiers, c'est très chaud et très joli, mais j'y renonce à cause du prix. Je me fais faire tout simplement une criméenne d'ordonnance; c'est une sorte de pardessus qui est très chaud aussi et qui n'est pas vilain. J'ai acheté une bonne couverture de voyage, très chaude et que je mets sur mon lit. Elle est presque toute neuve et m'a coûté 10 francs, elle est très belle et c'est le bon marché qui m'a décidé. Me voilà aussi monté en chaussures, j'ai fait faire des semelles très épaisses et qui vont me durer une éternité. J'espérais pouvoir acheter quelque chose à mon prédécesseur, mais il veut conserver tout comme souvenir de régiment, j'aurai donc tout neuf.
Remercie bien mon frère de toutes ses bontés, c'est à peine si j'ai eu le temps de le faire, j'étais très pressé lorsque je lui ai écris.
Au revoir ma bonne mère, je vous aime et vous embrasse de tout cœur sans oublier ma petite Thérèse.

P.deSurirey

J'ai reçu mon coin de feu, il va être très bien et j'en sui très content, un grand merci pour Fanny, à elle la prochaine lettre. Ci-joint un plan de mes propriétés.


 Provins, le 26 (décembre 1866)
10 h du soir

Ma bonne mère,

Vous savez que je suis de semaine et très occupé; je ne veux pas cependant vous laisser sans nouvelles. Mon rhume est à peu près passé, grâce aux infusions, faites dans la cafetière de Fanny et que j'ai le talent de faire très bien, j'en prends matin et soir.
De Rancourt est nommé, par conséquent ce n'est pas mon tour pour cette fois; il faut être à Paris pour obtenir quelque chose et demander surtout à temps: Mme de Guéroult a fait je suis sûr ce qu'elle a pu et je ne lui en veux pas de ne pas avoir réussi. Beaucoup de personnes s'attendaient à me voir nommé, de Rancourt craignait un peu, je crois, et je suis persuadé qu'il a fait bien des démarches.
J'espère qu'il va me laisser ce qu'il ne pourra pas employer et qui achèvera de me monter: je n'ai pas pu avoir encore tous mes effets et j'en suis très contrarié parce que nous allons avoir une revue du général dans le commencement du mois prochain.
Notre Colonel  nous reste heureusement, notre Lieutenant-Colonel part et est remplacé par Mr de Lucylen(ou de QUELEN) : je vais en parler à Mr de Blangy et le prier de lui dire deux mots pour moi s'il le connaît.
Nous avons un temps affreux, le soleil n'a pas paru depuis ma rentrée, il y a des brouillards très froids et très épais, il fait bon rester chez soi.
En venant ici, j'ai voyagé avec toi, ma bonne mère, ou pour mieux dire avec ton portrait: j'ai vu à la station de Moret une caisse venant de Montargis, sur laquelle il y avait photographie et qui était adressée à la grande maîtresse: il était donc à supposer que c'était ce qu'Alix attend avec tant d'impatience. Malheureusement elle ne sera pas arrivée pour le 24, car elle est partie le 21 avec moi par la ligne de Mulhouse, elle ne sera donc à Vienne que le 25.
Je vais vous dire au revoir car je m'endors, voilà deux nuits qui m'ont fait coucher fort tard et je n'y vois plus.
Au revoir donc, je vous embrasse tous de tout cœur et recommande bien à Thérèse de savoir lire lorsque je retournerai.

P.deSurirey

J'ai reçu ton petit paquet hier matin. Que Fanny n'oublie pas de me dire quel jour elle va à Paris.


 Provins, le 2 janvier 1867

C'est à vous tous que j'écris aujourd'hui pour vous souhaiter bonne année et bonne santé: j'aurais bien voulu aller vous embrasser pour le premier, mais ce sera pour plus tard, il ne faut pas non plus abuser.
Quelle a donc été la figure de Thérèse à la vue de cette fameuse surprise? En est-elle contente et n'en a-t-elle pas peur surtout?
Je vous vois tous d'ici au coin de votre feu qui ma foi n'est pas à dédaigner; nous avons ici 2 pouces de neige et il gèle assez fort. Ce soir j'ai été au chemin de fer chercher Rancourt qui devait nous arriver en Sous-Lieutenant et qui nous a fait faux bon: sa nomination était sur le moniteur d'hier, le voilà donc arrivé.
Quoique ne comptant pas beaucoup sur ma nomination, j'espérais presque, du reste elle n'aurait étonné personne si ce n'est ce pauvre Rancourt qui en aurait été bien vexé. Me voilà avec le N°1, mais je ne vois pas beaucoup de places en perspective; heureusement, Mme de Guéroult sera à Paris au mois de mars et pourra faire beaucoup plus. Pour ces sortes de faveur, la présence du solliciteur est nécessaire, une lettre est bien vite oubliée et n'en dit jamais autant qu'on en dirait en causant.
Hier, j'ai fait toutes mes visites et je suis heureux d'en être débarrassé: avant déjeuner j'en avais reçu plus de 20 et des moins amusantes. Le Colonel a été charmant pour  nous, il offrait le café à tous les officiers et nous étions invités. Nous l'avons encore pour quelques temps je l'espère, il est si bon que nous ne pouvons pas gagner au change.
Que Fanny ne compte pas sur moi pour le 8, je ne puis y aller, nous aurons la revue du Général de Melun et je prends la semaine dimanche prochain par suite de la nomination de Rancourt. J'aurais voulu aller à Paris le 13: il y a une réunion d'une centaine d'élèves d'Avon, qui sous la présidence de Mr Cavalier forment une association pour secourir les anciens élèves dans le besoin; on se réunit tous les ans à pareille époque. Moyennant 10 f par an on peut en faire partie et je vais écrire à Mr Cavalier pour lui en parler.
Qu'est-ce qui fait donc que je n'ai pas de vos nouvelles? Personne ne m'écrit, je n'ai pas eu une lettre depuis ma rentrée et je vous avoue que c'est bien ennuyeux.
Je ne suis pas encore monté, comme je ne savais pas si je serais nommé, j'attendais toujours, parce que je n'aurais pas pris le cheval que je prendrai comme adjudant, j'en essaye beaucoup sans pouvoir fixer mon choix. Le temps est si mauvais qu'on ne peut aller dehors et dans un manège on ne peut pas bien juger un cheval.
Demain ou après je commence mon déménagement pour occuper la chambre de Rancourt, où il y a une fort belle cheminée. Ici je suis enfermé comme un vieux jambon, mes rideaux sont noirs comme de l'encre. J'ai eu beau faire changer mon poêle de place, faire nettoyer la cheminée, les tuyaux, il y a des moments où c'est à ne pas rester et surtout lorsqu'il pleut.
Au revoir mes bons amis, je vous embrasse tous de tout cœur et vous renouvelle mes vœux de bonne année; pour Thérèse, je lui souhaite la sagesse et la patience, qu'elle sache bientôt lire et que sa tante lui envoie sa bague bleue le plus tôt possible.

PdeSurirey

Nous ne pouvons pas nous faire faire des cartes de visite ici, je voudrais que Fanny, au lieu de me faire cadeau d'un album, m'en fit faire un cent lorsqu'elle ira à Paris: elle y ferait écrire seulement:
P. de Surirey adjudant au 1er Chasseurs
Sur deux lignes bien entendu.


Je retrouve ma lettre ce soir, mon cavalier a oublié de la mettre à la poste. Je suis installé dans la chambre de Rancourt qui est arrivé la nuit dernière et loge en ville: j'ai une bonne cheminée, la chambre est en plein midi et très chaude. J'ai aussi un grand lit que je vais essayer ce soir.
Notre Lt-Colonel me fait demander demain matin, je pense qu'il a envie de me revendre son harnachement, si c'est une bonne affaire je verrai à quoi m'en tenir et les conditions du paiement; Rancourt en achète un comme ça d'occasion, il est excellent;
Je suis très étonné que la photographie de ma mère ne soit pas arrivée, je suis sûr qu'elle est partie le 21 avec moi.
Je vous embrasse encore une fois tous les quatre et vous prie de ne pas m'oublier auprès des voisins.


 Provins, le 14 janvier 1867

Ma bonne mère,

 C'était hier la réunion présidée par Mr Cavalier à qui j'avais demandé les conditions de l'admission dans son association, mais qui ne m'a pas répondu, c'est du reste son habitude et je ne m'en choque pas. Je n'y étais pas et je ne le regrette qu'à demi. Je suis descendu de semaine à midi, très fatigué et ayant bien froid; et puis je n'avais qu'une vingtaine de francs, somme tout à fait insuffisante.
J'avais envoyé à Fanny mon action pour la changer, elle ne m'en a pas accusé réception, j'espère qu'elle l'aura reçue. Je vais avec cette somme payer tous les chefs ouvriers, il ne me restera rien il est vrai, mais je me trouverai riche puisque je ne devrai pas un sou. Dans mon budget, je n'avais pas compris le harnachement d'officier bien entendu puisque je n'en ai pas encore besoin malheureusement, aussi n'ai-je pu faire affaire avec notre Lt - Colonel qui a laissé tout cela ici pour le faire placer. J'ai été le faire estimer et certainement j'aurais prié encore mon beau-frère de m'avancer la somme nécessaire pour l'achat si je n'avais craint d'abuser de sa bonté et en même temps de gêner Alix. Ce harnachement est estimé 145 francs et c'est une très bonne affaire. De Rancourt a aussi profité du départ d'un officier pour lui acheter à très bon compte une partie de son équipement. Ces objets ont toujours leur valeur, on ne s'en sert pas tous les jours et comme ça coûte fort cher on en a soin. Si tu crois que ce n'est pas abuser, je prierais mon beau-frère de m'avancer la somme et je prendrai le harnachement.
Quel froid il fait, ma bonne mère, heureusement j'ai une bonne petite provision de bois que m'a laissée Rancourt et je suis bien heureux de la trouver. Je t'écris installé dans mon fauteuil auprès d'un bon feu. Que j'ai donc bien fait de me faire nommer adjudant? Je ne suis plus obligé d'aller me geler pendant deux heures au milieu de la cour pour dresser les conscrits et s'il me faut encore attendre quelques mois ce sera avec patience.
J'ai voulu monter à cheval aujourd'hui, le froid était si piquant que je n'ai pas été bien loin, j'avais les pieds à la glace en rentrant et ne trouvant pas de feu allumé chez moi, j'ai fait tout le tour de la ville au pas de gymnastique.
Notre nouveau Lt - Colonel, Mr de Lucylen(ou de QUELEN)  est arrivé hier soir; c'est un tout jeune homme qui a beaucoup de fortune et mène grand train. Notre Colonel part pour trois mois et probablement nous ne le reverrons plus, sa nomination de Général arrivera pendant son congé.
Demain, je dîne chez le commandant d'Agoult, pour la première fois, il y a beaucoup d'officiers invités, je vais faire connaissance avec sa femme qui est fort aimable, je tâcherai de l'être aussi. On dit qu'à elle seule elle cause autant que toute sa société, on se contente d'approuver d'un signe.
Avant-hier, Rancourt donnait son punch aux officiers, j'y étais, ça va sans dire, ce soir il le donne aux sous-officiers; ce sont des soirées ennuyeuses, on boit toujours plus qu'on ne veut, et puis je me trouve si bien chez moi que je n'aime pas sortir le soir.
Je viens de recevoir mes cartes de visite, je crois qu'il serait convenable d'en envoyer une à Mr de Guéroult; Fanny décidera et me donnerait alors son adresse. Je la remercie et l'embrasse.
Je ne sais pas quand j'irai vous voir, ce sera sans doute au mois de février, il ne fait pas bon voyager maintenant.
Au revoir ma bonne mère, je vous aime et vous embrasse de tout cœur. Remercie bien mon beau-frère de toutes ses bontés dont je lui serai toujours reconnaissant.

PdeSurirey


 Provins, le 4 février 1867

Ma bonne mère,
Ne m'attendez pas cette semaine, je ne puis y aller, nous ne sommes plus que deux: le troisième était parti en permission de huit jours et a obtenu une prolongation de 22. Je reprends la semaine dimanche prochain. Je me faisais une fête d'aller vous voir, il faut malheureusement remettre la partie à plus tard;
J'ai dîné hier avec notre nouveau Lt - colonel : c'est un homme charmant, mais , comme me disait Mr de Blangy, très exigeant. Je vous avais dit, je crois, que j'étais invité chez Mme d'Agoult, je lui ai fait aujourd'hui ma dernière visite, elle retourne à Paris, ça me contrarie beaucoup, c'était pour moi une grande ressource.
Ne pouvant aller à la Volve, je voulais me rattraper sur des promenades à cheval, mais nous avons toujours de l'eau, c'est bien ennuyeux, il faut rester renfermé dans sa chambre.
Merci ma bonne mère de ton souvenir, il me fait grand plaisir; tout le monde le trouve très joli, je le laisse sur ma table et y ai placé tous les souvenirs de Rég t et de Saumur.
Je ne sais ce que cela veut dire, je ne reçois aucune nouvelle d'Alix: elle ne m'a pas écrit depuis mon dernier séjour à la Volve; je vais lui écrire encore demain au après. J'espère que vous êtes plus heureux que moi et que sa correspondance est moins rare à la Volve qu'ici. Je ne lui en veux cependant pas, la pauvre fille est toujours très occupée je le sais, mais donnez moi toujours de ses nouvelles.
J'irai peut-être à Paris la semaine prochaine, ou bien jeudi; je puis partir le matin, aller déjeuner chez Mr de Blangy, faire mes visites et rentrer le soir. Cependant, comme mon cher frère veut bien mettre son logement à ma disposition, j'en profiterai peut-être. Je ne connais pas l'adresse de Charles, Fanny doit l'avoir et je voudrais qu'elle me la donne. J'irai faire sa connaissance.
J'ai eu des nouvelles de Mr Cavalier qui a bien regretté de ne pas me voir au dîner, mais compte bien que j'irai lui demander à déjeuner d'ici peu. Sa maison ne prospère pas, il a bien peu d'élèves et j'ai peur qu'un jour il ne soit obligé de quitter. Il n'était pas fait pour être chef d'institution, il était trop bon et je crois bien qu'il n'a pas ramassé grande fortune.
Ma petite lampe va on ne peut mieux et ne me coûte pas deux sous par soirée, je ne me sers plus de bougie, j'y gagne un sou tous les soirs.
Au revoir ma bonne mère, je vous embrasse de tout cœur et irai bientôt vous voir, le plus tôt que je pourrai.

PdeSurirey


 Provins, le 6 avril 1867

Ma bonne mère,

Tranquillisez-vous tous, il n'y a eu aucune nomination, je vous l'aurai dit de suite. Les deux démissions dont je vous parlais ne sont pas encore données et peut-être attendra-t-on jusqu'au mois d'août pour les remplacer.
Je crains que nous n'allions au camp de St Maur, il en est fort question; ce serait un service très fatiguant et, outre cela, très coûteux, on y abîme tous ses effets. Voilà qu'on parle de nous changer notre tenue, ou du moins la couleur: sous prétexte que notre drap vert est mauvais, on veut nous donner le drap bleu de roi. Pour moi ce serait une perte. Il est vrai que je ferai en sorte d'attendre jusqu'au mois d'août pour me faire faire quelque chose. Les officiers n'y perdent rien, on leur donne 500 f. d'indemnité, mais on ne pense pas aux adjudants qui ont cependant les mêmes dépenses. Si nous allions au camp, ce serait mon tour de rester ici, mais il est très probable que je partirai quand même à la place d'un vieil adjudant qui n'a plus qu'un an pour sa retraite et ne demande qu'à se reposer.
J'ai vu il y a quelques jours chez Deroys une jeune héritière qui a 150 mille francs de dot, elle n'est ma foi pas mal, je dois dîner un jour avec elle et sa mère chez ce Deroys. Je le vois toujours de temps en temps et au beau temps nous devons aller de temps en temps à Bazoches.
J'ai enfin un cheval que je viens de prendre à la remonte, je l'ai monté aujourd'hui pour la première fois et crois que ce sera une bonne bête. Il ne sait rien faire du tout et j'aime mieux cela, je pourrai le dresser à ma manière. Je prends la semaine demain, après j'irai peut-être passer une journée à Paris; je puis y arriver à 10 h du matin et rentrer ici dans la nuit. Je n'ai pas besoin de prendre une chambre.
Nos manœuvres sont commencées, mais il pleut si souvent qu'il y a presque toujours contrordre: notre terrain est affreux, c'est un sol rocailleux et il faut des chevaux comme les nôtres pour ne pas tomber.
J'espère que mon frère me préviendra lorsqu'il y aura des fraises, tu sais ma bonne mère que nous nous entendons bien tous les deux pour les manger; pourvu que Thérèse nous en laisse quelques unes!
Au revoir ma bonne mère, je vous aime et vous embrasse tous les quatre de tout cœur.

PdeSurirey


 Provins, le 6 mai 1867

Ma bonne mère,

Je descend de semaine hier à midi, j'étais tellement fatigué que je me suis couché jusqu'au dîner: nous nous levons tous les jours à 4 h 1/2 et quand il faut rester sur les jambes jusqu'au soir à 10 heures, faire quelquefois un contre-appel dans la nuit, c'est raide et on voit arriver le dernier jour avec plaisir.
Hier soir, Mr de Bernis, le S-Lt , donnait son dîner d'adieu, sa démission était arrivée la veille. Nous y étions tous les 4 adjudants; le dîner était fort beau, nous avions un saumon énorme, 4 pieds de long au moins, la soirée s'est prolongée un peu tard. Mr de Bernis se marie le même jour que Rancourt . Je partirai d'ici le 13 au matin, j'ai une chambre retenue à la Boule d'Or à Orléans: le lendemain, le mariage a lieu à la mairie de Coulmiers et le surlendemain à la cathédrale. Le beau-père futur m'a écrit, me demandant quelques renseignements nécessaires à son gendre, et me faisant une invitation très aimable. Le voyage ne me plaît pas énormément et j'aurais été très content d'avoir un motif pour ne pas y aller. Je reviendrai sans doute le 16 au soir; j'aurais bien voulu passer par la Volve, mais il me faudrait prendre la voiture à Montargis et je crois qu'on prend dix francs. Je vais y réfléchir et peut-être irai-je vous embrasser; après cette permission, je serai longtemps sans en avoir et je crains d'attendre trop longtemps.
Je ne sais ce que va me coûter le voyage, je crois que c'est 6 francs pour aller et autant pour revenir; je ne dépenserai sans doute pas beaucoup là-bas, envoie-moi ce que tu pourras sans cependant te gêner. J'ai été obligé de me faire faire un pantalon et des bottines, mais je n'ai heureusement pas de cadeau à faire. Rancourt reviendra peut-être avec moi pour donner sa démission, mais je ne crois pas que les nominations se fassent avant le mois d'Août.
Il paraît décidé que notre tenue va être changée, on nous donne la tunique, sans épaulette: nous aurons un an pour user nos effets, ce sera une petite perte qui sera grandement compensée par l'économie de l'autre tenue qui coûtera moitié moins. On nous supprime la sabretache, le cordon, le bonnet à poil, toutes choses qui s'usent très vite; la tunique coûtera au plus 75 francs tandis que notre dolman nous en coûte 100 et 110. Ce sera il est vrai moins joli, je dirai même laid, j'ai vu le costume complet et certes il est loin d'approcher de celui que nous avons.
Je ne sais si la réorganisation de l'armée nous fera quelques places dans la cavalerie; dans l'infanterie, elle leur donne 300 places de capitaine, c'est énorme. J'y ai grande confiance et je ne serais pas étonné que le 6° escadron fut bientôt reformé dans la grosse cavalerie. Un peu de patience et le grand saut sera fait.
Notre Général Inspecteur est le même que l'an dernier, je puis lui être recommandé par Mr Christophe  auquel je vais écrire aujourd'hui ou demain. Nous ne savons pas encore l'époque de sa tournée, ce sera sans doute au mois de juillet et je compte lui adresser ma réclamation pour le tour qu'il m'a joué l'année dernière. J'aurai soin d'être calme et de lui dire en peu de mots ce que j'aurai à lui dire. Notre Colonel est rentré et nous le perdrons au mois d'août, il a le N°2 pour passer Général. Je voyais hier sur l'annuaire le N° de notre cousin de Mecquenem , il a 6, je ne connais pas son âge, il peut aller jusqu'à 59 ans je crois, il passera peut-être aussi.
Nous avons un temps superbe, mais il fait déjà très chaud: aujourd'hui j'ai monté à cheval à midi, je suis rentré trempé comme une soupe, j'avais été bon train, j'ai été obligé de changer complètement. Ce régime là me va bien, je n'engraisserai pas au moins et j'espère que la prophétie de Fanny ne se réalisera pas. Voilà le bon temps pour les fraises et les cerises, je compte bien que vous m'en laisserez un peu. J'ai sur ma fenêtre un rosier magnifique et que je soigne avec le plus grand soin, il pousse à vue d'œil, il y a déjà 7 boutons énormes et dans quelques jours ils vont s'ouvrir.
Tout bien réfléchi, ne me réponds pas avant le 9 au matin, je me déciderai probablement à passer par la Volve: d'après mon calcul, ce ne serait que 3 ou 4 francs de plus.
Au revoir ma bonne mère, je vous aime et vous embrasse tous les quatre et serai bien heureux de vous revoir.

PdeSurirey


 (printemps 1867)

Ma bonne mère,

Me voici enfin installé et au courant de toutes mes visites  que je ne croyais jamais terminer tant il y en a à faire. Je suis très bien logé, un salon, une chambre à coucher et un grand cabinet de toilette; malheureusement l'entrée n'est pas belle, l'escalier est tellement étroit que je me cogne les deux épaules contre les murs, la rue est aussi peu agréable. Je ne sais si j'y resterai, j'ai pris ce logement en attendant et je le regretterai à cause de sa propreté. Tous ces MM. ont aussi leurs chevaux logés en ville ainsi que leur chasseur , mais je n'ai pu trouver d'écurie, les logements sont assez rares.
Nous avons eu trois journées bien fatigantes, trois grands festins coup sur coup, je tais ce que ça me coûte, tout le monde paraissait content: j'ai encore eu la chance qu'il y ait une autre nomination en même temps que la mienne, nous avons partagé à deux les dépenses du punch des officiers.
Je comptais aller vous voir cette semaine, je n'ai pas pu m'absenter, demain je prends le service pour huit jours et je ne vous arriverai que de demain en huit. Je suis tombé dans un escadron où nous ne sommes que deux pour les semaines, jusqu'au1er septembre, j'irai donc passer 4 ou 5 jours avec vous. Je ne veux pas trop en demander maintenant, à cause de l'inspection que nous aurons dans un mois et du congé que je veux demander à l'arrivée d'Alix.
J'ai reçu une lettre d'elle  il y a quelques jours, elle m'envoyait un petit mot pour Mr Mauvais  chez qui elle avait déposé 500 f à moi destinés.
Nous sommes revenus de Paris n'en pouvant plus, le jour de la revue nous ne sommes descendus de cheval qu'à 7h1/2 du soir et, le lendemain matin, il fallait partir à 4 heures. C'est à peine si j'ai eu le temps de voir mon beau-frère à Paris, je croyais avoir ma lettre de service à la revue, je serais revenu avec lui, mais je ne l'ai reçue que lundi matin. Il devait me faire faire des cartes de visite à l'exposition , s'il les a, je voudrais bien qu'il me les envoie ici. J'en ai déjà envoyé quelques unes de mes anciennes, en remplaçant le mot adjudant par celui d'officier. Si Fanny croit que je doive en envoyer aux Grisenoy, aux Fremur  etc… qu'elle me donne leurs adresses, je le ferai de suite.
Il me tarde d'aller vous embrasser tous, ce sera bientôt, huit jours ne sont pas longs.
Au revoir ma bonne mère, je vous embrasse tous de tout cœur sans oublier Thérèse.
PdeSurirey.


 Provins, le 10 septembre (1867)

Ma bonne mère,

Je veux de suite te donner des nouvelles de notre chère Alix que j'ai quitté en bonne santé . Le voyage a été un peu fatigant, nous étions très serrés dans notre compartiment, il faisait une chaleur étouffante.
Nous avons eu tout le temps nécessaire pour dîner, Alix a mangé de très bon appétit. J'ai pu la conduire jusqu'au train et lui porter ses paniers et sacs qui étaient un peu lourds, surtout celui de provisions que mon frère n'avait pas ménagées. Après dîner, Alix a marché un peu et nous avons attendu le train dehors; le grand air lui a fait beaucoup de bien et en montant en voiture elle ne se sentait plus de son voyage.
J'ai dîné, sans le savoir, à côté de notre nouveau Colonel  que j'ai été tout étonné de voir ici aujourd'hui.
Tout à l'heure, je vais aller faire mes visites, à lui d'abord et ensuite aux officiers supérieurs et à mon capitaine. Il paraît que notre colonel tiendrait à rester ici, il en fera sans doute la demande, j'en serais très content. Il a l'air un peu sec, quelle différence avec Mr de Bernis : tous les officiers l'ont accompagné jusqu'à Longueville  et en leur serrant la main, il pleurait.
Nous avons vu à Nemours les dames de Nouville, Mme Edmond est venue seule nous parler, sa sœur était restée dans la salle d'attente et nous avons pu la saluer. Elles apportaient un énorme morceau de pâte d'abricots pour l'archiduchesse.
Notre bonne Alix est maintenant à Strasbourg, pensant bien à nous je suis sûr et le cœur bien gros. Mais enfin, nous ne devions pas la voir cette année, ne te fais pas de chagrin et attendons l'année prochaine avec patience.
Embrasse bien cette bonne Fanny et Thérèse, mille choses à mon frère que j'embrasse aussi et que je remercie de toutes ses attentions.
Au revoir ma bonne mère, je t'aime et t'embrasse de tout cœur et te dis à bientôt, car j'espère ne pas être longtemps sans vous voir.

Ton fils dévoué
PdeSurirey

Je viens de recevoir un faire part de Mr de Villantroys.


 Provins le 20 8bre (1867)

Ma bonne mère,

Je reçois à l'instant une longue lettre d'Alix qui m'annonce l'arrivée de l'Empereur ; il vient coucher à Nancy le 21 et le 22 sera à Paris. Il est accompagné du Gal Bellegarde , son premier aide de camp qui a promis à Alix de faire ce qu'il pourrait pour que je sois appelé par l'Empereur . Le Général a mon adresse, aussi vais-je me tenir prêt. Je voudrait bien que mon frère restât à Paris pendant mon séjour que je ferai durer le moins longtemps possible. Je n'ai pas l'adresse du logement, il me la faudrait de suite. Alix me dit de ne pas m'absenter d'ici, et d'un autre côté elle me dit d'aller à Paris porter une carte chez le général Bellegarde. Je crois que le mieux est d'attendre ici son appel, et alors, le lendemain de ma présentation, j'irai lui faire une visite pour le remercier.
Mme de Nouville vient de faire appeler mon chasseur, l'homme qu'elle avait pris ne pouvait pas faire l'ouvrage, et j'espère qu'elle va être contente du mien.
Pardonne moi ma bonne mère de ne pas avoir pensé à ta fête, c'est Alix qui m'en parle aujourd'hui et je ne croyais qu'elle fût dans ce mois; j'aurais bien pu m'échapper de 8 heures et aller t'embrasser. J'espère que tes forces continuent à revenir, mais voilà le mauvais temps et il faudra bientôt renoncer à ta petite promenade du matin. Ici nous avons un temps désespérant, il pleut toujours.
A mon retour de Paris, j'irai vous raconter ma présentation et passer quelques jours avec vous.
Au revoir ma bonne mère, je vous aime et vous embrasse de tout cœur.

P.deSurirey


 Provins le 29 (hiver 67-68)

Ma bonne mère,

Voilà donc tous ces Messieurs qui rentrent à l'escadron et je compte bien pouvoir m'absenter à mon tour. Je demanderai une permission de huit jours la semaine prochaine et je vous arriverai probablement du 8 au 10. Notre Lt Colonel est assez difficile pour les permissions et, malgré la présence du Colonel, il a beaucoup d'influence, si j'en juge par deux permissions qu'il a fait refuser à deux officiers. Je prendrai mes précautions et ferai en sorte de l'amadouer.
Décidément l'Empereur d'Autriche nous a oublié: pas encore de récompenses, j'en suis très étonné. C'est réellement très bien à lui d'avoir de suite parlé de moi à Alix; je voudrais bien savoir la position de cette bonne sœur tout à fait établie, qu'elle sache au moins à quoi s'en tenir .
Nous avons ici un froid de loup; en 15 jours, j'ai brûlé un stère de souches, sans pouvoir avoir chaud, mais depuis dimanche, je brûle du coke, j'ai un bon feu magnifique qui chauffe parfaitement le salon et la chambre à coucher: ça ne sent rien du tout et c'est très économique, je crois qu'avec huit francs par mois, au plus, ça suffira. Le seul inconvénient, si toutefois c'en est un, est de ne pouvoir approcher du feu sans brûler sa culotte: je puis me mettre n'importe dans quel endroit de la chambre sans avoir froid. Mon chasseur n'est pas très adroit pour l'allumer, je le fais moi même.
Je viens de recevoir une lettre de Rancourt qui me charge, ainsi que sa femme, de mille choses aimables pour vous. Il m'attend le 4 à Mimérand, je lui ai répondu qu'il ne compte pas sur moi, il veut m'avoir pour huit jours et si j'y vais, je ne pourrais plus demander une autre permission. Et puis il ne fait pas si chaud voyager, la saison est peu favorable.
Mon cher frère n'avait pas l'air très rassuré sur la manière dont vous pourrez vous caser à Paris: le fait est que c'est bien petit. En revanche il est très propre, très commode et au milieu de toutes vos connaissances. Mais j'ai bien peur, bonne mère que tu n'aies de la peine à t'habituer à tout ce bruit de Paris. Tu n'auras pas aussi loin pour aller à l'église car il y a une petite chapelle presque en face. Là, j'irai vous voir souvent, au moins une fois par semaine: je puis aller déjeuner, dîner et revenir dans la même soirée.
Je compte emporter à la Volve mes équipages de chasse: Mme Rozier sera encore assez bonne pour me prêter Florette, car le mien ne pense pas encore au gibier, il rapporte très bien. Il a grandi pas mal , mais est bien mince, la maladie l'a fatigué beaucoup et il commence seulement à se remettre, il mange comme un ogre et du pain seulement trempé dans de l'eau grasse.
Je voudrais savoir si Mr Henri  veut toujours sa selle, je la lui rapporterais.
Au revoir ma bonne mère et à bientôt, je vous aime et vous embrasse tous les quatre et me fait une fête de voir la surprise que me prépare Thérèse.

Ton dévoué fils
PoldeSurirey.


 Jeudi 14

Ma bonne mère,

La santé est revenue avec le beau temps, j'ai pu prendre ma semaine dimanche et fermer la chasse: j'ai tué deux perdrix malgré un vent affreux, mais j'ai bien fait du chemin. Mon chien a été extraordinaire, en revenant ici, j'avais caché une perdrix au fond de mon cabinet de toilette, j'étais resté dans le salon, il a été la dénicher et me l'a rapportée très bien sans la serrer.
Vous voilà bientôt sur le point de partir pour Paris, j'irai vous voir aussitôt votre arrivée. J'ai reçu une circulaire de Mr Cavalier pour la convocation de l'association des anciens élèves qui a lieu dimanche prochain 16 à 2 heures: j'ai peur de ne pas pouvoir y aller, je ne descends de semaine qu'à midi et ne pourrais partir que par le train de 1h1/2. Je ne tiens pas beaucoup à figurer au banquet pour mes 15 francs, c'est un peu cher. Nous irons ensemble voir Mr Cavalier et je lui écrirai samedi si je puis y aller ou non.
Je n'ai pas de nouvelles d'Alix, j'attends toujours sa photographie, j'espère que vous en avez de bonnes. Mon cher cousin de Fallois  est aussi un peu en retard, je ne sais ce qu'il deviennent.
Louis de Pouilly m'a répondu, m'annonçant l'arrivée d'un petit-fils et m'engageant bien pour cette année.
Il paraît à peu près décidé que nous restons encore un an à Provins, c'est du moins ce que le Ministère a dit à notre Colonel. Moi j'en suis on ne peut plus content,