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SOUVENIRS DE LA TANTE ALIX - 5° PARTIE

 

 

Mercredi 16.

 

Jour de St Jean Népomucène. Combien cette fête me rapporte à d’anciens souvenirs, à ces 4 années passées à Prague et qui ont été mêlées de tant d’agitations diverses. J’étais jeune alors, j’avais encore lieu d’espérer de l’avenir ; et pourtant je ne voudrais plus recommencer. Les cheveux gris apportent du calme et c’est beaucoup !..Si avec eux je jouissais de la santé ils ne me gêneraient nullement. Mais Dieu sait ce qui m’attend encore !.. Les bains de mer qui devraient m’apporter tant de soulagement, pourrai-je les prendre ? Nous vivons comme sur un volcan, attendant d’un moment à l’autre le commencement des hostilités. La guerre une fois allumée, où se concentrera-t-elle ? Que fera Napoléon ? Prendra-t-il les provinces rhénanes comme on semble s’y attendre ? Et en ce cas par où aller en Belgique ou en France ? Que ces temps d’incertitude sont pénibles, mais que nous les avons bien mérités…Je ne sais si mon esprit frappé du sérieux de la position actuelle me porte à voir en sombre, mais je n’entre pas en ville sans être frappée de cette légèreté qui perce partout et surtout dans l’accoutrement des femmes. Non seulement les modes sont de mauvais goût, mais je les trouve d’un provoquant qui me dégoûte et m’effraie – où courons-nous, mon Dieu ! ! !

Quel contraste avec ces pauvres soldats se rendant de tous côtés à leurs corps, montant avec enthousiasme au secours de la patrie menacée. Combien d’eux vont payer de leur vie ce dévouement qui les anime. Que de familles en deuil, que de cœurs affligés, que de scènes de désolation…Quel avenir, mon Dieu…..

Selon le désir de l’Impératrice, j’ai fait venir le dentiste Faber, dimanche dernier, et l’ai consulté pour la petite Archiduchesse dont les dents du bas ne me satisfont pas, tant je crains qu’un jour elles ne finissent par ressembler à celles de l’Archiduc Albert ou de l’Archiduchesse Maria. Il m’a assuré que je suis dans l’erreur, que les dents se développent heureusement, qu’ elles seront bonnes et qu’il n’y a pas à y toucher. D’ailleurs, a-t-il ajouté, si même vos craintes étaient fondées, je dois vous avouer franchement qu’il n’y aurait pas à y remédier. Je n’ai pas encore parlé de cette consultation à Wiederehofer qui est persuadé que Faber est un charlatan et n’y ajoutera aucun prix. Au fond de son cœur je ne sais trop s’il ne m’en veut pas de ce que je n’ai pas plaidé en faveur de Steinberger ; mais je ne pouvais le faire, puisque Sa Majesté m’a dit ne pas en être contente et vouloir prendre Faber elle-même.

 

Ischl, samedi 23 juin 1866.

 

Jour de la fête de ma bien-aimée Zdenka, que je suis triste de ne pas pouvoir embrasser !

J’ai été beaucoup trop longtemps sans écrire. La paresse d’un côté, de l’autre le manque de temps ou de dispositions m’en ont empêchée. Dans ces tristes jours que nous passons, on ne pense qu’à une chose, on ne lit que des journaux, tout se résume au même but – c’est une tension, une incertitude des plus pénibles.

Nous avons quitté Schönnbrunn mardi 12, pour venir nous installer ici. Cette fois, comme l’année dernière, notre pauvre empereur n’a pu accompagner ses chers enfants. Il a dû se contenter de les conduire à la gare de Pensing et là, de leur dire adieu pour longtemps, peut-être. Pour la première fois l’Empereur m’a rendu la main. Je ne saurais exprimer ce qui s’est passé en moi dans ce moment…Il me semblait sentir ce qu’il éprouvait de tristesse de devoir se séparer de ce qu’il a de plus cher sans pouvoir crier "A bientôt !". L’Impératrice nous avait précédés d’un jour, Sa Majesté voulant faire un pèlerinage à Maria de Zell, et y implorer la protection de la Vierge pour son mari et ses peuples.

Le 17, l’Empereur fit paraître son manifeste , dont la fin surtout me plait extrêmement, parce que je connais assez Sa Majesté pour être sûre que cette confiance en Dieu, dont il parle, n’est pas sur ses lèvres seulement, mais bien au fond de son cœur. Jusqu’ici, la Prusse n’a pas envoyé sa déclaration de guerre, mais avec sa perfidie accoutumée, ses troupes se sont emparées de Dresde et se répandent de plus en plus en Saxe, puis touchent aux frontières de la Bohême qu’elles n’ont point encore envahie, que nous sachions au moins. On s’attend d’un moment à l’autre à une grande affaire. Dieu donne que les Autrichiens soient heureux ! L’Italie se conduit mieux que la Prusse, il faut l’avouer. Victor Emmanuel a envoyé sa déclaration de guerre à l’Archiduc Albert, commandant en chef de l’armée du Sud, le prévenant que dans 3 jours les hostilités commenceraient. C’est aujourd’hui, d’après cela, que l’ouverture serait faite. Demain il y aura 7 ans que se livrait la bataille de Solférino ! !..

L’Impératrice est très agitée ! Jeudi dernier, Sa Majesté me disait : " Pourvu que Napoléon ne s’en mêle pas ! Mais je suis persuadée qu’il le fera". Je le crains aussi de tout mon cœur. Tout semble prouver qu’il agit sourdement ; mais enfin, les doutes sont encore permis ; mais une part active serait tout ce que je redoute, et demande à Dieu de nous préserver ! Il m’est impossible de concevoir que la Prusse lui abandonne la rive gauche du Rhin ! Avec quoi voudrait-elle donc se dédommager et comment pourrait-elle être certaine d’obtenir justement ce qu’elle convoite ? Il est vrai que son orgueil est sans bornes ; mais n’existe –t-il donc pas d’autres puissances contre les prétentions de la France et les siennes ?

 

Je n’ose penser à mes projets d’un séjour en France ; et pourtant, qu’il m’en coûterait d’y renoncer… Ma pauvre mère, ma sœur s’en font une telle fête !… Serai-je forcée de leur causer le chagrin d’une semblable déception ? La Ctesse Königsegg m’a promis de me dire avec franchise ce qu’elle entendrait ou remarquerait à cet égard – je crois en elle absolument.

 

Dimanche 1er Juillet 1866.

Jour plein de trouble et d’angoisse ! Ce matin il pleuvait à torrents. Ne pouvant faire une promenade dehors, j’arpentais la halle en bas, lorsque Latour arrive et me dit :" Mauvaises nouvelles, un télégramme annonce que Benedek a dû reculer devant les Prussiens. Ces nouvelles sans détails sont terribles et personne ne pense à télégraphier de Vienne… C’est impardonnable.

 

Le 25 au matin nous étions si heureux des succès obtenus en Italie, de cette bataille de Custozza où la valeur autrichienne s’est si bien signalée. C’est le comte Königsegg que j’ai rencontré au sortir de la messe, qui m’a appris cette bonne nouvelle. L’Impératrice est partie jeudi 28, pour aller passer quelque temps avec l’Empereur.

 

Samedi 7 juillet 1866.

 

Tous ces jours-ci je n’ai pas eu le courage d’écrire…Le télégramme du 1er a été suivi de bien plus tristes encore : le 3, il y eut un combat affreux entre Josephstadt et Königgrätz, les Autrichiens malgré leur valeur eurent tellement le dessous que Benedek dut ordonner la retraite, et à l’heure qu’il est nous ne savons pas encore où est l’armée… On dit les pertes immenses en hommes et en matériaux. C’est le 4 au matin que Latour nous a lu ce triste télégramme au jardin, près des serres où nous étions avec les enfants. A ces tristes nouvelles, ils ont pleuré à chaudes larmes ; mais la chagrin des enfants n’est pas de durée, et souvent depuis, leur légèreté, leur gaieté, nous a percé le cœur. Ce pauvre Latour surtout me fait de la peine…impossible de décrire ce qu’il a souffert pendant les quelques jours de cette déplorable campagne. Avant-hier soir, il vint chez moi pour me faire part d’un télégramme, non officiel encore, mais dont la vérité n’est plus un doute, qui annonçait que l’Empereur avait donné  la Vénitie (sic)à Napoléon. Sans doute Sa Majesté veut ravoir son armée d’Italie pour pouvoir se venger des Prussiens. D’un autre côté, la gazette de Vienne parle d’un armistice qui serait proposé aux Prussiens, et qu’on suppose que ceux-ci accepteront. Dans ce cas ne serait-ce pas une seconde édition de Villa Franca et ne devrions-nous pas nous attendre à une paix qui me semblerait une ruine ? Car comment, avec des finances aussi épuisées, parviendrait-on à couvrir les dettes nouvelles contractées pour mettre l’armée sur le pied de guerre et l’entretenir depuis des semaines. Dieu est là heureusement et c’est en lui que nous devons placer toute notre confiance, autrement il y aurait de quoi désespérer. Je suis bien sûre que Sa Majesté ne nous reviendra pas de longtemps, et j’en suis bien aise, car sa place est à Vienne. On la dit un ange consolateur pour l’Empereur qui doit être bien profondément affligé. Elle ne le quitte que pour aller visiter les hôpitaux et porter des paroles d’encouragement aux pauvres blessés. On nous citait aujourd’hui un train certain qui prouve combien cette femme a du cœur : un Hongrois devait se faire amputer le bras, mais ne pouvait s’y décider ; il y avait danger de vie à retarder ; hier Sa Majesté y est retournée pour la 3ème fois afin d’essayer de le décider. Dieu la bénisse pour tant de charité et accorde enfin à son pauvre mari des jours plus heureux !

 

Mardi 17 juillet (à Ofen)

 

Que d’émotions depuis quelques jours ! Nous voici réfugiés à Ofen où nous souffrons si affreusement de la chaleur, que demain nous essayons d’aller nous installer dans une petite villa où l’on espère que les matinées et les soirées seront un peu plus fraîches. Mais je veux reprendre mon journal de plus loin. Le 10, au retour de la 1ère visite des petites Altesses chez leur grand-mère, Latour trouva une lettre du comte Créneville qui lui disait que nous devions emballer dans le plus grand secret et nous tenir prêts, car d’un moment à l’autre il serait possible que nous fussions appelés. Je ne connus ces détails qu’après le dîner mais j’avais deviné à la figure du colonel qu’il y avait quelque chose de nouveau. Le même jour, entre 3 et 4 heures, un télégramme nous donna l’ordre d’être en route le lendemain matin. En effet le 11 à 8 h. nous étions en route et à 6 h. du soir nous revoyions notre pauvre Empereur que nous avons trouvé bien changé.

 

Le 12, jour des dix ans de ma chère petite Archiduchesse, nous restâmes à Schönnbrunn ; le 13 à 1 heure, nous partions pour Pest où nous arrivions à 8 h. du soir aux cris de tant de Eljen que je crus y perdre les oreilles. Ces Hongrois sont encore un peuple bien primitif, il y a de la sauvagerie dans leur enthousiasme, je ne comprends pas trop ce qui captive tellement l’Impératrice. Le château est vraiment royal ; la vue sur le Danube et la ville de Pest est quelque chose de magnifique, mais là s’arrête mon admiration : j’aime la fraîcheur, la verdure, ici tout est desséché et couvert de poussière ; pas d’ombre, pas de promenades - pour moi, c’est l’image de la désolation et je me révolterais intérieurement d’avoir dû quitter ce bel Ischl, si je ne pensais aux sacrifices qui sont imposés à tant d’autres.

Quant à mes projets, Dieu sait ce qu’ils deviendront ! J’attendrai qu’on fasse des avances à ce sujet. Aujourd’hui , c’était ma fête – jour de bien triste anniversaire ! ! Il y a 4 ans, ma pauvre mère et moi nous courions à Sedan pour y fermer les yeux à mon pauvre frère. Que de places vides depuis…
Ce matin l’Impératrice m’a apporté une délicieuse broche avec la Vierge à la Chaise (cette broche est-elle encore dans la famille ?) Cette fois elle m’a réellement embrassée ! Comme toujours, elle était gracieuse et charmante. Ce souvenir me rappellera toujours des temps bien pénibles…Dieu seul sait par où nous passerons encore…On dit que les Prussiens avancent de plus en plus, que tout ce qui est sur leur passage fuit, que Vienne est encombré de monde cherchant un refuge.

 

Samedi 21, villa à la franzenshöhe.

 

Depuis mercredi, nous sommes installés dans une toute petite villa à la franzenshöhe, à une bonne demi-heure d’Ofen. La maison est tout à fait de bois, aussi la chaleur y est-elle excessive et surtout pendant la nuit qu’on ne peut laisser de fenêtres ouvertes. Tout est d’une saleté qui prouve peu pour la nation à qui ce défaut doit être particulier. Nous sommes les uns sur les autres, ce n’est pas un agréable séjour. Malgré tout je le crois plus sain que celui de la ville où nous étions si renfermés et où le jardin offre encore bien moins d’ombre qu’ici. Quelle triste nature ! Les arbres sont rabougris et donnent à peine de l’ombre. Depuis 2 jours il pleut, ce qui leur redonne un peu de fraîcheur ; sans cela ils sont couverts de sable et de l’aspect le plus triste…La contrée n’étant pas du tout sûre, nous avons 4 gardes qui surveillent jour et nuit. Dieu veuille que nous n’ayons pas longtemps à gémir ici. Hier la Ctesse Königsegg, qui a accompagné l’Impératrice ici, nous a dit que les Prussiens sont à Presbourg. Il me semble que l’incertitude dans laquelle nous vivons ne peut plus être de longue durée. Si les Autrichiens pouvaient être vainqueurs ! Comme nous en bénirions le ciel !..Est-ce par esprit d’opposition, mais cette fois que les autres ont si peu d’espérance, je m’y livre davantage que lorsqu’on était sûr de vaincre. On dit les troupes animées du meilleur esprit, l’Empereur bien remonté, ce qui ne peut avoir qu’une bonne influence. Mon Dieu prenez pitié de nous !

 

Franzenshöhe, 1er août 1866.

 

Le 29 dernier nous entrâmes en ville pour faire nos adieux à l’Impératrice qui partait le soir même pour Vienne, dans l’intention de passer quelques jours avec notre pauvre Empereur. Avant de prendre congé Sa Majesté me dit qu’elle désirerait que je restasse avec l’Archiduchesse jusqu’au 8 ou 10 d’août, puis qu’elle croyait que rien ne s’opposait à ce que je me rendisse directement aux bains de mer. La veille j’étais entrée à Ofen pour y faire mes dévotions en souvenir de mon bien aimé frère et j’avais demandé à la Ctesse Königsegg ce qu’elle croyait que je pouvais faire. Elle m’avait promis de sonder le terrain et tel fut le résultat ! Rentrée ici, j’écrivis bien vite à ma bonne mère que, si rien de nouveau ne survenait, nous aurions dans peu le bonheur d’être réunies. J’ose à peine me livrer à la joie, tant je crains une désillusion dans un temps aussi incertain que celui où nous vivons. Puis j’avoue qu’il m’en coûte de m’éloigner de ma petite Archiduchesse sans savoir où je la retrouverai, car qui peut prévoir ce qui nous attend encore ! La pauvre enfant était touchante le 29 au soir… Lorsque nous étions agenouillées pour la prière, elle me dit :" Moi aussi, je veux prier pour votre frère" puis elle fondit en larmes et sur mes demandes réitérées au sujet de ses pleurs, elle me répondit : "Parce que vous partirez" Elle était présente lorsque Sa Majesté me parla ; mais elle ne fit sembla de rien et conserva cette impression jusqu’au soir. C’est encore un trait de ressemblance de plus avec l’Empereur qui renferme tout ce qu’il sent et souffre doublement lorsqu’il a un sujet de peine. Et ceux-là ne lui manquent malheureusement pas !

Je suis décidée à faire le voyage sans femme de chambre à cause de la dépense qui me ruinerait de fond en comble. Je veux au contraire être bien économe dans la prévision et l’espoir que notre bon Pol obtiendra l’épaulette comme récompense de sa bonne conduite, de son zèle au travail pendant son année de Saumur et il faut que je sois à même de l’équiper. Je voudrais décider Marie Horn à faire le voyage avec moi ; nous serions ensemble une grande partie du chemin, ce qui serait bien agréable. Elle est aussi à Ofen avec la famille Thun qui s’est réfugiée chez la Ctesse Saint Quentin. Nous n’avons pu nous voir que deux fois, le petit Edouard ayant été atteint d’un frinfnl ( ? ? ? ?)

 

Jeudi 9 août, avant-veille de mon départ.

 

Avec la grâce de Dieu c’est samedi 11, à 9 h. 55 minutes du matin que je quitterai Pest pour aller coucher à Vienne, à la Landstrasse, et partir le 12 à 4 h. ½ de l’après-midi pour Strasbourg où je veux coucher et espère voir Antoinette. Mon cœur est gros de quitter ma petite Archiduchesse dans un moment de si grande incertitude, car la paix avec la Prusse et l’Italie n’est pas même signée ; mais je sens que c’est nécessaire, j’ai excessivement besoin de fortifiants et de repos, et d’ailleurs qui sait ce qui peut arriver d’ici à l’année prochaine ? Outre ces préoccupations, je m’inquiète aussi pour Caroline, qui aura la tâche à elle toute seule et me paraît souffrante depuis quelques jours. Ce matin, elle m’a de nouveau fait une petite scène : je lui ai demandé si elle ne voulait pas assister à la leçon de l’Archiduchesse pour que je lui montre ce que nous faisions ; tout de suite elle a pris cette figure mécontente qui m’est toujours si pénible à voir puis quand j’avais fini et que l’enfant s’était éloignée, elle m’a dit : " Crois-tu donc qu’il me suffise d’un jour pour être au courant, et n’aurais-tu pu m’y mettre plus tôt ? Tu sais très bien que je n’ai rien fait depuis deux ans, mais c’est toujours ainsi, tu es si absolue en tout !" Et sur ma demande pourquoi elle ne m’avait pas dit qu’elle désirerait assister aux leçons, elle me répondit : " Depuis que tu ne me réponds plus, je ne demande plus rien. C’est comme pour Duchêne, l’Archiduchesse a su qu’il lui donnerait des leçons, tu as tout arrangé avec Latour, mais moi je n’en ai rien su " Quand je l’ai vue si montée, je me suis tue. Il n’est pas vrai que j’ai parlé à Latour pour arranger les leçons de Duchêne, peut-être lui ai-je dit que l’Archiduchesse en prendra aussi, mais je ne pourrais même le jurer et si j’ai pensé que ce serait bien pour l’Archiduchesse qu’elle eût ce maître, j’ai aussi dit que pour Caroline ce serait un soulagement que cette leçon de moins. Je vois avec tristesse et effroi que tout ce que je fais lui porte ombre et qu’elle, si indulgente pour les autres est bien sévère ou, pour mieux dire, me juge bien faussement. Dois-je croire que c’est jalousie ? amour-propre froissé ? Je ne sais vraiment à quoi m’arrêter ; mais quand elle prend ainsi la mouche la vie avec elle n’est ni facile ni agréable. Ces airs de découragement, de victime, me froisseraient excessivement si je me laissais aller à mes impressions. Mais Dieu me préserve de l’aigreur tant je la trouve insupportable chez les autres ! Quant à partager l’autorité, c’est ce que je ne ferai jamais, premièrement parce que la responsabilité ne cesserait de peser sur moi et secondement, parce qu’au lieu de petits désagréments de quinze en 14, nous en aurions à chaque instant ; et qui en souffrirait ? L’Archiduchesse qui ne saurait plus à qui s’adresser.

Le petit Prince a été on ne saurait plus gentil à sa leçon, ni plus affectueux ; l’Archiduchesse est comme à l’ordinaire ; nous verrons demain. Je voudrais que ce moment fût passé ! En tout cas je la sentirais plus vivement qu’elle, ce qui n’est que trop naturel. Ces Messieurs sont très aimables pour moi et m’assurent que je leur manquerai. Serait-ce , sans bien s’en rendre compte, une pierre d’achoppement ? Quoi qu’il en soit, je regrette de devoir partir sous cette impression. Elle ne s’en rendra pas compte, ou au moins ne l’avouera jamais, parce qu’elle est très entêtée, mais sa conduite n’est guère amicale ; ce soir en me disant adieu sa physionomie était froide comme du marbre, et si dans l’après-midi je n’avais commencé à lui parler elle n’aurait pas desserré les dents. Je la plains bien, la pauvre fille, avec ce caractère, elle ne peut être heureuse malgré toutes les belles qualités qu’elle possède ; sa raideur, sa susceptibilité, la rendent difficile à vivre et ces défauts ne font qu’augmenter. Toni s’en aperçoit tout comme moi.

 

Schönbrunn, 27 novembre 1866.

 

Nous sommes arrivés ici le 12 de ce mois seulement, retenus à Ischl par le choléra qui faisait des ravages à Vienne et dans les environs. Ce livre était resté à Vienne, je n’ai pu y écrire la relation de mon voyage et depuis que nous sommes ici je n’en ai pas trouvé le moment. Les premiers jours Caroline était souffrante d’un inflammation de gorge qui nous a fait craindre de devoir la laisser à Ischl pour quelques jours, et le 17, Toni, qui est installée à Vienne, puisqu’au 1er janvier son mari entreprend l’éducation du petit Königsegg, Toni, dis-je, a donné le jour à une petite fille qui les comble de joie tous les trois.

Je vais donc tâcher de reprendre mon journal du jour où je l’ai laissé, c’est à dire du jour de mon départ de la villa Kochmeister, le 10 du mois d’août. Vers 3 heures de l’après-midi l’Impératrice y arriva. Je ne tardai pas à faire mes adieux. Sa Majesté me chargea de ses compliments pour ma mère et s’exprima ainsi : " Dites à votre mère combien nous vous aimons tous ! " Ma pauvre petite Archiduchesse pleurait à chaudes larmes et le bon petit Prince, auquel je parvins à baiser la main, baisa bien vite la mienne devant l’Impératrice, ce qui me rendit toute confuse. Ces Messieurs furent très amicales (sic), Hélène Taxis aussi et ma bonne vieille Caroline pleurait de bon cœur. Nous nous quittâmes comme si rien n’avait eu lieu précédemment et je me rendis à Ofen pour y faire mes malles ou au moins être présent à l’emballage. Marie Horn vint me voir le soir même. Le 11 à 9 heures du matin je quittai le château d’Ofen. Le trajet jusqu’à Vienne fut long. Avant Presbourg nous dûmes quitter les wagons et faire un bon petit trajet à pied pour reprendre un autre train, le pont sur lequel on passait précédemment ayant été rompu à l’approche des Prussiens. C’était triste à voir…

Entre 7 et 8 seulement j’arrivai à Vienne dans la maison Sternberg où la Ctesse Stadion m’attendait. C’était un samedi . Le dimanche à 4h. ½ de l’après-midi je partis pour Strasbourg où je couchai. J’y vis Antoinette et le 14 à 10h. et quelques minutes du matin je prenais la route de Paris où j’arrivai à 9h. du soir. Joséphine Dégoutin m’avait attendue à Nancy et accompagnée jusqu’à Toul et à Epernay j’avais trouvé Caroline avec son mari et trois de ses filles. A la gare je cherchai Fanny sans pouvoir la trouver pensant que cette pauvre fille m’attendait debout depuis bien longtemps. J’arrivai à l’hôtel des Ministres (Rue de l’Université, 32) bien avant elle et là j’appris que ma mère n’était pas à Paris ce qui me chagrina fort. Ma bonne sœur ne tarda pas à arriver et nous trouvâmes une lettre de Pol qui nous annonçait son arrivée pour le lendemain, il avait obtenu une permission de 48 heures et il venait les passer avec nous, ce qui me rendait bien heureuse ! Je ne parle pas du plaisir que j’ai éprouvé en revoyant ma sœur, ces choses là ne s’expriment pas.

Mercredi 15, je fus éveillée par le bruit du canon – je priai pour…la France. Bientôt Pol arriva. Le premier moment me fut très douloureux. Il me retraça notre dernière entrevue auprès de notre bien-aimé mourant…Combien ce cher ami me manque pendant ce séjour en France…A chaque instant le vide se faisait sentir à mon cœur…Il ne se comblera jamais – et pourtant tous ont été bons et excellents pour moi et jamais même je n’ai autant joui de ma bien chère mère, puisque j’ai eu le bonheur de ne pas m’en séparer jusqu’au dernier moment .

Mais je reviens au 15. Nous allâmes tous les trois à la messe à St Thomas d’Aquin. Madame Le Catois vint me voir, je ne bougeai pas de la journée et me couchai de bonne heure après avoir eu la visite de Mr Huvet qui approuve les bains de mer et me dit que je n’avais pas de sang. Ce jour là il ne me plut pas, je le trouvai excessivement préoccupé et peu à son affaire. Le 16 à midi nous sortîmes avec ma sœur pour les commissions de l’Impératrice, des turcos chez Giroux, pour les Altesses, des bas au Petit St Thomas et enfin à l’ambassade d’Autriche où je parlai au secrétaire, le comte Mulinen, relativement aux commissions à expédier. En rentrant nous trouvâmes ma mère et Thérèse que Pol était allé chercher à la gare. Les Pouilly étaient là, ce qui me gêna fort : j’aurais voulu être seule en ce moment . Je trouvai ma mère si vieillie que mon cœur en fut brisé. C’était la fatigue du voyage, mais surtout l’émotion du revoir. Pauvre mère ! elle aussi aura pensé à notre séparation d’il y a 4 ans… Thérèse m’a paru d’une grandeur démesurée, j’avais peine à me figurer que ce fût elle. Le soir notre pauvre Pol nous quitta déjà et je ne le revis plus, ce qui était bien sûr !..

Le 17 à 8h. du matin, nous quittâmes l’hôtel pour prendre le train omnibus à 9h. et arriver à Arromanches vers 8h. du soir. C’était bien le trajet le plus ennuyeux, le plus fatiguant qui se puisse imaginer !..Nous arrivâmes à Arromanches sans savoir où nous logerions. Fanny qui avait déjà tout fait le matin, s’occupa encore du logement et nous fûmes casées très convenablement, seulement au 2ème et plus grandement que nous n’en avions besoin. Heureusement le lendemain, je trouvai à sous-louer à un abbé de Belleville nommé Rheinhardt et sa sœur. Nous nous liâmes assez avec cet abbé qui est fort bien et de ressources. Sa sœur est bien bonne fille mais sans éducation. Les bains de l’abbé faisaient le bonheur de ma bonne mère ; et en effet, rien de plus comique dans l’eau : un chat craignant de se mouiller.

Arromanches est un joli petit endroit ; mais seulement agréable quand on y tient ménage et qu’on n’est pas souffrant. Le confort y manque complètement ; pas de cabine, si bien qu’il faut attendre que la mer soit près de ses bords pour prendre ses bains, ou bien courir à une longue distance dans son costume léger, ce qui est fort désagréable quand il y a du vent ou que le temps est mauvais, sans parler de la gêne de courir ainsi devant tout le monde. On vient se rhabiller chez soi ou à l’établissement dans un petit cabinet très étroit et d’un primitif parfait.

De plus les habitants d’Arromanches ne font absolument rien pour attirer les baigneurs. Il n’y a pas de police, tout se vide sur la plage, les pêcheurs y arrangent leurs poissons ; c’est parfois une puanteur infecte et bien malsaine, je n’en doute pas. Si dans deux ans j’ai le bonheur d’aller voir ma bonne mère et que quelques bains de mer me soient ordonnés, ce n’est pas là que j’irai, bien certainement et d’autant que je n’aurai plus jamais le bonheur d’y mener maman avec moi, car cette année déjà ce séjour lui a fait mal au point que j’ai craint de ne pouvoir la conserver tout le temps. Etait-ce la fatigue, le changement de nourriture, ou l’air trop vif ? Je n’en sais rien ; mais comme ce sont trois choses qui resteront toujours inévitables, je ne dois plus songer à déplacer cette bien-aimée mère. Fanny resta avec nous jusqu’au 4 7bre qu’elle partit avec Thérèse et les Blangy qui étaient venus nous faire une visite de quelques jours. Son départ nous laissa un grand vide, mais elle ne voulait pas laisser son mari plus longtemps seul, et je le conçois. A partir de ce jour-là, le temps qui avait été passable depuis notre arrivée se brouilla complètement et je ne sais si jusqu’au 18 nous eûmes 2 jours sans pluie et sans vent. Mme de Guéroult nous avait recommandés aux dames de Droullin qui habitent Arromanches depuis quelques étés, et l’hiver Bayeux. Mme de Droullin peut être une excellente femme, mais ne m’est pas sympathique, tandis que sa fille Adrienne me convient et que je m’y suis sincèrement attachée. Elle est bien à plaindre ! Une maladie des os et de la moelle épinière la rend presque tout à fait infirme ; mais bien pis que cela, car elle supporte les souffrances physiques avec héroïsme, son âme n’est pas au repos ; elle ne rêve que de devenir religieuse de la Visitation et elle n’est pas sûre de sa vocation. Ceci fait le tourment de sa vie ! Aussi, combien je demande à Dieu de l’éclairer sur sa sainte volonté. Après le départ surtout, nous vîmes beaucoup de dames. J’eus avec Adrienne à l’église, après la messe et quand tout le monde était sorti, 2 longues conversations bien intimes et qui nous firent du bien à toutes les deux. Sa mère ne la rend pas heureuse, je m’en doutais ! Je quittai cette belle âme avec regret ; et d’autant que ma correspondance avec elle ne peut être active comme je l’aimerais. Nous retrouverons-nous jamais?

Après des jours bien tranquilles pendant lesquels j’ai entièrement joui d’une bonne mère que j’ai appris à vénérer comme une sainte, tant elle est parfaite, nous quittâmes Arromanches le 18, et vînmes coucher à Paris, toujours à l’hôtel des Ministres. J'y avais donné rendez-vous à Julie Barbier qui m’y amène sa fille, grande et jolie personne dont je conserve un charmant souvenir. Le lendemain 19, à 5h. du soir, nous arrivions à Montargis où ma sœur, son mari et Thérèse nous attendaient. Quel bon moment que celui du revoir ! Ma mère reprit bien vite ses habitudes, sa bonne santé, tout le monde me choya, parut heureux de m’avoir, c’était bien bon et j’en ai bien joui ! Chaque samedi, ma chère petite Archiduchesse et Caroline me donnaient de leurs nouvelles ; tout allait très bien à l’exception de ma santé : mes jambes n’étaient pas meilleures et je souffrais beaucoup de l’estomac, au point que mon sommeil en était troublé et que je passais bien des nuits blanches. C’était peu encourageant après avoir fait tant de sacrifices pour l’améliorer. J’avais encore consulté Huvet à mon retour à Paris, il ne voyait qu’un épuisement général, un grand besoin de fortifiants. Mr Bizet, le médecin de la Volve, parla dans les mêmes termes et ainsi s’approcha le jour de mon départ. Caroline, sachant que Pol ne pourrait arriver à la Volve que le 15, avait fait son possible près de l'Impératrice pour m’obtenir une huitaine de prolongation. J’avais espéré moi-même qua Sa Majesté les offrirait mais il n’en fut rien. Donc, le 11 octobre à 11h. du matin il me fallut dire adieu à ma bien aimée mère. Ses derniers mots furent : " Va, ma bonne fille, aie courage, je prierai tant le Bon Dieu qu’il te rendra les jambes et te guérira ". Ces bonnes paroles me donnent plus de courage que tout le reste. J’espère en Dieu et dans les bonnes prières de ma sainte mère. Ce moment fut affreux pour moi et, à l’exception de la première fois, je ne me souviens pas avoir eu tant de peine et besoin d’autant de temps pour me refaire à la séparation des miens.. Fanny et son mari m’accompagnèrent ; mon beau-frère jusque Montargis, ma sœur jusqu’à Paris. Ma pauvre Fanny fit tout pour m’épargner la moindre fatigue. Je ne l’ai jamais trouvée aussi affectueuse, et pourtant, à plusieurs reprises, j’avais dû lui faire beaucoup de peine, par mes réflexions sur sa manière d’élever sa fille et même d’être avec son mari. Au lieu de m’en vouloir elle comprit le motif qui me guidait et suivit mes conseils. Thérèse est une enfant très douée mais très volontaire, capricieuse, désobéissante, en un mot elle a grand besoin d’être tenue avec sévérité. J’en faisais ce que je voulais et cependant elle m’aimait. Bien dirigée avec fermeté, calme, douceur et patience on en fera quelque chose de charmant.. Gâtée elle ferait le chagrin de ses parents au lieu d’être la consolation de leurs vieux jours. Combien je demande à Dieu de donner à ma sœur les qualités nécessaires à la conduite de cette chère enfant qui m’intéresse si vivement.

Nous ne fîmes que traverser Paris, nous rendant de la gare de Lyon à celle de Strasbourg où nous avions donné rendez-vous à Mlle de Saint Paulet, jeune fille parfaitement née mais sans aucune fortune et dont sa tante, la Ctesse de Guillebon, m’avait parlé comme d’une jeune fille possédant les qualités solides qui sont requises pour faire une bonne institutrice. Elle fut exacte, et là nous fîmes connaissance. Elle me semble en effet mériter l’intérêt que réclame sa position et j’aurais été heureuse de lui être utile mais pour le moment ce n’est pas chose possible et j’aime à croire qu’au lieu de s’expatrier elle trouvera à faire un bon mariage.

A 8h½ nous nous dîmes adieu !..Ma pauvre sœur était tout aussi triste que moi…Ce sont de ces moments qui font payer cher les joies du revoir et cependant je serais bien triste de n’avoir pas fait ce séjour dont j’ai rapporté de si bons souvenirs.

Je passai la journée du 12 à Strasbourg où Antoinette fut bien bonne pour moi et le 13 au matin je partis pour Salzbourg où j’arrivai vers 1h. du matin. Je fus parfaitement à l’hôtel de l’Europe, un des meilleurs que j’aie rencontrés. Le lendemain dimanche j’entendis la messe à la cathédrale, puis à 10h. je repartis enchantée de Salzbourg qui est dans une position délicieuse et tout le long de la route qui me conduisit à Ischl, je regrettais que ma bonne sœur ne fût pas à mes côtés ! Elle aurait si grandement joui de cette belle nature…

En approchant de ma destination, je regardais sans cesse la route au loin, en me demandant si ma petite dame viendrait ou non au devant de moi. Tout à coup, assez loin encore de Strobel, je l’aperçus avec ma bonne Caroline. Ce furent des cris de joie, des sauts, des embrassades indescriptibles. Elle me fit bien vite monter dans sa voiture. Je rencontrai à Strobel le père Mayer, le secrétaire de l’Impératrice, le schulrath ; tous parurent bien aise de me revoir, ma bonne Caroline, elle, en était tout attendrie. Je trouvai un excellent dîner préparé par les ordres de l’Archiduchesse mais, avant que je me misse à table, la Ctesse Königsegg était déjà là avec Féri et aussitôt le bon petit Prince et ces messieurs. Pendant que je baisais la main de Monseigneur il effleura ma joue me demandant avec instance comment je me portais. Un peu plus tard l’Impératrice vint chez sa fille où j’étais, m’embrassa en me disant qu’elle était contente de me revoir et me parla beaucoup des miens. Elle ne sembla pas comprendre que 8 jours de congé de plus m’auraient procuré le plaisir de passer encore quelques bonnes heures avec mon bon Pol ; et cependant Caroline avait fait son possible pour l’amener à me donner cette permission. Sa Majesté n’a-t-elle pas voulu l’accorder ou bien n’a-t-elle pas pensé à me la faire offrir, c’est sans doute ce que je ne saurai jamais.

Tous les gens de la Kammer m’accueillirent avec le sourire sur les lèvres et mon Anna était radieuse. Pour moi, j’étais pénétrée de reconnaissance, mais fatiguée et surexcitée au dernier point ; je ne pus pas fermer l’œil de la nuit. Le lendemain, aussitôt que je le pus, j’écrivis 8 longues pages à la Volve, sûr du bonheur qu’y causerait ma lettre.

Des ennuis domestiques m’attendaient. Caroline me rapporta plusieurs choses qui me firent ouvrir les yeux sur Essel  le premier laquais, qui ne m’avait jamais plu, et après m’être assuré de bien des choses, j’en fis demander un autre au Cte Grunne. Cet exemple fera bon effet, je n’en doute pas.

Quant à l’Archiduchesse, mon amie avait mené les choses en véritable amie ; tant d’autres auraient profité de mon absence pour se faire une position moins secondaire ; elle y mit toute sa modestie et aussitôt mon retour rentra dans son rôle passif. Ceci doit me faire oublier bien des petits moments pénibles et me mettre de plus en plus en garde de l’offenser.

Mrs Huvel et Bizet m’ayant dit qu’un traitement hydropathique modéré pourrait me faire du bien, j’essayai d’un drap humide chaque matin et pour plus de sûreté à la frotteuse de Sa Majesté comment je devais m’y prendre. Celle-ci demanda à la Ctesse Königsegg la permission de me le montrer – en un mot Sa Majesté en sut quelque chose et m’engagea à prendre cette femme pour me faire frotter. J’acceptai avec reconnaissance et le 22 octobre je commençai cette cure. Arrivée ici, ces frottements me surexcitant par trop, je fis venir le docteur Lienhard, directeur de l’établissement d’où est ma femme et je le consultai. Il prétend que cet état de souffrance provient de congestions à la moelle épinière et qu’à la longue il pourra me guérir. Il pense qu’au printemps je serai infiniment mieux, sinon rétablie. Dieu le veuille !.. Il m’ordonna des bains froids à 20 degrés pendant lesquels on me versera sur l’arrière de la tête et le long du dos, de l’eau à 16 degrés ; en sortant je serai séchée par l’air de la fenêtre ouverte, ce qui m’effraie, je l’avoue, et au moyen du vent que ma femme procurera en agitant un drap. Je n’ai pas voulu commencer pendant l’absence de Caroline, ne sachant pas comment je m’en trouverai et ayant besoin de garder mes forces en son absence. Mais je reviens à Ischl où nous avons encore eu de si beaux jours. Nous en avons profité autant que possible pour faire de belles promenades, pour ma part en voiture, puisqu’au bout d’une demi-heure je suis hors de combat. J’ai retrouvé l’excellent curé avec grand plaisir ; il fait grand bien à mon âme.

 

Samedi 1er décembre. 1866

 

J’ai bien mal à la tête, je me sens très abattue, et pourtant je voudrais profiter de la leçon de Richter pour avancer un peu mon journal, resté si en arrière.

Je parlais donc d’Ischl où j’ai encore passé 4 bonnes semaines. Deux jours avant notre départ Caroline a gagné une inflammation de gorge qui nous a fait craindre qu’elle ne pût nous suivre. Heureusement la fièvre et quoiqu’elle fût bien faible et souffrante encore elle est partie avec nous le 12 de novembre. Arrivée ici elle s’est encore soignée pendant 2 jours puis elle est allée que nous ne croyions pas encore si près de sa délivrance. Le 15, je suis allée dîner chez la Ctesse Stadion, c’était bien bon que j’eusse profité de ce jour, puis que depuis il ne m’a plus été possible de bouger. Une fois cependant, Lili s’est chargée de l’Archiduchesse et j’ai pu aller voir Toni et sa petite fille. Demain je recommencerai si rien ne survient jusque là.. Combien je remercie Dieu de m’avoir soutenue jusque là. Je voudrais bien que cela allât encore jusqu’à jeudi 6 ; mais ce soir je me sens déjà bien bas. Il est vrai que la promenade d’aujourd’hui, par ce temps de neige, était bien pénible. Je suis toujours heureuse quand ce moment de la journée est passé, tant il me coûte !

Je reçois bien souvent des nouvelles de ma bien aimée et de ma sœur et cela me fait grand bien ! Hier, Antoinette, qui arrive de France , m’a apporté une lettre que Fanny lui a écrite, peignant si bien son affection pour moi , qu’elle a voulu m’en faire jouir.

 

Mercredi 5.

 

Vendredi dernier j’ai été si contente de ma petite Archiduchesse que je veux l’écrire ici afin de ne jamais l’oublier. Nous étions à table et avions entre autres une purée de lentilles dont elle ne prit que par obéissance, la détestant autant que faire se peut. Cette malheureuse purée ne s’avalait qu’avec d’affreuses grimaces, quand je me rappelai soudain que c’était vendredi et le rappelai à ma petite Altesse en disant : "tout ce qu’on fait pour Dieu devient si facile", essayez-le. D’un mouvement spontané elle me tendit son assiette en prononçant ces mots : " Puisque c’est pour le Bon Dieu, donnez m’en encore ! ". Je fus touchée profondément et ne voulus pas abuser de sa bonne volonté, l’assurant que notre bon Père serait content des efforts qu’elle allait faire pour lui être agréable. Aussitôt elle acheva sans sourciller ce qui avant lui avait paru impossible. Que je remercie Dieu que le cœur de cette chère enfant se développe aussi bien et que je lui demande ardemment de m’éclairer de son esprit divin afin que je dirige toujours cette bonne petite selon ses vues !

Ce soir Caroline vient coucher ici pour reprendre son service demain matin. Je suis bien heureuse de ne pas avoir été forcée de la rappeler plus tôt. Elle quittera sa sœur tranquillisée et remontée, j’aime à le croire. Toni va aussi bien que possible. J’ai pu la voir dimanche, comme je l’espérais. La petite prospère, sa nourrice est bonne et lui convient, il n’y a donc plus que l’arrivée du papa à désirer.

Hier j’ai commencé mes bains. Cette nuit j’ai très bien dormi. Aujourd’hui j’ai pu marcher une heure, à trois reprises, il est vrai. La première partie a été d’une demi-heure, puis nous sommes allées en voiture pendant au moins 20 minutes, redescendues pour un quart d’heure, la boue nous ayant empêchées d’aller plus loin, remontées et enfin descendues à Hientzing et rentrées ici à pied. Je ne me sentais pas par trop fatiguée ; mais ce soir mes jambes sont raides, me font mal et je voudrais ne plus même avoir à me transporter d’une chambre dans l’autre. Malgré tout j’espère que ces bains, qui me sont agréables, me feront aussi du bien.

Le 3, j’ai eu de bonnes lettres de maman, de Fanny , puis une de Pol qui est dans le ravissement d’être devenu adjudant et d’avoir sa chambre à lui. Le pauvre enfant (Pol a alors 29 ans)n’avait jamais joui de ce bonheur que quand il était en congé. Fanny et Thérèse doivent être à Nouville où mon beau-frère ira les rechercher. Maman m’écrit qu’elle ne s’effrayait pas du tout de sa solitude.

 

Dimanche 16. décembre. 1866

 

Hier matin les Sternberg sont enfin arrivées et j’ai pu aller faire une bonne pause chez elles, c’est à dire de 4 à 7h1/2 du soir. Je les trouve moins engraissées cette année que les précédentes ; elles sont si énormément grandes qu’elles auraient besoin d’avoir plus de corps. Cunégonde m’a paru avoir le teint jaune comme si elle inclinait aux pâles couleurs ; Caroline est terrible, la pauvre fille ! Elle devient tout à fait de travers, Philippe enlaidit de plus en plus tandis que Louis me semble avoir un peu gagné. Ce sont de pauvres enfants qui auraient grand besoin d’un autre genre de vie ; mais comment le faire comprendre aux parents ? Et en ceci ils sont l’un et l’autre si peu raisonnables ! La pauvre Charlotte m’a fait de la peine tant elle a mauvaise mine ; cette fille me semble trop surchargée et finira par tomber là.. En tout, cette visite ne m’a satisfaite que pour le cœur : j’ai retrouvé mes grandes filles et leur bonne mère affectueuses comme par le passé, mais pour le reste, j’y trouve beaucoup à désirer, beaucoup à faire et personne qui l’entreprenne ! Ceci ma désole et d’autant plus qu’ils sont tous si contents d’eux, si aveugles sur ce qui leur manque !

 

Lundi 17.

 

Hier matin j’ai été voir Toni qui est retenue dans son lit par une glande au sein, un reste de lait, dit-on. Son mari doit être arrivé ce matin si la masse de neige qui est tombée n’a pas interrompu les communications. Je suis contente pour eux deux de ces bons jours de vacances dont ils vont jouir jusqu’au 1erjanvier.

 

 

 

 


 

SUITE


 

 

 

 

 

 

 

 

 

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