Mardi 6.
Hier, avant de me coucher, j’avais préparé tous les présents de la St Nicolas, n’espérant pas, au fond, qu’ils auraient eu tant de succès car ce sont les joujoux les plus simples qui se puissent imaginer. Chez les enfants et ceux-là surtout la quantité et la nouveauté font le meilleur effet. J’ai remis aujourd’hui à la G.M. la lettre de Heider, je suis curieuse de ce qu’elle me conseillera d’y répondre. On voit combien ce pauvre homme est sensible à ce qu’on lui ait enlevé le Kronprinz. Il me semble qu’on aurait dû lui éviter ce chagrin et que le Cte Gondrecourt y a été un peu trop militairement. Une intrigue, dirigée par je ne sais qui, me semble au fond de cette affaire. Les enfants se sont rencontrés et promenés dans le jardin de l’Impératrice qui de sa fenêtre les a appelés pour donner un St Nicolas au Prince ; elle est descendue au jardin et s’est promenée sans rien sous sa véranda exposée au vent et quoi qu’elle toussât bien fort ! Je lui ai trouvé mauvaise mine. Reçu ce matin la dernière lettre de Sternberg. Dieu donne que le rhume de Louis soit entièrement passé et qu’ils arrivent vraiment le 8.
Mercredi 7.
Fort givre et temps couvert toute la journée. Je crains que ces pauvres enfants n’aient bien froid pendant le voyage. La Ctesse trouve comme moi qu’il vaut mieux que je parle avec Heider. J’entrerai donc en ville pour cela un matin. Demain elle se chargera de l’Archiduchesse pour la promenade ; je pourrai aller chez les Sternberg à 2 heures et y rester jusqu’à 6 moins ¼. Notre promenade de l’après-midi a été d’entrer à Vienne pour y féliciter l’Archiduc François-Charles qui célèbre son 63e anniversaire si je ne me trompe. L’Empereur avait eu la grâce de descendre lui-même pour me dire de mener l’Archiduchesse chez son grand-père. Il est vraiment d’une politesse que je n’ai pas été à même de remarquer chez ses seigneurs. L’Archiduchesse Sophie a été vraiment aimable, m’a témoigné de l’intérêt même. Marie Horn a eu l’attention de m’envoyer quelques lignes par Baab pour me dire qu’elle sait par la Ctesse Thun que la grand-maman est satisfaite de mon gouvernement. Dieu en soit béni ! Ce soir je suis allée chez la Ctesse Stadion où j’ai trouvé la Ctesse Sophie qui m‘a dit qu’en ville on parlait beaucoup d’une Grande Maîtresse comme d’une chose indispensable et que cela la fâchait excessivement. Je l’ai priée en grâce de ne pas le montrer si vraiment Leurs Majestés jugent à propos d’en donner une à l’Archiduchesse, le monde finirait par croire que j’en suis blessée et, forte de la promesse que l’Impératrice m’a donnée, que personne ne se mêlerait de l’éducation, une Grande Maîtresse, si elle comprend son rôle, ne pourrait que m’être un soulagement.
Jeudi 8. décembre 1864
A la messe de 8h ; parlé en revenant à Ritter qui m’a fait des compliments de Waltersdorf. A 2h partie pour la Landstrasse, revoir qui m’a bien émue ! Je pourrais dire : " Nous " - car toutes nous éprouvions le même sentiment. Le comte même a été aussi aimable qu’il peut l’être. Ma bonne petite Caroline était un peu embarrassée d’abord mais bientôt elle s’est fondue et m’a témoigné toute sa tendresse; elle avait le cœur bien gros quand je suis repartie, et moi aussi ! Enfin Dieu l’a voulu ! Je suis fâchée de manque de charité envers Mlle H. Je trouve qu’elle ne mérite pas qu’on l’invite au Christbaum, car l’année dernière elle s’est montrée prétentieuse à l’excès et une bonne leçon peut lui faire du bien ; mais cependant au lieu d’approuver hautement la Ctesse dans ce projet, j’aurais dû rester neutre. Il paraît qu’elle s’est bien fait connaître depuis mon départ. Quelle triste chose qu’un caractère difficile quand il faut gagner son pain chez des étrangers ! J’ai quitté mes bons enfants à 5h et ne sais encore quand je les reverrai ; tant que nous sommes ici, c’est à peine possible, tant le temps que je puis leur donner est court si je ne veux pas être trop fatiguée pour le lendemain. Un de ces matins j’entrerai en ville pour parler à Heider ; je ferai mon possible pour pousser jusque chez elles.
Vendredi 9.
Première neige, ce qui charme l’Archiduchesse. Pour la première fois aussi Sa Majesté à laquelle j’avais fait le matin demander l’honneur d’un entretien, m’a fait dire de monter chez elle. J’étais extrêmement émue, ce que j’ai lieu d’attribuer à une cause physique, c’est à peine si je pouvais parler aussi intelligiblement que je le voulais. Je me suis remise cependant, Sa Majesté m’a accordé le Maître de calcul, l’inscription de l’Archiduchesse dans l’association où on travaille pour lers pauvres églises, affaire que nous arrangerons avec la Ctesse Königsegg aussitôt que nous serons en ville. J’ai pu raconter à Sa Majesté une quantité de choses concernant l’Archiduchesse. Elle trouve elle-même que son caractère gagne au changement qui a eu lieu et sur l’assurance qu’elle m’en a donné si gracieusement, portée par un sentiment de reconnaissance et de joie j’ai voulu lui baiser la main ; elle ne l’a pas permis et m’a tendu sa joue, que je ne me suis pas permis de baiser, bien entendu, mais que je crois avoir effleurée. Ensuite elle m’a parlé des Sternberg ; je sais par la G.M. qu’elle aurait voulu les engager tout de suite à dîner pour les remercier, mais la G.M. dans sa bonté, a tout de suite pensé que ma comtesse pourrait se refroidir en venant ici, en a fait l’observation à Sa Majesté et je crois que l’invitation est remise à Vienne. L’Impératrice m’a dit que Caroline serait une petite compagne pour l’Archiduchesse, ce qui me charme ! et j’ai profité de l’occasion pour demander ce que j’ai à faire au cas où je rencontrerais les Sternberg ou d’autres petites compagnes quand je suis avec l’Archiduchesse. Dans sa simplicité charmante Sa Majesté m’a dit qu’elle-même n’en savait rien, que quand elle était enfant c’était un autre cas, qu’elle en parlerait à l’Empereur et me le dirait ensuite. Je suis sortie émue et enchantée de cet entretien. Mon Dieu comment vous remercier de tant de grâces ? Oh ! permettez que l’Impératrice reste toujours ce qu’elle est, que je n’en conçoive jamais de l’orgueil, en un mot que constamment j’ai bien présent que rien n’arrive sans votre permission. Donnez-moi le tact nécessaire et la force de supporter le bon comme le mauvais.
Samedi 10.
Ecrit aux 2 W. et envoyé par Becker. Fait demander à mes enfants leurs plans pour le jour même. La Ctesse a eu la bonté de me répondre qu’elles vont toutes chez la Ctesse Stadion et m’a engagée à aller les y joindre, ce que j’ai fait. La jeune Stadion est arrivée de Moravie. J’étais trop loin d’elle pour lui demander des nouvelles de Mlle Morel. Je suis restée jusqu’à 10h entre mes 2 grandes filles qui étaient heureuses de me revoir, les chères enfants.
Dimanche 11. décembre1864
Après la messe de 8h , donné à Mr Richter les heures qui lui sont destinées. Il me semble qu’il sera un maître selon mon goût; il n’y a que celui d’écriture qui me soit désagréable, presque antipathique si je ne me donnais de la peine pour ne pas me laisser aller à ce sentiment. Hier je lui ai dit qu’il n’aura plus qu’une demi-heure à l’avenir, ce qui ne semble pas le flatter ; mais c’est vraiment autant qu’on peut demander de l’Archiduchesse, 1h entière l’ennuyait affreusement ; c’est la seule leçon, pendant laquelle j’ai besoin de la rappeler à l’ordre. Elle est heureuse de l’arrangement que j’ai fait. Une lettre du jeune W., reçue aujourd’hui et écrite samedi soir avant que la mienne lui ait été remise, je le vois, me découragerait un peu, si je ne comprenais le sentiment qui l’agite et ne connaissais sa prédisposition à tout peindre en sombre. Terminé une lettre pour Mme de Nouville que j’ai fait partir aussitôt. Comme nous sommes revenues au Parterre pour y rejoindre le Kronprinz, Mr de Latour est venu nous prévenir de la présence de l’Archiduchesse Sophie. Pour la première fois j’ai vu la Ctesse Zamoïska qui me plait et me semble une femme d’esprit. La visite a été courte, nous sommes remontées toutes pour la bénédiction. L’Archiduchesse n’a pas eu ses petites compagnes qui sont toutes enrhumées, mais d’abord la Pcesse Taxis nous a aidées à jouer ; puis l’Archiduchesse s’est beaucoup occupée de ses poupées, le temps a passé bien plus facilement que nous ne l’avions pensé.
Lundi 12.
Ce soir je verrai mes chères enfants soit chez Thun soit chez Paver. La journée de lundi ne s’est pas passée sans m’apporter une lettre du vieux W. qui paraît heureux ! Espérons que les choses iront pour le mieux ! L’après-dîner nous avons rencontré l’Impératrice qui a fait quelques pas au devant de nous et, avec l’Archiduchesse est allée ensuite vers la bassin sur la glace duquel se trouvaient l’Empereur et son fils. J’avais 3/4h à ma disposition; j’en ai profité pour monter chez la Ctesse Hunyady qui viendra me remplacer jeudi pour que je puisse aller chez Heider. Je commencerai par la Landstrasse. Le soir, à son coucher, l’Archiduchesse s’est plainte d’une grande fatigue : ses yeux ne m’ont pas paru naturels. Je suis allée chez les Thun , où toute le famille de ma bonne Ctesse, c’est à dire mari, enfants, mère et sœur étaient réunis. Les manières de Cunégonde ne m’ont pas tout à fait plu; elle a quelque chose de brusque, de polichinelle, que je veux lui faire observer, parce que ce n’est pas de l’aisance, comme elle croit s’en procurer. Zdenka se mord les lèvres plus que jamais. Je ne les trouve pas à leur avantage et cela me contrarie ! elles pâlissent excessivement auprès de Julia et de Carla qui sont si belles femmes. Il faut que je m’informe si Cunégonde fait usage du Kornbrandwein - je ne l’ai pas remarqué et espère que non, car il n’aurait pas d’effet jusqu’ici. Mlle Horn , qui a été à la Ungargasse ces jours-ci et s’est trouvée seule avec Charlotte me dit que la pauvre fille a tant pleuré en parlant de moi. Elle m’est vraiment attachée et je ne crois pas me tromper en pensant qu’elle désirerait quitter pour me servir - j’ai même peur qu’elle ne me le dise, parce que c’est une chose tout à fait impossible, on y tient trop dans la famille. Si au moins on le lui prouvait d’une manière matérielle mais la pauvre est vraiment misérablement payée. La pauvre Ctesse Stadion regrette énormément nos a parte. Moi aussi, d’une façon ; mais je m’y laissais aller avec trop d’abandon, et à force de tendresse la pauvre bonne Ctesse pourrait me nuire : il est nécessaire que je me rappelle les conseils de sœur Marie Michel. A mon retour à Schönbrunn l’horizon était en feu ! On m’a dit que c’était le magasin au bois de la ligne du Sud qui était en feu. A mon retour l’Archiduchesse s’est éveillée.
Mardi 13. décembre 1864
Bien mauvaise nuit ! L’Archiduchesse s’est remuée sans cesse, j’étais agitée de ma soirée, du feu, je n’ai pu m’endormir et vers 4h il a fallu se relever pour l’Archiduchesse qui a eu une espèce d’indigestion dont elle s’est ressentie toute la journée. Je n’ai pas eu une minute à moi et j’avoue que vers le soir je me suis senti le cœur gros de découragement. L’Impératrice est venue 3 fois, l’Empereur 2. La dernière ils sont restés longtemps près de l’enfant qui semble mieux ce soir quoique j’aie bien peur qu’elle ne vomisse sa soupe comme elle l’a vomie dans la journée. J’aurai besoin d’une bonne nuit : mon cœur est triste, oppressé et se reporte avec désir vers mes chères enfants. Peut-être sont-elles au théâtre ce soir ? Jeudi prochain, au soir, elles attendent Mlle Bossard. Caroline s’en réjouit ! ! ! Au fond ce n’est que tout naturel, la pauvre enfant est jetée de l’une à l’autre sans savoir à qui elle appartient. Il est bien temps que cela cesse.
Mercredi 14.
La nuit a été très bonne, l’archiduchesse est remise, grâce à Dieu ! seulement elle ne sortira pas aujourd’hui pour plus de précaution. La journée a été longue et ennuyeuse ! Les Majestés sont venues vers 4h. Je voudrais savoir si l’une d’elles se demande si je sors ou non ? Je ne crois pas qu’on y pense et pourtant l’Impératrice pour elle-même aime tant le mouvement, l’air, regarde l’un et l’autre comme choses si nécessaires à la santé. Mais l’a-t-on habituée à penser aux autres ? C’est ce que l’avenir me prouvera. Le soir je suis allée chez Hélène que j’ai trouvée dans son lit. Elle m’a enfin remis les bagues pour mes chères enfants. Je me réjouis de les leur porter demain. Elles coûtent 32 fl. et font peu d’effet pour ce prix. Mais enfin elles sont solides, c’est tout ce qu’il me faut. Avant de partir pour chez Hélène j’avais eu une longue visite de la Ctesse Lili et , entre autres, je ne lui ai pas caché mes sentiments à l’égard d’une grande maîtresse dont le monde s’occupe tant. Si c’est une personne d’esprit, qui comprenne que l’Impératrice m’a confié l’éducation, me promettant que personne , pas même l’Archiduchesse Sophie n’aurait à s’en mêler, elle ne peut alors qu’alléger ma tâche en me procurant un peu de liberté ! Du reste je ne crois pas que l’intention des Majestés soit d’organiser la maison de l’Archiduchesse de quelques années. Nous verrons si j’ai tort ou non.
Jeudi 15.
Après 10h ½ par un brouillard tombant, je suis partie pour la Ungargasse où j’ai vu mes bonnes filles ainsi que leur chère maman qui est descendue afin que nous ne perdions pas de temps. Les bagues ont fait plaisir, la Ctesse a trouvé l’idée charmante. Je ne vais pas dans la maison et n’en pars pas sans une vive émotion accompagnée de regrets sincères. Quelle bonne et douce tranquillité y règne. Puis là je sens battre des cœurs amis ! !..En partant j’ai fait un saut chez la bonne vieille Weiser, puis je me suis rendue chez Heider qui a été aussi aimable qu’il peut l’être , mais qui en reste à sa détermination de soigner toute la famille ou personne. C’est un homme de caractère, que j’estime. Il ne doute pas d’une intrigue, et je suis toute portée à y croire : il y a 2 ans que F. s’est vanté d’en venir où il en est. Ceci me confirme dans l’opinion que j’ai conçue de cet homme et à laquelle pourtant je n’ose me laisser aller sans une certitude. A 1h j’étais de retour. Pour la première fois l’Archiduchesse m’a embrassée à son retour et a paru contente de me revoir. Il faisait si humide que j’ai cru ne devoir la faire sortir qu’en voiture. L’Impératrice est venue avant 4h et est restée chez sa fille pendant quelque temps. Comme toujours je me suis tenue dans la chambre à côté, puisqu’elle peut m’appeler si elle me désire.
Vendredi 16.
J’ai oublié de parler hier d’une longue visite que la Princesse Hélène m’a faite le soir. Je ne puis dire que positivement j’ai dit des choses que je regrette d’avoir dites, ou qui tirent à conséquence ; mais comme je sais que moins on parle et mieux cela vaut, après une visite comme celle-là il me reste toujours un certain trouble. A la messe à 10h avec l’Archiduchesse. J’ai vite quitté l’oratoire, entendant venir l’Impératrice qui, après la messe, m’a regardée pour me faire comprendre qu’elle voulait me parler. En effet, elle m’a dit ce que je désirais apprendre dans le cas d’une rencontre avec les compagnes de l’Archiduchesse, je puis donc m’arrêter et me promener avec les Sternberg et d’autres J’ai profité de l’occasion pour demander à Sa Majesté si, une fois par semaine, deux fois même si l’occasion se présentait, je pouvais me dispenser d’assister au coucher de l’Archiduchesse, ce qu’elle m’a accordé avec sa grâce ordinaire, ajoutant : " N’est-ce pas, vous n’avez de temps pour rien, vous êtes si tenue ! ". Pendant la leçon du prêtre, je suis allée chez la Ctesse Königsegg qui est encore retenue par un reste de grippe, pour lui demander une foule de choses. Elle serait d’avis que l’Archiduchesse assistât au Christbaum donné aux enfants des écuries. Je trouve qu’il y a beaucoup de bon dans cette idée ; seulement je crains les maladies d’enfant. Cependant je ne ferai pas d’opposition. Une heure de promenade a été suffisante dans cette haute neige qui est tombée pendant la nuit et le matin même. Le soir une lettre de Victor qui m’a conseillé de m’en tenir à une rente si le Cte ne consent pas à me donner 18000 francs. Je suis curieuse de ce qui arrivera.
Samedi 17. décembre 1864
La neige tient bien, il y a 3 ou 4 degrés de froid, véritable temps de Noël. J’ai le projet d’aller ce soir chez les Sternberg et, s’il n’y a pas de dîner, je profiterai tout de suite de la permission de l’Impératrice et partirai aussitôt que l’Archiduchesse sera appelée chez ses parents. Après-midi, rencontre de l’Impératrice avec Hélène. Essais en traîneaux dans lesquels l’Archiduchesse s’est montrée très adroite. Plus tard l’Empereur, le kronprinz et ces messieurs se sont joints à la partie. Le soir chez mes enfants comme je l’avais projeté. Accueil des plus amicals (sic) de la part de tous. Fait la connaissance de MlleBossart qui me plait beaucoup et à laquelle je trouve quelque chose de très spirituel dans la physionomie. J’espère de plus en plus, qu’elle conviendra sous tous les rapports à mon excellente Comtesse. Dernièrement j’avais laissé mon sac contenant mon vieux porte-monnaie chez mes chères filles. Hier j’y trouve non seulement le vieux mais encore un nouveau que ces bons enfants y avaient joint- cette attention m’a excessivement touchée. Dans la matinée écrit à Hélène pour lui proposer d’offrir à ses petites élèves un ou deux joujoux de l’Archiduchesse. Je suis curieuse de ce qu’elle me répondra.
Dimanche 18.
Passé mon temps comme tous les autres dimanches. Terminé une lettre pour J. Dégoutin. Chez la Ctesse Königsegg pour lui soumettre mes plans qu’elle a approuvés. Nos leçons seront payées comme celles de l’Archiduc : Becker 5fl., tous les autres maîtres 4, soit en ville, soit à la campagne. Dans la matinée le Cte Gondrecourt est passé chez moi pour me parler des arrangements de notre installation, il ne s’est pas même assis. Vers 3h nous avons été au devant des Majestés qui se rendaient aux montagnes russes ; j’ai suivi et l’Empereur , au bout de quelque temps est venu me demander si nous dînerions en ville mercredi, s’il y avait déjà une salle décidée pour la danse ? Ensuite nous avons parlé de l’Archiduchesse. Arrivés à un chemin étroit, l’Empereur a eu l’excessive politesse d’entrer dans la neige pour ne pas marcher immédiatement devant moi. Pendant qu’on allait en traîneau, Sa Majesté m’a parlé plusieurs fois, s’est informé si je n’avais pas froid. Un des aides-de-camp, le Prince Metternich s’est fait présenter par le Cte Gondrecourt et a été fort poli. En revenant au château, l’Impératrice a eu aussi la grâce de s’informer si je n’avais pas froid, si j’étais bien portante, etc etc ? – en un mot , je suis étonnée de tant de politesse. J’ai passé la soirée tranquillement dans ma chambre.
Lundi 19. décembre 1864
Au moment d’aller le matin, on m’a annoncé le hofrath Dreschler qui a été très aimable et que j’ai reçu de mon mieux. On le dit détesté de tout le personnel de la cour ; je veux pour mon compte faire mon possible pour ne pas me mettre mal avec lui. Le matin chez la Ctesse Königsegg que j’apprécie de plus en plus. A 3h rejoint les Majestés près de la montagne russe. Hélène T. a fait une chute qui a été heureuse ; mais cependant hier on voyait si fort ses jambes, toute l’attitude était si ridicule que lorsqu’elle est venue après chez l’Archiduchesse j’ai pensé plus convenable de l’en prévenir, puisqu’elle avait l’air de me consulter. Le soir chez cette bonne H. qui me témoigne tant d’affection. Je l’ai forcée à se mettre dans son lit , tant je lui ai trouvé mauvaise mine à cause de ses douleurs d’intestins. Elle accepte les joujoux de l’Archiduchesse et viendra l’en remercier elle-même. J’ai dit oui à la proposition que les dames de Döbling envoient un Enfant Jésus.
Mardi 20.
Envoyé ce matin 5 beaux joujoux au pensionnat. La pauvre H. a toujours ses douleurs. Bonne conversation avec la Ctesse Königsegg .Elle fera son possible pour envoyer 50fl. au couvent de Döbling afin que les pauvres enfants aient aussi un arbre de Noël. La Ctesse me conseille de parler à Leurs Majestés du désir du père Groujac que l’Archiduchesse assiste aux tableaux vivants donnés par la Geffelverein. Aujourd’hui donc, je ferai mon possible pour présenter cette requête. Que je remercie Dieu de la possibilité qu’il m’accorde de faire le bien ! Seulement encore un don, Père céleste ! celui de la santé si je dois en faire bon usage…Aujourd’hui de nouveau je me sens si misérable…La fatigue des apprêts pour l’installation à Vienne contribue sans doute à ce malaise que je ressens. J’ai beaucoup à penser, à dire, à regarder ; que ce sera bon quand une fois je serai tellement au courant, que tous mes doutes seront levés sur ce que je puis ou ne puis faire. Si la Ctesse Königsegg n’était pas aussi bonne ,aussi affable et complaisante, j’aurais de la peine à m’en tirer.
Vendredi 23.
Impossible d’écrire ni mercredi jour de notre installation ni hier. Ce soir je me sens indisposée à, tomber là…si je n’avais pas écrit à W. de venir, je me coucherais aussitôt que l’Archiduchesse sera dans son lit. Je rentre de la conduire chez ses grands-parents. L’Empereur a eu l’amabilité de me dire qu’il la ramènera lui-même à 8h. Combien je pourrais profiter de ces petits moments et me distraire si j’avais la santé. Mon Dieu ! rendez-là moi, je vous en conjure sans cela que vais-je devenir ? Mais à quoi bon m’inquiéter ? M’avez-vous jamais abandonnée ? J’en reviens donc au mercredi afin qu’il n’y ait pas de lacune. Nous sommes arrivées ici pour notre dîner, à 1h ? ensuite nous avons été chez l’Archiduchesse Sophie qui était déjà bien inquiète de l’Archiduc Louis, dernier frère de l’Empereur François. L’Archiduchesse a eu l’amabilité de me faire admirer son album renfermant de charmantes aquarelles de Schönbrunn… La leçon de danse s’est prise chez nous. Dans la nuit du mercredi au jeudi, le vieil Archiduc Louis est réellement mort ; Nous avons un deuil de 6 semaines. Il paraît qu’il était rempli d’esprit et de cœur et qu’il faisait beaucoup de bien. Jeudi nous avons fait la promenade au Prater. La veille, quoique je fusse exténuée, j’ai été voir mes chères enfants qui ont fait leur entrée dans le monde par une soirée chez le duc de Gramont, ambassadeur de France. Elles étaient bien gentilles dans leurs robes de soie blanche et leurs guirlandes de myosotis et de marguerites. Elles m’ont écrit hier matin qu’elles se sont fort bien amusées. Je ne suis pas sortie le soir , par ménagement, je sentais trop de lassitude. J’ai eu l’occasion de parler à l’Empereur du Gesollenverein, il consent à ce qu’on assiste à une représentation. J’ai donc écrit ce matin à H., qui hier à 4h est venue remercier l’Archiduchesse des joujoux qu’elle a envoyés au pensionnat. Aujourd’hui j’ai voulu aller au Stadtpark pour y rencontrer mes enfants. L’Archiduchesse avait eu la gentillesse de remplir un sac de bonbons pour le donner à Caroline; mais il faisait si froid et le vent était si grand que je n’ai pas osé y rester , et je m’en suis bien applaudie, il faisait très beau au Prater. Ce soir Marie Horn a répondu au billet que je lui ai envoyé ce matin pour inviter ses élèves pour dimanche, pour une invitation de Christbaum de la part du Cte et de la Ctesse Thun. Je suis profondément touchée de ce procédé. Je ne comprends pas bien ce que me dit Zdenka et ne sais si je dois ou non aller chez Sternberg . Demain matin je tâcherai d’éclaircir ce fait.
Samedi 24. décembre 1864
Hier au soir j’ai une bonne visite de W. Je me trouvais déjà bien mal à l’aise. Toute la nuit a été sans sommeil, ma tête est très entreprise ; Weiderhofer pense que je me suis refroidie. La G.M. m’engage à choisir un médecin; ces dames ont toutes Fleischmann ; moi qui me suis tant moquée de l’homéopathie, je vais sans doute me décider à essayer. Hélène est venue ce matin m’apporter son burnous et pour l’Archiduchesse un charmant petit Jésus dans sa crèche. Je ne pouvais sortir, si bien qu’à 8h c’est H. Taxis qui l’a conduite aux écuries pour le Christbaum où elle doit avoir été très gentille. A plusieurs reprises elle a été capricieuse dans la journée et ma croyance qu’elle a beaucoup moins de cœur que mes chères Sternberg se confirme de plus en plus. Je me suis mise au lit aussitôt que l’Archiduchesse, et j’ai bien pensé à la Ungargasse !..Que j’étais bien plus heureuse il y a un an à pareil jour ! Si on m’avait vue souffrante comme je l’étais hier, comme chacun se serait occupé de moi. L’Impératrice et l’Empereur sont montés vers 5h pour prendre l’Archiduchesse et aller avec elle chez le Kronprinz ; j’ai aidé l’enfant à s’habiller, l’Impératrice qui avait été informée que je ne pouvais sortir ne m’a pas même approchée pour me dire un mot là-dessus. J’ai eu la bêtise de m’en affliger un instant; puis bien vite je me suis rappelée que ce n’est pas pour mériter la reconnaissance de ce monde qu’il faut travailler, c’est plus haut qu’il faut porter ses vues. Cette considération m’a ramenée à la raison, j’ai retrouvé le calme.
Dimanche de Noël 25.
Triste jour pour moi qui n’ai pu sortir que pour entendre une messe basse dans la chapelle ! ! La Ctesse Lili s’est chargée de l’Archiduchesse pour la promenade. La G.M. était là quand je suis partie. Comme je lui exprimais mon regret de mettre ainsi ces dames à contribution, nous en sommes arrivés à parler d’une G.M. pour l’Archiduchesse. Elle ne semble pas croire aux bruits qui courent que la Ctesse Faltenhagen la deviendra, ni en général que les Majestés pensent à former la maison de la petite. Là-dessus nous en sommes arrivées à une s. gouvernante, à ce que j’avais dit à l’Impératrice etc..etc.. Elle m’a répondu : " je ne croyais pas que vous accepteriez, à vous dire franchement . " Ce sont de ces paroles qui me tuent !…Si j’avais cru pouvoir refuser tant à cause de ma comtesse et surtout pour elle que pour moi ne l’aurais-je pas fait de tout mon cœur ! ! Ceci m’a troublé Je n’en ai pas parlé ni à la Ctesse Stadion qui est venue me voir, ni à la Ctesse Sophie qui l’accompagnait. Mais quand ma comtesse est arrivée mon cœur s’est brisé et je n’ai pu retenir mes larmes ni m’empêcher de tout lui raconter, elle a " été si bonne, si affectueuse ! A 4h les petites Thun et Caroline sont arrivées. Cette dernière était très embarrassée ; pendant le goûter elle a pleuré plus d’embarras que de mal de dents, j’en suis sûre ; enfin elle a joué, s’est animée avec les autres, elle était heureuse, la pauvre enfant ! Ces dames m’ayant conseillé de faire venir Standhartner, j’ai donc envoyé chez lui, à 8h il était ici. Il a été très bon, il m’a assuré aussi que ce ne sera qu’une indisposition, causée par un refroidissement ; Dieu l’entende et veuille me rendre la santé dont j’ai si besoin ! J’ai l’espoir que mes bonnes filles viendront demain ; je m’en réjouis tellement ! Mlle Bossart me plait extrêmement ; c’est une sainte âme, on le voit à l’expression de ses yeux, à la douceur de sa physionomie, à la tranquillité répandue sur toute sa personne ; elle est dans le vrai chemin et saura y conduire Caroline, j’en suis bien convaincue. Dieu en soit béni !
Lundi 26. décembre 1864
J’ai assez bien dormi ; mais je ne suis pas mieux qu’hier ; comme cela marche lentement ! La Princesse H. a promené l’Archiduchesse ; pendant ce temps j’ai eu la visite de la Ctesse Stadion suivie bientôt de mes bonnes filles que j’ai été heureuse de revoir . C’était la première fois qu’elles venaient chez moi. Leur tendresse, leur affection me fait tant de bien ! Nous étions heureuses d’être une fois à nous trois. Elles m’ont quitté à 3h1/2. Lorsqu’elles partaient la Ctesse Zamoÿska est entrée. C’est une personne d’infiniment d’esprit, exaltée comme une véritable polonaise ; il me semble ; mais avec laquelle on peut très bien causer et très agréablement. A 4h ma petite dame est rentrée et m’a entraînée dans la chambre de service de ses femmes pour me présenter sa nourrice qui est prévenue en ma faveur m’a-t-elle dit par Raab qui vient souvent chez elle. J’ai su par la Princesse H. que l’Archiduchesse n’avait pas été aimable avec sa nourrice et, aussi adroitement que je l’ai pu , je lui ai fait comprendre qu’il est de son devoir d’adresser quelque chose de gracieux à chacun. Ensuite , avant le départ d’H. je l’ai fait remercier la princesse de sa complaisance, chose que je lui avait recommandée avant son départ, mais qu’elle avait oubliée ou jugée non nécessaire. On l’a si fort habituée à ne penser qu’à elle qu’il faudra beaucoup de temps pour l’amener à songer aux autres. C’est bien là qu’il faut que je travaille, que je l’amène à lui faire sentir les devoirs qu’impose sa position , et à détruire par là...
Jeudi 5 janvier 1865
Une longue lacune pendant laquelle bien des souffrances morales m’ont traversée ! Mardi 27 je me tenais à peine debout. Le soir l’Impératrice est montée pour me dire de me coucher un jour ou deux, que l’Empereur le désirait. J’espérais m’en dispenser ; mais mercredi après avoir pris mon thé dans mon lit je tombai dans une transpiration qui dura près de 9 heures. Ce jour déjà ne sortis pas du lit. Comme je n’avais pas de fièvre, je me levai le jeudi vers 4h ; le lendemain un peu plus tôt et ainsi graduellement ; mais mes forces ne reviennent pas n’ayant pu retrouver un bon sommeil et ne pouvant que très peu digérer, puisque ce catarrhe d’estomac qui me retient n’est pas encore passé. Les Sternberg et Stadion ont été bien bons pour moi pendant tout ce temps. Hier, je n’ai vu personne de la famille, ce qui m’a paru bien dur. Il me semble que j’aurai le même sort aujourd’hui ! Nous sommes à de si grandes distances…
Les dames d’honneur ont été bien bonnes pour moi et m’ont remplacée auprès de l’Archiduchesse. Cependant je suis heureuse que Leurs Majestés aient consenti à faire venir Caroline G. pour une quinzaine. L’Impératrice est venue me voir le 3 au soir et m’en a parlé au nom de l’Empereur. J’ai bien prévenu de l’apparence raide de mon amie, je l’ai peut-être exagérée même pour qu’elle fasse moins d’effet. Si elle plait à Leurs Majestés elles lui demanderont de rester à ce que m’a fait comprendre l’Impératrice. Cette pauvre amie serait peut-être, bien sûr même, profondément contrariée. Mais je n’y peux rien et dans ce cas, j’y verrais la main de Dieu et je m’inclinerais en reconnaissance, car je ne puis croire aux terreurs qu’on voudrait m’inspirer. En parlant avec la Ctesse Königsegg de la manière dont on pourrait rétribuer Caroline, j’ai touché la corde de mes modiques appointements, chose qu’elle n’a pas voulu bien comprendre, trouvant qu’on ne pouvait entrer dans toutes les considérations qui me feraient désirer qu’ils fussent augmentés. Elle trouve que ce ne serait qu’après une année ou deux que l’on pourrait faire valoir ces motifs. Donc je me tiendrai coite quoiqu’il m’en coûte. Elle m’a dit que dès que l’on a un décret, c’est une assurance de pension. Qui sait d’ailleurs si j’ai besoin de me préoccuper d’un avenir qui peut-être sera bien court. Ma bien aimée Caroline est arrivée samedi 7 à 6h du soir. A la fin de son dîner l’Impératrice est montée et j’ai pu la lui présenter aussitôt. Que je voudrais savoir ce qu’elle pense ! L’impression qu’elle a faite à l’Archiduchesse ne peut être désagréable car tout de suite elle a été gentille et à l’aise avec elle. Hier je suis sortie pour la première fois en voiture, avec cette bonne H. qui a voulu m’accompagner au Prater. Je lui en saurai toujours gré, il m’eût été pénible de me trouver si seule ! Le matin j’ai reçu une lettre de la Volve. Fanny me dit que maman s’inquiète aussi lui ai-je encore répondu le même jour afin que le train de ce matin pût emporter ma missive. Ma mère et ma sœur seront bien tranquillisées de savoir Caroline à ma place. Dieu donne que quinze jours suffisent ! J’espérais que ma sortie influerait sur mon sommeil, j’ai moins dormi que tous ces jours derniers !..Malgré tout comme le temps est superbe, je veux aller en voiture chez mes chères enfants et essayer de me promener dans le jardin. Je compte pour cela sur les forces que me donneront, j’espère, mon dîner.
Mercredi 11. janvier 1865
En effet, je me suis promenée Mardi dans le jardin Sternberg. Ma nuit avait été excellente. Hier j’ai recommencé la même partie, espérant le même succès ; mais je n’ai pour ainsi dire pas fermé l’œil et je me sens excessivement fatiguée et faible. J’avais pris la première poudre de quinine et de fer, est-ce cela qui m’a fait mal ou avais-je trop mangé à mon dîner ? je n’en sais rien ; mais tout cela est bien, éprouvant !…Ce matin Heider a eu une audience chez l’Impératrice, l’affaire s’est arrangée au gré de tous, dimanche il viendra visiter la denture de l’Archiduchesse, ai eu le tort de parler de cela hier chez Stadion devant la Ctesse Sophie qui ne voit plus que par Faber et qui en a la tête toute montée. C'est une irréflexion que j’ai beaucoup regrettée. Cette bonne Hélène vient de me faire une longue visite . Il paraît qu’on parle beaucoup en ville que Caroline restera ici . Si Dieu le voulait ! Il me semble que ce serait pour le mieux ; mais que sa volonté se fasse en toutes choses !
L’Impératrice a assisté à la leçon de danse, a été fort aimable avec Caroline, l’a fait asseoir sur le canapé près d’elle, lui a parlé de son talent musical, ma pauvre amie en était toute touchée. L’Archiduchesse s’habitue incroyablement à elle, sans cesser d’être bien caressante avec moi.
Lundi 16.
Hier, quoique j’eusse eu une bien mauvaise nuit, sans sommeil et agitée, j’ai pu conduire une petite danse à une représentation du Gesollenverein qui lui a fait un énorme plaisir ainsi qu’à son frère. Elle y était très gaie, très naturelle et gentille. Je suis revenue bien fatiguée mais mieux cependant que je ne l’aurais espéré ; la nuit a été bonne, j’ai pu donner ma première leçon à l’Archiduchesse qui a été excessivement gentille et a écrit sans me donner de peine une charmante lettre à la Bonne Welden. Hier en revenant de la messe, j’ai demandé à l’Impératrice que Caroline nous accompagnât, au cas où je ne pourrais rester tout le temps ; elle m’en a accordé la permission avec la grâce qu’elle met en tout. J’étais embarrassée ou pour mieux dire contrariée de la trouver tout en larmes, parlant à la Ctesse Königsegg que je n’ai pas vue chez moi depuis 10 jours. Hier je n’ai pas été contente de moi : pendant les tableaux j’ai eu un moment d’oubli qui me fait de la peine et m’avertit que je dois être sur mes gardes. Combattre et de nouveau combattre, voilà la vie…Caroline a eu le plaisir de voir l’Empereur en conduisant l’Archiduchesse à la promenade et l’honneur de lui parler. Ce matin pour la première fois depuis qu’il est ici, il est monté pour dire que l’Archiduchesse doit descendre à midi et ½ afin d’être présentée au Prince de Prusse.
Vendredi 17.janvier 1865
Caroline est réellement arrivée le 14 au soir comme je l’attendais. Les deux jours précédents, les communications avaient été interrompues par la quantité de neige qui est tombée. Le soir même de l’arrivée de mon amie, j’ai remarqué que l'Archiduchesse n’était pas dans son assiette ordinaire, en effet , le lendemain matin, après mon observation, le médecin a regardé l’intérieur de sa gorge et a découvert un exudat(sic). Mais comme l’enfant n’avait qu’un peu d’altération, elle est restée levée jusqu’à 6 heures du soir ; la nuit a été bonne ainsi que celle d’aujourd’hui, grâce à Dieu, nous n’avons plus rien à craindre. L’Impératrice doit arriver ce soir à 11 heures, j’espère que demain l’Archiduchesse aura la permission de descendre chez elle. Je suis persuadée que la petite Altesse a gagné cela chez son frère qui a été retenu au lit par un catarrhe assez violent (on a même craint le croup), et qu ‘elle a été visiter 2 fois par jour avec l’Empereur. Il serait aussi très possible que le courant d’air des corridors en fût la cause. Je n’ai pas pu demander à Sa Majesté qu’elle donnât l’ordre de poser des portes aux endroits voulus afin d’éviter semblable répétition. ; je suis curieuse si la chose se fera ou non. Hier pour la première fois je me suis rendue à pied chez la vieille Weiser et de là chez Sternberg où je me suis fait chercher en voiture. Ces pauvres enfants ont des toux que je crois bien cousines germaines de la coqueluche ; cependant je ne prive pas d’aller les voir, puisque le médecin m’a donné sa parole que je ne puis apporter ici la contagion.
Lundi 18.
Hier j’avais commandé une voiture à 6 heures pour aller chez Sternberg. Tout à coup je me suis sentie si indisposée ou pour mieux dire si mal à l’aise que j’ai pensé plus sage de rester à la maison. Aujourd’hui matin , l’Impératrice est montée, elle m’a embrassée comme au départ et moi je lui ai baisé la main avec grand plaisir. Vers midi je me suis promenée une demi-heure dans le Volksgarten, puis j’en avais assez tant mes jambes étaient fatiguées. En rentrant je me suis préparée pour ma confession de 3h ½. Je me suis rendue à St Pierre et ai fait appeler ce bon père Hubinger qui n’a pas tardé à venir. Après ma confession, j’ai vu dans la sacristie cette bonne Ctesse Stadion à l’affection de laquelle je crois sincèrement et qui me fait tant de bien. Avant 4h1/2 j’étais de retour. Je terminais mes prières lorsque Caroline me prévint que l’Impératrice était dans le salon et désirait me parler. Je m’y rendis donc aussitôt et avec sa grâce ordinaire l’Impératrice m’offrit une délicieuse robe de gros de Naples lilas me disant que c’était sa couleur et qu’elle croyait que je l’aimerais aussi. Nouvel embrassement et nouveau baise-main.Je ne me sens pas fatiguée de ma course à l’église , mais bien heureuse de l’espoir de communier demain ! Je n’ai pas eu ce bonheur depuis le 4 de décembre, à Schönbrunn. Maintenant j’espère que je vais pouvoir recommencer à aller tous les 15 jours, 3 semaines. Je sens que sans cela je n’avance pas et j’ai encore tant à faire ! Toni est arrivée ce matin et vient ce soir chez Caroline, je me réjouis bien de la revoir.
Mardi 24.
Combien de choses se sont passées depuis le 16 ! une décision heureuse pour moi et mon amie, j’en ai la confiance ayant demandé à Dieu du fond de mon cœur que rien n’arrivât qui ne fût sa sainte volonté…Samedi 21 à 7h1/2 du soir l’Impératrice m’a fait dire de descendre pour l’entretien que j’avais sollicité la veille. J’ai d’abord remis à Sa Majesté la 2ème relation faite par Becker sur les études de l’Archiduchesse ; puis j’ai demandé que Caroline restât jusqu’au 30 et enfin une sous-gouvernante à l’avenir. Cette demande était certainement prévue car Sa Majesté ne m’a pas dit comme à l’ordinaire : " Je demanderai à l’Empereur ". Elle a été excessivement gracieuse, m’a dit qu’elle trouvait que l’Archiduchesse gagnait beaucoup etc… et m’a promis qu’elle parlerait le lendemain à Caroline trouvant que , puisque j’avais confiance en elle, c’était la personne qui conviendrait le mieux.. En effet, le dimanche matin elle a fait venir mon amie, lui a donné à comprendre quelle position elle occupera à l’avenir. Dieu veuille bénir nos efforts réunis et maintenir toujours entre nous l’amitié et la bonne intelligence qui ont toujours régné ! Dimanche, au cirque, avec les Majestés dans la même loge , ce qui m’a donné bien des inquiétudes, parce que je ne me sentais nullement à l’aise et que je craignais d’être obligée de sortir. Grâce à Dieu il n’en a pas été ainsi ! Lundi, bal chez Sternberg où la pauvre Cuné n’a pu assister ayant horriblement toussé toute la journée et surtout au moment de paraître, pour ainsi dire. Elle m’a fait de la peine, cette pauvre enfant ! Sa jeune vie a été si éprouvée déjà !.. Elle a pris ce contretemps avec beaucoup de résignation m’a-t-on assuré hier, quand j’ai été chez elles. Aujourd’hui 25 il a plu toute la nuit dit-on, il neige depuis le matin. Je crois qu’il sera impossible de descendre de voiture et pour cette raison je me propose de faire la promenade avec l’Archiduchesse.
Dimanche 29 janvier 1865
Effectivement , une première sortie avec l’Archiduchesse a eu lieu mercredi 25. Le temps, si mauvais dans la matinée , s’est éclairci et nous avons pu nous promener à pied ce qui m’a fait grand bien. Le lendemain j’ai recommencé ; le vendredi il y avait un tel brouillard que j’ai jugé plus prudent que Caroline me remplaçât. J’en ai profité pour aller passer de bons moments avec mas chères enfants qui me témoignent tant d’affection ! Hier promenade en voiture seulement tant la pluie était forte. Aujourd’hui il fait beau, sec, dit-on, j’espère que nous en profiterons grandement.
Mercredi 8 février.
Un long long intervalle sans trouver le bon moment pour écrire ou pour mieux dire le goût de le faire. Caroline devait partir le 30 comme j’en avais prié l’Impératrice, cependant , la nuit de ce même jour n’ayant pour ainsi dire fermer l’œil, me sentant une fatigue énorme, je priai mon amie de remettre son départ jusqu’au 1er et je fis télégraphier ce changement à sa sœur afin qu’elle ne s’inquiétât pas. Le 1er elle partit donc. Le 2, je me sentis tellement mal à l’aise que j’eus la crainte de devoir la rappeler. Heureusement il n’en fut rien et jusqu’à présent Dieu me fortifie et je supporte bien mieux la tâche que je n’avais osé l’espérer. Depuis deux jours un petit dérangement me tourmente un peu, pendant la nuit surtout. Il fait si froid depuis 3 jours que je ne sors pas sans un peu d’appréhension , je l’avoue, mais que faire ? tant que je suis seule je ne puis me ménager en ce qui regarde mon service, du moins. Demain 9 l’Impératrice se rend à Dresde pour le mariage de son frère ; on n pense pas qu’elle revienne avant le 18. Je la vois si peu, elle ne s’occupe nullement de l’éducation, si bien que pour ma personne son départ ne sera guère sensible surtout si l’Archiduchesse reste en bonne santé, ce que je veux bien demander à Dieu ! Aujourd’hui avant 1h j’ai dû accompagner l’Archiduchesse chez l’Impératrice mère. En entrant dans la salle de réception je me suis trouvée au milieu de je ne sais combien de grands personnages : l’Archiduc Albert, ses deux filles et son gendre le Duc de Wurtemberg, l’Archiduc Rainer et sa femme qui a été fort aimable pour moi quoique je ne lui eusse jamais été présentée ; plus tard l’Archiduc Léopold. Dans le salon de l’Impératrice mère se trouve une statue représentant Chiron apprenant la lyre à Achilles . Pour rien au monde je n’aurais retrouvé le nom et une vanité a été cause que j’ai dit une grosse bêtise à l’Impératrice mère qui me l’a demandé : j’ai nommé Minos ! ! Je me propose de réparer ma bêtise si je la vois dans peu. L’Archiduchesse Sophie avait bien raison de me dire de craindre que l’Archiduchesse ne devînt pédante : c’est bien ce qui a eu lieu. Je veux bien croire qu’elle avait faim, mais je crois plus encore qu’elle a remarqué qu’il était un quart d’heure passé l’heure habituelle et tout à coup, elle s’est mise à pleurer. Ceci a désagréablement frappé aïeule et grand’mère qui venait d’arriver. Intérieurement j’étais furieuse et je n’ai pas manqué ensuite d’en faire de justes reproches à l’enfant. C’est la première fois que ses anciennes pleurnicheries ont reparu et justement quand elle était en représentation. Il y aura bien à faire pour la rendre raisonnable ! ! !