SOUVENIRS DE LA TANTE ALIX - 3° PARTIE

 

Jeudi 2 mars. 1865 

Jusqu’à présent nous nous arrangeons parfaitement avec Caroline, grâce à Dieu ! Cette bonne amie y met tant de discrétion, tant de modestie, qu’elle me donne par là une nouvelle preuve de la distinction de son caractère. Je sens bien que je ne serais pas capable de m’effacer comme elle. C’est que l’humilité n’est pas le fond de mon caractère : j’aime à être aimée, louée, admirée même si la chose était possible. C’est un grand écueil dans ma position et c’est là que doivent tendre tous mes efforts pour me perfectionner.

Notre petite dame vient d’avoir un rhume de cerveau si fort que pendant 2 jours elle n’a pas pu ni lire ni écrire , tant ses yeux étaient pleurants et gonflés ! Elle tousse peu, aujourd’hui elle a pu reprendre ses leçons avec ordre , et j’aime à croire que si le temps devient beau, le médecin lui permettra bientôt de sortir.

Ma santé laisse encore beaucoup à désirer. Le sommeil et l’appétit sont revenus ; malgré cela mes jambes, mon dos, mes reins sont très faibles. Standhartner voudrait que je prisse du fer et j’aurais commencé depuis lundi si de certaines douleurs ne me laissaient supposer que je souffre d’un mal qu’il ne veut pas admettre et que peut-être le fer me serait contraire dans ce cas. J’attends donc sa première visite pour avoir une décision. A 2h je veux aller chez mes élèves ne sachant pas si demain, Ste Cunégonde, je pourrai aller porter mon petit cadeau – une voilette noire – et mes meilleurs souhaits.

Depuis la mort de la mère de la Ctesse Königsegg je n’ai pas vu cette pauvre femme. J’ai voulu lui faire ma visite la veille du retour de l’Impératrice, mais elle n’y était pas. Maintenant je ne sais si je dois m’y présenter ou non : elle a sûrement beaucoup de monde, et je crains tant ce qui pourrait ressembler à une prétention de ma part. En général j’aime ces dames parce qu’elles se sont montrées très bonnes pour moi, mais je me garde bien d’essayer de les voir souvent, persuadée qu’au fond du cœur elles sont enchantées de ma réserve.

Vendredi 10. mars. 1865

Dimanche 5 le temps était magnifique aussi suis-je sortie à 11h1/2 avec l’archiduchesse qui en a bien profité après quelques jours de réclusion. Lundi 6 je suis allée chez Sternberg et rentrée ici à 8h. Dans le corridor je rencontrai La Tour reconduisant le Krönprinz et qui me dit : l’Impératrice vous a demandée, si vous allez bien vite vous rejoindrez encore Mlle G. qui est descendue à votre défaut. Je courus aussi vite que je pus, j’appelai Caroline que j’entendais descendre, mais qui ne m’entendit pas, et enfin j’arrivai chez Sa Majesté presque en même temps. Sa Majesté avait à se plaindre de l’Archiduchesse qui depuis 3 jours cessait de jouer avant 8h, devenait agitée, demandait l’heure et même se mettait à pleurer. Pour la punir de ces accès de mauvaise humeur, ses parents avaient décidé que le lendemain elle ne descendrait pas chez eux. Je fis quelques remontrances à l’Archiduchesse, nous eûmes des pleurs – Sa Majesté m’ayant accordé un entretien, je priai mon amie d’emmener l’Archiduchesse. Je fis observer à l’Impératrice qu’il y avait beaucoup de nervosité de la part l’enfant, que son indisposition, la réclusion à laquelle elle avait été condamnée avaient réagi sur le physique mais que, la punition ayant été donnée, elle devait être accomplie. Puis je demandai son avis à l’Impératrice sur la première confession de l’Archiduchesse, que le Père Mayer et moi nous souhaitions fixer vers Pâques. Sa Majesté me répondit qu’elle en parlerait à l’Empereur. Le soir même je ne parlai plus à l’Archiduchesse qui toussa beaucoup pendant la nuit, ce que je pus entendre n’ayant pu fermer l’œil jusqu’à 4h du matin. Le lendemain, après son déjeuner, je la fis venir dans ma chambre, je lui représentai sa faute avec calme et douceur, elle se jeta à mon cou et ensemble nous fîmes une petite prière pour demander à Dieu pardon et assistance afin qu’elle ait la force de se corriger de ce défaut de famille. Elle subit sa pénitence avec beaucoup de résignation ; il lui en coûta surtout de 7 à 8 de devoir rester avec moi qui ne pus même jouer avec elle afin que la punition fût plus complète. Vers ¾ elle voulut commencer à s’assurer de l’heure ; je lui conseillai de tourner le dos à la pendule ce qu’elle fit de la meilleure volonté . En allant à la promenade nous avions vu l’Impératrice dans son salon ; l’Archiduchesse lui avait aussitôt demandé pardon. J’aurais voulu que Sa Majesté fût moins raide. Le lendemain j’eus l’occasion d’en parler avec l’Archiduchesse Sophie qui était venue voir ses petits-enfants. Elle m’assura que j’étais si sympathique à sa belle-fille qu’elle prendrait ce conseil en bonne part et m’engagea à le lui donner aussitôt que je le pourrais, ce que je m’étais déjà proposé. En effet j’en eus l’occasion le soir même : Sa Majesté me fit appeler pour me dire que l’Empereur approuvait la confession ; nous reparlâmes de l’Archiduchesse et j’eus le bonheur de pouvoir placer mon conseil et de le voir accueillir comme je le pouvais le désirer. Nous convînmes que Sa Majesté garderait l’Archiduchesse un quart d’heure de plus quand elle aurait remarqué cette agitation produite par la manie de l’exactitude, défaut de famille et qui sera d’autant plus difficile à déraciner.

Mardi, en rentrant de la promenade, je trouvai une lettre de l’écriture de G. ou pour mieux dire une enveloppe contenant sa carte et ces quelques mots : où et quand puis-je avoir l’honneur de vous parler ? J’envoyai aussitôt une réponse et le soir même il vint chez moi et nous convînmes qu’il irait chez Standhartner et lui parlerait de mon triste état de santé. Je crois qu’ils ne s’entendent pas tout à fait et je le regrette car à vrai dire G. m’inspire beaucoup plus de confiance quoique, je viens de le remarquer parce qu’il sort de chez moi , S. prenne des airs de protection à son égard. Ce bon G. est parti hier au soir et à 4h il était encore chez moi pour me parler du résultat de sa visite. Je ne saurais dire combien je lui sais gré de l’attachement qu’il me témoigne. Hier au soir l’Archiduchesse a su que j’irais chez Strenberg et je crois que c’est à cela que nous avons dû des pleurs qu’elle a attribués tantôt à son nez, tantôt à ses yeux et qui ont rendu sa leçon de piano bien fastidieuse pour ce pauvre Richter. Je le lui ai représenté ce matin et suis décidée à y mettre de la sévérité à l’avenir.

Jeudi 16. mars. 1865

Mardi 14 l’Archiduchesse se mit de nouveau à pleurer à peine sa leçon commencée, pendant que Caroline et moi nous causions jusqu’à la porte de ma chambre. C’est alors que je mis mon projet à exécution : je parlai ferme et promis que si la leçon ne se terminait pas tout particulièrement bien elle ne descendrait pas ensuite chez les Majestés que j’irais avertir. Ma sévérité fit effet, elle aussi bien qu’elle put et, grâce à Dieu, je n’eus pas à punir. Après le souper pour lequel elle n’eut pas d’appétit, elle se plaignit qu’il faisait froid dans la chambre. Caroline le trouvait aussi, si bien que je n’attachai aucune importance à cette remarque. Le 15, elle m’assura avoir bien dormi, à 9h elle remonta de chez ses parents se plaignant d’une douleur dans la joue gauche et se mit à pleurer. Nous parvînmes facilement à lui faire prendre courage. Elle fit sa gymnastique comme à l’ordinaire sans que ni le médecin ni moi nous remarquâmes la moindre des choses. Après la gymnastique elle se mit de nouveau à pleurer à cause de cette douleur . Je lui prêchai la patience et nous nous mîmes à notre leçon de français. Tout à coup elle fut saisie d’un frisson qui devint de plus en plus violent, je la mis au lit et fis aussitôt appeler le médecin qui arriva en moins d’une demi-heure et lui trouva déjà une forte fièvre et un grand mal de tête. Elle ne prit absolument rien jusqu’aujourd’hui à midi ½ qu’elle but quelques cuillerées de bouillon. La journée d’hier, la nuit , et toute cette journée-ci (il est 4h après-midi) se passent dans une somnolence presque continuelle. Nous lui mettons des compresses d’eau glacée sur le tête et cela sans interruption, ce qui lui est agréable. A 3h elle a pris encore une demi-tasse de bouillon et m’a demandé du pain que je n’ai osé lui donner sans permission. Il me semble que ceci est bon signe et j’ai été heureuse d’en pouvoir donner la nouvelle aux Majestés qui sont venues un instant après et me semblent inquiètes. Le médecin ne peut encore se prononcer ; jusqu’à présent il ne découvre qu’un catarrhe sur les poumons, quoique l’enfant tousse à peine et d’une toux très facile. Il craint un typhus, j’ai espoir qu ‘il n’en sera rien. Ce matin je suis sortie pour prendre l’air et j’ai rencontré chez Hélia la Ctesse Lanckorowska dont les bonnes paroles ont augmenté mon courage. En rentrant dans ma chambre j’ai trouvé une bonne lettre de mes chères enfants qui m’envoient une sentence de Ste Thérèse copiée pour moi par leur mère. Je suis bien persuadée que la pauvre femme souffre de la conduite de son mari à mon égard : le règlement de ma pension est bien difficile à obtenir ; je n’aurais jamais cru qu’après la délicatesse qu j’ai mise à renoncer à 100 francs de rente le comte me refusât de me payer en francs. Ceci passe toute compréhension et ce manque de délicatesse m’a fait bien du mal et m’en fera peut-être encore, car Dieu sait quand il lui plaira de décider la chose qui est en vacance depuis le 10, et quelles propositions il imaginera encore de me faire en place de me payer les 1000 francs de rente auxquels il sait bien que j’ai droit, et qu’il serait de la plus grande imprudence de me laisser payer en banquenotes , comme il le veut.

Vendredi 17. mars. 1865

La nuit n ‘a pas été positivement mauvaise, cependant le médecin était si inquiet qu’il a passé toute la nuit ici. Il craignait une inflammation des parois du cœur – heureusement il n’en est rien , mais l’inflammation des poumons et des côtes est déclarée. L’Empereur a désiré Löchner, on lui a télégraphié d’arriver par un train extra et on l’attend vers 6h du soir. Les Majestés sont très agitées ! La pauvre petite se plaint de douleurs à la poitrine, sa respiration est très gênée. L’Impératrice m’a dit que l’Empereur désirait que nous nous ménageassions et que nous prissions Mme Micher pour la nuit, à tour de rôle. Je pense que c’est pour eux une tranquillité et me suis empressée d’accepter de bonne grâce. Cette nuit j’ai à peine dormi 2 heures et ma pauvre amie pas davantage car entrée dans sa chambre à 1 heure elle a été prise d’une crampe d’estomac qui l’a fait beaucoup souffrir. Ce sont toutes les affaires du mariage de sa sœur qui la rongent. Hier au soir W. m’a apporté les premiers perce-neige. C’est une attention à laquelle il ne manque pas depuis des années.

Samedi 18 . 19. 20.

Löchner est arrivé hier à 9h1/2 du soir. Pendant sa visite l’Empereur qui était présent se tenait à l’écart, on voyait combien il était inquiet. Rien n’a été changé au traitement, ce qui me fait un grand plaisir pour Weiderhoffer et me donne confiance pour l’avenir. La nuit a été bien meilleure que la précédente ; le sommeil a été interrompu, il est vrai, mais enfin il y en a eu. Löchner a examiné la patiente avec attention et a confirmé tous les symptômes reconnus précédemment ; la journée a été meilleure que la précédente, l’Archiduchesse était moins accablée et supportait mieux la lumière. Vers le soir elle est entrée dans un heureuse transpiration qui a duré toute la nuit. Il y a eu assez de sommeil et bien plus prolongé. Hier 19, la journée a été bonne, les médecins ont déclaré que l’inflammation diminuait ce qui est superbe pour le cinquième jour, terme si redouté. L’Archiduchesse a pris de la crème d’orge à plusieurs reprises, 2 fois de la compote de pêches, tout cela avec plaisir et appétit. A 6h ½ elle s’est endormie et s’est à peine réveillée jusqu’au matin du 20. Entre 8h et 9h nous l’avons couchée sur le canapé afin qu’on pût faire son lit, changer son linge, tout cela en présence des deux médecins afin qu’on ne pût par ignorance commettre quelque imprudence. Nous avons évité les sangsues ; dès que la maladie a été reconnue Wiederhoffer a appliqué sur le côté gauche ( qui est le malade) des compresses trempées dans l’eau chaude, recouvertes de gutta-percha et tenues par une serviette entourant le corps ; l’Archiduchesse en a tout de suite éprouvé un grand soulagement.

L’Empereur et l’Impératrice font plaisir à voir tant ils ont l’air heureux. L’Impératrice a dû dire à ces dames qu’elle a été bien inquiète ; mais que le repos qui régnait dans la Kammer de l’Archiduchesse lui avait fait du bien.

Hier, à ma prière, Löchner est venu chez moi et je lui ai parlé de mon état maladif. Il n’a approuvé nullement le fer, qui m’irriterait encore et pense même que j’en ai trop pris. Il veut me prescrire autre chose et nous sommes convenus d’entrer en correspondance . D’après son avis j’ai commencé aujourd’hui à me frotter avec un drap humide ce qui m’a été agréable et semble m’avoir fait du bien.

Mercredi 22. mars. 1865

Depuis 3 jours nous avons un froid énorme pour la saison ; hier, 21, il y avait, dit-on, 11 degrés et de plus assez de vent. La journée d’aujourd’hui a été des plus désagréables, le soleil ne s’est montré un peu que vers le matin, ensuite il y a eu un vent énorme aussi suis-je allée à la Landstrasse en voiture jusque chez les Weiser pour demander des nouvelles du père qui depuis vendredi a énormément souffert d’un rhumatisme à la tête. Je l’ai trouvé mieux que je ne l’espérais mais encore enflé, cependant. De là je suis allée à pied chez Sternberg. Mes grandes filles étaient sorties en voiture avec leur mère. J’en ai profité pour faire une longue visite à cette bonne petite Bossart qui m’a  paru contente de pouvoir une fois causer à son aise. C’est une belle âme pure comme l’eau de la plus limpide fontaine et qui doit être bien agréable au Seigneur. Dieu veuille qu’on sache l’apprécier à sa juste valeur et que le comte soit moins regardant à son égard qu'au mien. J’en ai peu l’espoir :dès que ses intérêts sont en jeu il semble perdre le sentiment de la justice. Je me demande comment je dois interpréter son silence. A-t-il acquiescé à mes raisons ? Cherche-t-il encore le moyen d’éluder de me payer en francs ? Je n’en sais rien mais je suis fermement résolue à ne pas céder. Je l’ai entendu revenir aujourd’hui et il a su que j’étais là, puisqu’il a vu ma voiture ; mais il n’a eu garde de se montrer. La comtesse me semble embarrassée, et je le conçois , car elle peut deviner une grande partie de ce que je pense. Au moment où je voulais partir ces dames sont revenues ; mes bonnes filles ont tant regretté d’avoir perdu ma visite que j’ai promis de les avertir à l’avance de la première que je leur ferai.

Lundi soir, Löchner nous a quittés, heureux de retourner à Prague où il a tant à faire. C’est avec grande peine que j’ai obtenu que l’Archiduchesse le remerciât. Quoique je lui eusse fait la leçon d’avance, il a fallu le lui rappeler devant lui, et cependant j’ai bien vu à son regard qu’elle pensait à ce que je lui avais dit. Ce soir j’ai montré à Wiederhofer la réponse de la Welden dans laquelle il est question de lui et, tout naturellement, ceci nous a amené à parler d’elle et de son gouvernement. Chacun s’entend à louer la bonté de son cœur, la droiture de ses intentions, mais aussi son manque de capacité en fait d’éducation. Il parait que la pauvre femme se sentait tellement intimidée en présence de l'Impératrice qu’elle ne lui parlait jamais qu’en tremblant. Wiederhofer suppose qu’il n’en a pas toujours été ainsi et qu’il devait y avoir eu une cause qui avait détruit l’entente entre Sa Majesté et elle. Ensuite il m’a parlé de Giraud comme d’une extravagante, haïe de tout l’entourage, mais à laquelle la baronne Welden s’était livrée avec une confiance aveugle et qui selon lui , a été la cause de sa chute. Mais j’en reviens à notre petite dame qui va de mieux en mieux, a de rares moments d’humeur et peut-être considérée comme bien patiente et gentille. J’attribue beaucoup à son esprit de contradiction des remarques qui sembleraient prouver qu’elle n’a pas beaucoup de cœur pour les autres. Dieu veuille que je ne me trompe pas, car le premier serait plus facile à corriger que le second . Elle fume encore de cet encens dont on l’entourait et comme en général rien n’est égoïste comme un enfant, je ne veux pas me laisser décourager, mais prier le Saint Esprit de m’éclairer des lumières nécessaires pour en faire une femme selon l’esprit de Dieu. Hier j’ai été chez Hélène qui me témoigne tant d’affection . J’ai eu la force jusqu’ici de ne pas lui parler de l’histoire de ma pension. Je voudrais ne pas augmenter son peu de sympathie pour le comte ; avec son caractère droit et franc, c’est un trait qu’elle ne pourrait lui pardonner.

Mercredi 29.

Il y a aujourd’hui quinze que notre petite dame est tombée malade ; elle va se lever pour la première fois, car hier le temps était si affreux que nous n’avons pas eu d’autre permission que de l’établir sur son canapé et de la faire ainsi glisser dans le salon. Lundi, l’Impératrice est partie pour Munich où sa mère l’a appelée. Ses adieux ont été très amicales (sic), elle a profité de l’occasion pour remercier cette chère Caroline des bons soins qu’elle a prodigués à l’Archiduchesse. Quelques jours avant elle s’est adressée à moi, au même sujet et m’a dit combien notre calme lui avait été bienfaisant ainsi qu’à l’Empereur. Elle s’était bien adressée à nous deux, mais dans sa modestie, mon amie s’était retirée aussitôt qu’elle avait vu que Sa Majesté m’entretenait. Je suis donc heureuse que des paroles de reconnaissance qu’elle mérite si bien lui aient été adressées.

Le 25 j’ai reçu de ma mère et de ma sœur des lettres pleines d’inquiétude : on venait de leur raconter les nouvelles du Moniteur annonçant la maladie de l’Archiduchesse . Je leur ai répondu poste pour poste que tout danger était passé. Une autre fois je ne manquerai pas de les informer si un triste événement de ce genre vient nous mettre en émoi. Je vais écrire une seconde lettre à la Ctesse Königsegg comme je l’ai promis à Sa Majesté pour l’informer des nouvelles de l’Archiduchesse. J’espère que demain elle pourra elle-même écrire à sa mère. Hier au moment où ma voiture entrait chez les Sternberg, le Comte sortait de chez lui. J’ai éprouvé un singulier sentiment à sa vue : je ne démêle pas encore bien ce qui m’a fait sourire. Il m’a paru raide et embarrassé, mais souvent on juge des choses d’après son imagination. Jusqu’à présent je n’ai pas sa réponse. Lundi soir , Marie Horn est venue chez moi, comme elle connaît la famille, je lui ai conté l’affaire lui demandant la plus grande discrétion. Elle a été indignée du peu de délicatesse du Comte ; mais en même temps un peu surprise de ce manque de procédés. 

Mercredi 5 Avril. 1865

J’ai commencé le mois par mon heure d’adoration, de 8 à 9h. du matin, puis à 9h1/2 je me suis rendue chez le père Hubinger où je me suis confessée. Le lendemain, dimanche, j’ai communié à St Michel et à 10h du matin nous avons eu l’arrivée de l’Impératrice, gracieuse comme toujours. Je n’avais eu qu’à écrire 2 fois, l’Archiduchesse ayant pu ensuite le faire elle-même ; malgré cela Sa Majesté a daigné me remercier. Le lendemain soir, lorsque les Majestés étaient auprès du lit de l’enfant, qui se couche encore de bonne heure, et que moi j’assistais au souper de Caroline, placée vis à vis des portes afin de savoir quand je devrais retourner auprès de l’Archiduchesse, je vis l’Impératrice descendre puis remonter tenant plusieurs choses dans ses mains ; peu après le petit Prince accourut dans ma chambre et me dit : " vous devez venir près de Maman ". J’y courus donc et Sa Majesté me remit un crêpe de Chine qu’elle avait rapporté de Munich et me demanda si la baronne n’était pas là ? Je remerciai de mon mieux, puis j’appelai mon amie dont le partage fut une charmante étoffe de foulard bleu. Elle me dit avoir baisé la main de Sa Majesté et moi je l’avais complètement oublié ce qui me chagrinait. L’ Empereur partit plus tôt et lorsque l’Impératrice s’éloigna je lui fis une révérence et lui exprimai encore une fois ma reconnaissance du magnifique châle qu’elle avait bien voulu m’offrir, lui demandant la permission de lui baiser la main. Elle me dit alors avec un charme qui n’appartient qu’à elle : " Je ne puis souffrir qu’on me baise la main !". Et comme je voulais exprimer que je ne m’aviserais plus jamais d’en demander la faveur, elle ajouta en me tendant la joue et en baisant la mienne (et moi son délicieux cou – je ne pus y résister !…) : " Comme cela c’est bien mieux !…" Comment l’Empereur aurait-il pu résister à ne pas gâter une telle femme quand les autres sont complètement sous le charme rien qu’à sa vue …Qu’elle obtienne de lui ce qu’elle veut, tout ce qu’elle veut, je ne le comprends que trop.

Aujourd’hui, mercredi, nous sommes sorties pour la première fois en voiture et si le beau temps continue, ma petite dame marchera un peu demain. Il y a aujourd’hui 3 semaines que la maladie a commencé, que d’angoisses nous avions à cette heure-ci et que de grâces à rendre à Dieu que les choses se soient passées ainsi ! !

Hier j’ai promené Cuné au Prater et aujourd’hui j’ai été chercher Zdenka. Nous avons rencontré l’Archiduchesse Sophie qui nous a longuement arrêtées et beaucoup parlé de la petite fille, bien entendu. Je ne saurais dire combien cette idée fixe qu’on a généralement ici que la petite doit mieux s’amuser avec moi qu’avec Caroline me peine, parce que je sens que cette pauvre amie fait bien plus que moi pour l’amuser ; je la trouve d’une abnégation complète et , malgré tout, on est si peu juste à son égard. Aussi aujourd’hui ai-je de nouveau bien cherché à pénétrer l’Archiduchesse Sophie de tout son mérite et de ses qualités précieuses. C’est une espèce de parti pris que de vouloir qu’elle soit ennuyeuse. Heureusement pour elle et pour tous, Dieu est plus juste que le monde.

Mardi 25. Avril. 1865

Aujourd’hui enfin le Comte Sternberg a daigné me faire savoir par l’intermédiaire de sa femme que je recevrai ma pension comme je le désire. Il vaut mieux tard que jamais ! ! ! Depuis le mois de novembre voilà le sixième deuil de cour que je porte : le vieil Archiduc Louis, une vieille grande duchesse de Toscane, la reine douairière de Hollande, la grande duchesse de Mecklembourg Schwerin et aujourd’hui le prince héréditaire de Russie fiancé à une princesse de Danemark, mort à Nice à l’âge de 22 ans. Il paraît que le jour de notre installation à Schönbrunn n’est pas encore fixé. Le petit Prince tousse, l’Archiduchesse semble devoir en faire autant ; il serait peu prudent de changer, je ne dirai pas d’air, mais de logement, avant que les enfants soient tout à fait bien. Il est certain que nous irons faire un séjour d’été à Reichenau et il paraît même que, si l’air n’est pas assez suffisant, nous finirons la saison dans les hautes montagnes. Hier la petite Archiduchesse m’a dit quelque chose qui m’a bien surprise et donné  à penser. Elle dessinait une femme et, après avoir terminé celle-ci, elle, mit auprès un homme, disant : " Ce sera son galant".  Je lui fis bien vite observer que, quoique cette expression se trouvât dans les fables de La Fontaine, qu’elle apprend, elle n’était pas jolie ni convenable à employer . Il faut qu’elle en connaisse le sens pour l’appliquer comme elle le voulait, mais de qui et d’où ? C’est ce que je ne puis m’expliquer.

Mardi 2 mai. 1865

Samedi 29 avril le portier du comte Sternberg me remit de sa part une enveloppe contenant nos nouvelles conditions et, au lieu de la lettre de change que j’avais demandée, cinq cents napoléons d’or . Je fus contrariée, pensant bien que j’aurais à perdre au change ; mais ne voulant pas parler avant d’être sûre, je résolus d’attendre une conviction. Lundi soir je donnai mes napoléons à Weiser qui ne partageait pas mes craintes. Lundi 1er il alla chez Steinmetz Mayer et ne reçut pour ces 25 napoléons qu’une lettre de change de 480 fr. 13c. J’avoue que j’en fus vivement impatientée et qu’il me semble difficile de croire que le comte, si au courant d’affaires d’argent, n’ait pas pensé à ce cas. Comme dans toute cette affaire il m’a traitée sans délicatesse aucune et en véritable étrangère, je n ‘ai pas hésité un instant à lui écrire cette affaire, lui envoyant le compte du banquier,(car la lettre de change était encore partie pour la Volve le matin même), qui fait foi et le priant à l’avenir de me faire remettre une lettre de change à vue, sur Paris, comme je le lui avais demandé lors de nos arrangements. Je lui envoyai ma missive et le soir j’allai chez la Ctesse Stadion où la famille se trouvait réunie. Est-ce imagination , est-ce vérité ? mais ma Ctesse me parut grognon ou pour mieux dire contrariée, Zdenka et Cunégonde moins naturelles que de coutume et quant à leur père qui arriva vers 9 heures, je ne pus douter de sa disposition d’esprit : il était furieux…..C’était pour moi une étude de mœurs que cette soirée. Quelle comédie que le monde ! !

Il est bientôt 4 heures et je n’ai pas encore de message de la Landstrasse. Je ne serais nullement étonnée que le Comte ait été lui-même ce matin chez le banquier pour s’assurer de ce qu’il en est. S’il ne l’a pas fait, ma première opinion, qu’il a pu se douter de ce qui arriverait, se trouverait fortifiée.

Lundi 15 mai.

Les dernières lignes écrites furent interrompues par l’envoi d’une lettre du Comte qui me refuse positivement la lettre de change, disant qu’il s’en est tenu aux arrangements écrits et trouve bien singulier que je réclame autre chose etc..etc.. Sa lettre est celle qu’il aurait pu écrire à un juif auquel il aurait à vendre son blé ou autre denrée, mais non pas conçue pour une personne qui a sacrifié 11 années de sa vie à ses enfants ! !..Je ne m’étais jamais fait grande illusion sur les sentiments de délicatesse du Comte , j’avais été à même de l’apprécier dans une trop pénible circonstance pour cela ; cependant je ne m’attendais pas à ce qu’il me marchandât aussi longtemps, ni à de tels procédés et j’avoue qu’ils me firent bien mal. Mon tort dans cette affaire est d’avoir eu l’extrême délicatesse de renoncer à 100 francs de ma pension quand, à bien peser les choses, ma conscience ne m’y obligeait nullement. De plus, quand j’ai vu qu’au commencement de mars le Comte me faisait des propositions injustes, j’aurais dû remettre la chose à un homme d’affaires et ne plus m’en mêler . Ceci aurait moins envenimé les choses qu’elles ne le sont maintenant car il est naturel que non seulement la Ctesse prenne le parti de son mari mais qu’aussi les personnes de la famille ne m’entendant pas de leur côté me donnent tort. Je sais que c’est ce qui arrive avec la Ctesse Sophie à laquelle elle et lui en ont parlé. Ce qu’on me reproche c’est de m’être servi de Weiser pour prendre cette lettre de change. Quelle injustice révoltante ! ! Comme si moi je pouvais aller chez un banquier et arranger le tout ! Puisqu’ils le trouvent mal, pourquoi n’ont-ils pas accédé à ma demande ? N’est-ce pas une complaisance qu’ils auraient pu avoir ? Le Comte est fort maintenant qu’il est en possession de mon ancien écrit par lequel il est clair comme le jour que je ne m’étais engagée à aucun terme et que j’avais droit à 1100 francs de pension. De plus il dit : " Je m’en suis tenu à ce que j’ai promis par mes derniers arrangements ". C’est bien vrai , parce que je n’ai pas eu la finesse, lorsque la Ctesse m’en a montré le brouillon de remarquer qu’il n’était pas question de me remettre une lettre de change mais 500 francs. Comme dans mes conditions définitives je l’avais demandée et qu’à ma lettre Mr le Comte n’a pas daigné me rendre une réponse pendant plus de 6 semaines, j’ai dû croire qu’il avait accédé complètement à mes demandes. Il semble avoir joué au plus fin et il y a réussi. Le soir même du jour où j’ai reçu cette lettre je suis allée la porter à la Ctesse Stadion qui en a été indignée et me conseille de ne pas aller à la Landstrasse avant mon départ pour Schönbrunn . Jusqu’à présent même je n’y ai pas mis le pied. Le lendemain elle vit sa fille chez la Ctesse Sophie où elles passèrent la soirée ensemble, la Ctesse Bési laissa déborder tout ce qu’elle avait sur le cœur, et cela avec sa véhémence accoutumée, sa sœur prit parti pour elle , bien entendu, on prétendit qu’on ne me reconnaissait pas là, que j’avais dû être influencée (par W. sans doute) et lorsque, quelques jours plus tard , je revis la Ctesse Stadion, j’aperçus aussitôt qu’on l’avait un peu tournée : elle se prenait à plaindre son gendre. De quoi ? je me le demande sans pouvoir me l’expliquer. Si c’est du manque de noblesse de son cœur, je le plains avec elle…Mais je laisse là un sujet qui m’agite et Dieu sait si j’ai besoin de calme…

Samedi 6 nous sommes donc venus nous installer ici où il fait bien beau, c’est vrai ; mais où l’on ne jouit nullement du sans-gêne de la campagne. Le 7, nous avons célébré la fête de notre petite dame. Le 8, la Bonne Welden est arrivée. L’enfant a pleuré un instant en la voyant ; mais elle s’est bien vite calmée et a été extrêmement gentille. En général elle est d’un naturel charmant : tout ce que la Wovo peut désirer sans que nous ayons à en souffrir. La chose principale à vaincre maintenant qu’elle se porte bien , grâce à Dieu, ce sont ces pleurs à quelques leçons qui coulent sans qu’on sache pour quel motif et sont extrêmement décourageants pour les maîtres. La dernière fois que cela est arrivé j’ai donné pour pénitence la privation du plat sucré et l’Archiduchesse est prévenue que c’est une fois pour toutes. Etait-ce la présence de Wovo, mais nous avons remarqué qu’elle affectait de dire qu’elle n’avait plus faim ; sans doute pour que celle-ci ne remarquât pas la punition. En général l’Archiduchesse n’est pas aussi droite que je le désirerais et que je veux travailler à la rendre.

Le pauvre petit Prince vient d’être bien souffrant pare suite de ses glandes qui donnent beaucoup de souci. L’Impératrice m’en a parlé il y a deux jours disant qu’elle croyait qu’autour de lui on avait la meilleure intention mais qu’on ne comprenait pas le régime à suivre. En même temps elle a ajouté qu’on pouvait être si tranquille sur l’Archiduchesse qu’elle était entre si bonnes mains, qu’elle prospérait à vue d’œil. Ces bonnes paroles m’ont fait du bien pour nous deux, mais m’ont effrayée en même temps ! Dieu donne que la santé de cette auguste enfant se soutienne et veuille toujours nous inspirer ce qui est le mieux, tant pour son âme que pour son corps. Souvent le fait répond si peu à la bonne intention ! Ce matin nous sommes entrées en ville pour la fête de l’Archiduchesse Sophie. Ma belle toilette n’a servi à rien puisque je n’ai pas approché Son Altesse Impériale. Mais ceci est le moindre de mes soucis.

Samedi 27 mai. 1865

Hier notre chère petite Archiduchesse a fait sa première confession dans l’oratoire de Schönbrunn. A 8h les Majestés sont arrivées et ont entendu la messe d’action de grâce que le père Mayer a célébrée. Elle est encore bien enfant, sans doute ; cependant j’aime à espérer que cette action ne restera pas sans fruit et lui aura fait une impression salutaire.

La santé du prince héréditaire est cause que tous nos plans d’été ont subi un changement. Le dimanche 21, après une petite promenade, l’enfant est venu chez ses parents comme toujours, et à peine y était-il, qu’il a eu comme une espèce de faiblesse qui a excessivement alarmé les Majestés. Le même jour, Löchner arrivait de Prague. Il y eut longue consultation, longs débats, et enfin il fut arrêté que le prince devait cesser toute étude et suivre un régime absolument contraire au précédent. C’est alors aussi qu’il fut décidé que nous n’irions pas à Reichenau mais que nous passerions tout l’été à Ischl où l’air est encore plus fortifiant. Si rien ne contrecarre les projets, c’est lundi prochain 29 que nous nous mettrons en chemin. L’Empereur accompagne ses enfants ; l’Impératrice reste avec nous jusqu’à ce qu’elle aille à Kissingen.

Mercredi 24, je suis entrée en ville pour voir encore une fois mon médecin et prendre ses instructions. Il est très satisfait pour moi de ce séjour dans les montagnes et me promet que j’y reprendrai la santé. Ce serait une bien grande grâce que le Bon Dieu m’accorderait, car il m’est pénible dans l’état où je suis de satisfaire à ma tâche et souvent même je me demande si je pourrai continuer ? Ma pauvre amie est loin d’être forte ; je la trouve énormément vieillie et changée de caractère : sa sœur reconnaît comme moi qu’elle est d’une susceptibilité qui fait peine parfois, car on sent bien qu’elle est due à sa santé. Mais j’en reviens à mercredi : après le médecin , j’allai chez mon bon père Hubingen, n’espérant guère le trouver. Je dus à une chaleur insupportable, et qui augment ses souffrances nerveuses , de le rencontrer et j’eus le bonheur de pouvoir me confesser chez lui et de communier le lendemain. Ensuite je me rendis chez la Ctesse Stadion. Toute la ville parle d’une disgrâce de Gondrecourt; on va même jusqu’à dire que cette permission de 6 mois forcée ou demandée, je ne sais lequel, se prolongera indéfiniment. Le pauvre homme me fait peine, il est victime aujourd’hui d’un choix qui l’a vivement contrarié, j’en suis sûre, car cette vie ne peut entrer dans ses goûts, si essentiellement militaires, et je n’ai jamais pu comprendre qu’on s’attendît à ce qu’il sût conduire un si jeune enfant, lui qui n’en a aucune expérience. Si réellement il ne reprend plus cette tâche, à qui va-t-on la confier ? Il me semble qu’on ne pourrait la remettre en de meilleures mains qu’en celles du Cte Saint Quentin qui comprend l’éducation, que tous les enfants adorent. Pour moi je serais bien contente que nous nous retrouvassions ici.

Mercredi 31 Mai (Ischl).

Lundi 29 à 7 heures du matin nous partîmes pour Ischl, tous dans d’assez bonnes dispositions grâce à Dieu. Le voyage fut très fatiguant à cause de la chaleur. Les Majestés gardèrent les enfants avec eux jusqu’à Gmunden où nous arrivâmes vers deux heures. A la descente des voitures je remarquai que l’Archiduchesse était fort pâle. Les effets de la chaleur lui avaient donné " des malaises qui continuèrent à Gmunden et nous empêchèrent de prendre part au dîner. De l’hôtel où nous étions descendus, on jouit de la plus magnifique vue sur le lac . La traversée fut délicieuse ! L’Empereur eut la grâce de me donner quelques renseignements sur les hautes montagnes environnant le lac – il est si simple et paraît si bon ! Après 1 heure de bateau à vapeur nous débarquions à Ebensee et le même espace de temps parcouru en voiture nous amenait par la plus délicieuse vallée, le long du cours de la Traun, à Ischl. Déjà à Gmunden et avant même les vivat avaient réjoui nos oreilles et partaient de cœurs sincères à n’en pas douter. Ici la réception fut touchante et je sentis bien plus vivement que jamais combien notre nation a perdu, ne possédant plus ces princes légitimes ! ! J’étais attendrie et fière pour l’Empereur de l’affection de ses braves sujets des montagnes. Dieu veuille rallier autour de son trône ceux de ses sujets qui s’en sont éloignés !..

Dimanche de la Pentecôte 4. Mai 1865

Le 2 l’Empereur retourna à Vienne. Afin de jouir plus longuement de ses enfants, il les fit dîner avec eux ainsi que nous tous. Qui m’aurait dit qu’un jour je serais assise à la table de l’Empereur et de l’Impératrice. Souvent encore ce changement de position me semble un rêve ! Je n’y suis point faite encore , et d’un autre côté je ne puis dire que j’y éprouve beaucoup d’embarras. Ce double sentiment est pour moi une véritable énigme. Je ne puis dire qu’on soit ici fort à l’aise : on se rencontre trop souvent pour cela, cependant je m’y trouve infiniment mieux qu’à Schönbrunn et j’ai lieu d’espérer que ma santé s’y fortifiera. Caroline est aussi un peu souffrante ; avec cela son découragement est à se désespérer quelquefois. Hier je n’ai pas été contente de moi à son égard ; je ne sais si elle l’a remarqué, mais j’ai perdu patience et je crains qu’un sentiment d’égoïsme n’y ait été pour une bonne part. Elle voulait aller à la messe du matin et , intérieurement, je le voulais aussi, si bien qu’il était difficile de nous entendre. Mais j’en reviens à l’Empereur dont je tiens à me rappeler un trait qui m’a touchée. Le 1er, il sortit en voiture avec ses deux enfants et revint à pied, leur portant lui-même leurs manteaux afin sans doute qu’ils fussent plus libres de jouer ou peut-être même dans la crainte de les fatiguer . C’est réellement un père comme on en voit peu ! Dieu veuille le bénir dans ses chers enfants !

Aujourd’hui grande fête, je n’ai pas entendu d’autre messe que celle dite dans la villa et je ne pourrai même aller à la bénédiction qui est à 2 heures. Demain je tâcherai de mieux faire. Qui m’écrira en premier lieu ? Je me sens un extrême besoin de marques de sympathie ! Il me semble qu’une lettre de Brézina ne devrait plus tarder.

21 Juin1865

Depuis le 4 jusqu’au 19 à midi nous avons eu de la pluie entre autres le 11, un orage qui a commencé à minuit et fini à midi ½. Des gens qui habitent Ischl depuis de longues années ne se rappellent pas quelque chose de pareille (sic) comme durée. Ce sont en effet mes chères enfants qui m’ont écrit les premières. Elle sont très actives et me font bienplaisir ! Je crois pouvoir réellement compter sur leur affection et oublie par là la mesquinerie de leur cher père. Le 16 l’Empereur nous est revenu. Nous avons eu de nouveau l’honneur d’être admises à sa table ainsi que le jour de son départ qui a eu lieu le 19. Il paraît être heureux de la bonne mine de l’Archiduchesse. Dieu veuille lui accorder toujours cette satisfaction ! Hier, premier beau jour, nous avons été voir le lac de Hallstadt qui nous a ravies. Les hautes montagnes qui l’entourent lui donnent un aspect bien plus sévère que celui du Wolfgangsee. L’eau , au lieu d’être bleuâtre comme celle de cela est d’un vert bien plus foncé que celui du Traunsee. Nous avons été en voiture jusqu’à Gesangwang ; là nous nous sommes embarquées pour voir Hallstadt. Revenues à pied par la soolleitung, qui plane sur le lac à une grande hauteur, nous avons cueilli des roses des Alpes, ce qui a beaucoup parlé à l’imagination de notre chère petite dame. Elle est revenue ravie de son excursion !

Dimanche 25.

Je viens de punir ma petite Archiduchesse, et je voudrais bien que la punition fît effet ; voici pourquoi : hier il y avait foire. Depuis plusieurs jours les enfants se réjouissaient des achats qu’ils y feraient et s’en promettaient un immense plaisir ! L’Archiduchesse me raconta que sa maman lui avait permis de s’acheter ce qu’elle voudrait en fait de joujoux et que si elle n’avait pas assez d’argent elle pourrait se faire remettre le surplus par son valet de chambre. Je ne vis pas Sa Majesté ; et, l’aurais-je vue, persuadée de ce que m’avait dit notre petite dame, je n’aurais pas même eu l’idée de lui demander une explication à ce sujet. Nous allâmes donc à la foire, nous achetâmes tout ce qui plut à l’Archiduchesse sans compter. La somme se monta à 19 fl. 35. Ce matin l’Impératrice eut la grâce de me parler, je lui demandai comment elle trouvait les jolies choses que nous avions achetées et tout en causant ainsi, j’appris que Sa Majesté n’avait permis que l’achat d’un joujou. Maintenant, l’enfant a-t-elle mal compris ou a-t-elle menti ? C’est ce que je ne puis positivement affirmer . Il est aussi possible, peut-être , que moi aussi j’aie mal compris ce qu’elle m’a dit relativement au crédit qui lui était ouvert et que, sans m’en douter, je l’aie confirmée dans la confusion qu’elle a faite. Cependant , comme plusieurs fois j’ai cru remarquer qu’elle n’est pas aussi véridique que je le désirerais, je lui ai fait payer la plus grande partie de cette somme, ne laissant qu’une bagatelle à la charge de Sa Majesté. A-t-elle mal compris ? Une autre fois elle demandera mieux ; a-t-elle menti ? J’espère que la perte de ses deux napoléons auxquels elle semblait tenir beaucoup sera pour elle une punition dont elle se rappellera. J’ai souffert de les lui faire donner ; mais cependant je crois que je les lui devais en conscience.

Je suis bien contente d’être rassurée sur ma petite nièce qui, il y a une quinzaine de jours a eu des accès d’une fièvre accompagnée de délire. Heureusement elle va très bien, et si rien n’a changé les projets de ma sœur , ils se rendent tous aujourd’hui à Joigny pour y assister à un carrousel auquel Pol prend part et qui aura lieu demain. Dieu veuille le préserver de tout accident !

Le 23, jour de fête de Zdenka, je n’ai pu même assister à la messe : à 8 heures, les deux gouvernements réunis se sont mis en route pour le Bettenbach Alpe où nous arrivions à 10 heures, sans fatigue, puisque nous nous sommes fait porter une bonne partie du chemin. Le temps nous a favorisés et le tout a réussi au gré de nos désirs. En chemin, j’ai appris par le Cte Palffy que le Bon et la Bonne Bolshausen sont ici, et hier, à la foire , je les ai aperçus. Je voudrais savoir quel effet cela lui a fait de me revoir, et doute fort qu’il m’ait reconnue s’il n’avait su par Palffy qui je suis. J’en entendrai sans doute parler aujourd’hui à dîner.

Jeudi 10 août.

Je n’ai rien écrit depuis des semaines et des semaines, à mon grand regret, mais, en vérité, je ne trouve le temps de rien. J’aurais dû parler d’une charmante partie au Gosan See que nous avons faite vers le 8 ou 9 juillet et qui m’a réellement procuré beaucoup de jouissances. Mon jour de fête n’a pu passer inaperçu comme chez Sternberg. L’Archiduchesse a été très gentille à cette occasion. Sa Majesté m’a fait remettre un joli camail de cachemire noir brodé ; mais j’avoue que le moindre petit télégrame (sic) m’aurait fait un million de fois plus de plaisir. Peut-être est-ce trop d’exigence ?…mais que prouve un cadeau d’une personne si haut placée ?.. Le 11 nous avons fêté l’Archiduchesse qui s’est mieux tirée d’affaire que je n’osais l’espérer . Cette comédie donnée par les enfants de l’école sous la direction du curé l’a amusée, de même que le goûter ensuite, puis plus tard les félicitations de 600 enfants. Le soir Sa Majesté est arrivé ; pour l’attendre nous avions eu la pensée de souper sous le balcon, ce qui ne nous arrive jamais. Comme nous voulions commencer Il arrive et ne permet pas que nous le laissions souper seul avec sa fille ; nous avons dû rester et jamais je n’ai trouvé Sa Majesté aussi aimable.

Je suis bien aise qu’un mois aux si tristes anniversaires(mort de son frère Hippolyte en juillet 1862)  soit passé. Celui d’août nous en rappelle aussi deux (mort d'Auguste en août 1855); mais d’une part ils sont moins réscents (sic) et de l’autre ils n’ont pas ainsi détruit tout mon avenir, ils ne m’ont pas enlevé une correspondance qui faisait ma joie à l’étranger, une affection aussi exclusive que celle qu’avait pour moi ce bien aimé frère…Je n’ai pu en capter de félicitations à ce jour mais peu après ma petite archiduchesse a voulu me fêter et m’a apporté un éventail qui m’a fait plaisir. 

 


 

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