Mercredi 2 janvier.1867
Ma troisième année à la Cour. Jouis-je pour longtemps encore ? Qui peut le savoir dans le temps incertain où nous vivons d’une part, et de l’autre, avec une santé comme celle dont je suis affligée depuis mon entrée à la Cour. Mon hydropathe me promet bien un entier rétablissement comme récompense d’une constance qu’il ne limite pas ! ! ! Mais qui sait ce qu’il en sera ? Ce n’est qu’en Dieu que je me confie et espère- tout à sa sainte volonté ! C’est donc au jour le jour que je vis. N’est-ce pas mon étude depuis la mort de mon bien-aimé frère (Auguste décédé en 1855 ou Hippolyte décédé en 1862 ?)? Depuis que mes projets les plus chers, nourris depuis 11 ans, ont été anéantis pour la vie…Donc, courage, il n’en sera que ce que Dieu voudra, ni plus ni moins…
Lundi 22 décembre, à mon grand regret (je suis si bête d’habitude !) nous avons quitté Schönbrunn pour venir prendre nos quartiers d’hiver.
Les premiers jours, les escaliers m’ont tellement fatiguée que j’en étais toute triste. La veille de Noël, après les félicitations, la promenade, le Christbaum aux écuries, je me suis sentie si mal à l’aise, que je n’ai pas assisté à l’arbre de Noël ! Intérieurement j’ai remercié Dieu de m’avoir envoyé cette espèce de migraine qui répondait si bien à mon désir. Le principal cadeau de Sa Majesté, le portrait de ma mère, n’est pas encore arrivé malgré les promesses du photographe Etienne. Il a eu la bêtise de ne pas expédier par la poste, ce qui est sans doute cause de ce retard si prolongé. J’ai reçu en outre une belle chemisette avec manches pareilles, un mouchoir brodé, une cassette renfermant ce qui est nécessaire pour écrire en voyage, une jatte de porcelaine montée sur bois et des bonbons. Je suis heureuse que les fêtes et le nouvel an soient passés, tout ce qui sort du calme ordinaire me fatigue par trop, bien que je me sente cependant moins misérable que l’année dernière. Je continue mes bains avec persévérance. J’ai eu bien de la peine à les organiser ici ; mais avec des sacrifices pécuniers, de quoi ne vient-on pas à bout ? J’ai espoir qu'avec le temps et la patience ce traitement me remettra à flots. Combien j’en remercierais Dieu pour moi et les miens ! On m’écrit de la Volve que Thérèse est dans la joie de son âme : le bon Petit Jésus lui a apporté un âne qui fait ses délices !.. Je suis non seulement pour le bonheur présent, mais le bon souvenir que cette chère enfant en conservera toute sa vie. J’aime que l’enfance soit heureuse. Dieu seul sait ce qui est réservé à l’avenir et par quelles épreuves ces pauvres petits êtres devront passer ! Qu’au moins quelques doux souvenirs viennent faire trêve au sérieux de la vie.
Rancourt est nommé officier et voici Pol avec le N°1. Espérons qu’en mars son tour sera arrivé. Du reste, si ce projet de réorganisation de l’armée passe, les chances d’avancement s’en trouveront augmentées.
La pauvre Toni est bien affaiblie par suite des abcès dont elle souffre et qui dureront encore longtemps, dit-on. Depuis le 1er son mari est installé chez Königsegg. Je ne puis imaginer qu’il ait gagné en liberté par ce changement. Mais il l’a voulu, donc il ne pourra se plaindre, mais cela ne l’empêchera pas de se sentir malheureux. Dans cette position on ne devrait jamais se marier, cet exemple en est une preuve de plus. Depuis 7 semaines tout de suite, voilà Toni avec 3 personnes à son service, un médecin qu’il faut payer bien cher, la sage-femme qui vient encore bien souvent. Quelles dépenses, et comment se tirerait-elle d’affaire si cette pauvre Caroline n’était là ! Il me semble que maintenant elle doit cependant se sentir reconnaissante à Dieu d’être ici et de pouvoir par ce moyen secourir sa sœur bien largement. Si Toni a plusieurs enfants que fera-t-elle ? Mais la Providence est là, et cette pauvre femme est trop vertueuse pour qu’elle soit abandonnée.
Vendredi 11 janvier.
A ma rentrée de chez Hélène, à 7h. du soir, je trouvai l’Archiduchesse avec les précurseurs d’une indigestion ; cependant, comme je voudrais vaincre sa disposition à la mollesse, je l’engageai à descendre chez ses parents comme si de rien n’était et à ne pas parler de son mal. Son frère remarqua qu’elle était plus tranquille que de coutume, l’Empereur lui demanda si elle avait mal à la tête et l’Impératrice, sachant qu’elle n’était pas très sûre d’elle, la fit remonter, disant qu’il valait mieux qu’elle se couchât. Je n’aime pas le lit dans cette disposition et je l’engageai à attendre encore ; mais depuis quelques jours qu’elle est souffrante de la gorge, je vois reparaître, en diminutif heureusement, cet esprit de contradiction qui m’a tant frappée à mon arrivée. Je n‘insistai pas puisque l’Impératrice l’y avait engagée. Tout en se déshabillant, elle eut des malaises ; je la forçai à boire du thé " de camomille qu’elle prétendait ne pouvoir avaler parce qu’elle n’en voulait pas. Je l’engageai de nouveau à attendre pour se mettre au lit ; elle m’assura que tout était passé. Il faut que je me tienne bien sur mes gardes avec elle, quand elle veut une chose, elle tourne de toutes les façons pour y arriver. Enfin la voilà au lit ne voulant pas la possibilité de se salir si elle vomissait. Elle y était à peine d’une demi-heure qu’elle appela Anna. J’avais laissé toutes mes portes ouvertes, si bien que j’accourus en même temps pour assister à une expédition qui ne manqua pas d’amener ce que j’avais prédit. A peine avait-elle fini que je commençai un sermon sur son peu de fermeté, disant que lorsqu’on grandissait on devait devenir toujours plus courageuse et que ce soir elle avait été comme un petit enfant. Elle aime la louange mais non le blâme ; aussi me répondit-elle plus vite qu’elle ne le voulut et avec impatience : " Non " puis aussitôt : " Vraiment ? " mot qu’elle employait au commencement à chaque observation que je lui adressais et pour des choses qu’elle savait tout comme moi. Aussitôt elle en eut regret, sans doute, car elle ne me laissa pas partir sans m’embrasser et me dit " Une autre fois, j’écouterai la vieille."
Depuis le 27 dernier qu’elle a commencé à avoir des aphtes dans la gorge, je la trouve moins appliquée, moins disposée en tout. Depuis 4 jours, je la fais rester à la maison, impatientée que cela traîne si longtemps et désirant par là hâter la guérison, à laquelle nous touchons, j’aime à l’espérer. En cette occasion Wiederhofer s’est montré si peu décidé qu’il m’a grandement impatientée, je l’avoue. J’ai vraiment prié Dieu afin que je lui parle avec calme. Heureusement j’ai été exaucée. J’ai trouvé chez Hélène Marie Liste qui fait du bien à force, va chez les pauvres et nous a intéressées à 2 pauvres familles dans la détresse. Demain l’Archiduchesse me donnera de l’argent pour elles et j’enverrai aussi quelques objets chauds. Caroline donnera des bas.
Le portrait de maman est enfin arrivé ce matin après avoir parcouru l’Italie. Je meurs d’impatience de le recevoir ! J’avais espéré pour ce soir, mais il n’en a rien été. Si seulement l’Impératrice voulait me le donner elle-même !
Hier le Cte et la Ctesse Sternberg dînaient à la Cour. Les enfants en ont profité pour m’inviter, nous sommes restées seules jusqu’après 8h., ce qui nous a charmées. Zdenka qui avait été souffrante deux jours plus tôt par suite d’une violente indigestion, allait tout à fait bien et n’avait plus que des précautions à prendre.
Jeudi 17 janvier. 1867
Depuis hier au soir je suis en possession de l’excellent portrait de ma bien-aimée mère et heureuse au delà de ce que je puis dépeindre ! Je savais qu’il était enfin arrivé le 11 et chaque jour j’espérais que Sa Majesté me ferait appeler pour me le remettre. Je présume que le cadre a été cause de mon attente. Hier donc après 7h. l’Archiduchesse est venue me dire que l’Impératrice désirait me montrer quelque chose. Je suis bien vite descendue. Sa Majesté s’est montrée à la porte de son salon et m’a répété la même chose. En voyant maman si bien, j’ai été si saisie que les larmes me sont montées aux yeux. Sa Majesté a paru heureuse de ma surprise, de mon bonheur et m’a tendu son cou 4 fois. Il me semble que je l’ai remerciée bien gauchement, tandis qu’elle était si gracieuse et m’exprimait ses regrets que ce ne fut pas venu à Noël. Elle m’a demandé si maman ne m’en avait rien écrit et sans me donner le temps de la réflexion j’ai répondu que non. Je me demande encore si c’est bien véridique et je ne puis savoir si j’ai menti ou non. Je me trouvais dans une position très embarrassante : dans la journée la Ctesse Königsegg m’avait encore écrit :" Ne nous trahissez pas, l’Impératrice croit que c’est une surprise pour vous ". Mon rôle était donc difficile ; mais mon émotion était bien réelle à la vue de cette face chérie si bien rendue .Toute ma vie je serai reconnaissante à Sa Majesté des joies journalières que son présent va me procurer. Puis je suis heureuse de penser qu’après moi la famille jouira de ce bon portrait. C’est sans doute à Thérèse que je le laisserai, en tout cas la jouissance à sa mère si elle me survit.
Hier aussi l’Archiduchesse a été comblée de toutes les douceurs que produit la Lorraine. Elles lui ont été apportées par le curé de Nancy, dont je ne comprends pas la mission ici. J’en découvrirai peut-être le but demain, car je veux lui faire une visite et lui porter une lettre pour Joséphine Dégoutin . Ce matin l’Archiduchesse lui a donné audience et c’est alors qu’il m’a offert de se charger de mes commissions. Plus tard lorsque j’aurai causé avec lui, je parlerai de l’impression qu’il m’a faite. Je lui voudrais plus de calme, il gagnerait en dignité, chose à laquelle prête tout le reste de sa personne.
Vendredi 25. 1867
Le 18, j’allai me confesser, puis ensuite je fis ma visite au curé, chez lequel je rencontrai le Cte Gondrecourt que je n’avais pas aperçu depuis son éloignement de la Cour. Il fut tout aussi étonné que moi de notre rencontre, je le trouvai aussi aimable qu’il peut l’être, mais j’avoue que dans le premier moment je me sentis embarrassée par la pensée que ma présence ne pouvait lui rappeler d’agréables souvenirs. Heureusement je ne connaissais pas encore le jugement rendu contre lui : 2 années de forteresse, la perte de son grade et de ses ordres. Il a été gracié et condamné seulement à je ne sais combien de semaines d’arrêts, mais on m’assure qu ‘il est pensionné. Si j’avais eu idée de tout cela, j’eusse été vraiment fâchée de le revoir. Quand on pense que lors de la guerre du Holstein il était le héros du jour !.. Vanitas vanitatum.
Le curé n’a pas osé me dire que la Lorraine voudrait se séparer de la France - que quelques familles de la vieille noblesse regrettent encore leurs ducs, je trouvai la chose naturelle ; mais il n’y a rien de plus. C’était une petite flatterie sur laquelle Latour n’a pas manqué de faire ses remarques au Prince et je l’en approuve. Toutes les nouvelles politiques de la France me font présumer un changement non éloigné de dynastie. Il me semble que mes compatriotes ont enfin ouvert les yeux et jugent de l’état de décadence, d’abaissement où Napoléon a réduit notre pauvre France…Que verrons nous encore… C’est effrayant !..
Mercredi 23 l’Impératrice est partie pour Zurich où elle se propose de passer une quinzaine pour y voir la Ctesse de Trani (son altesse royale Mathilde, ctesse Trani née duchesse en Bavière, sœur de l’Impératrice Elisabeth ?) qui vient d’y faire ses premières couches et de donner naissance à une petite Princesse. La veille de son départ Sa Majesté avait eu la nouvelle des fiançailles de sa plus jeune sœur, Sophie, avec le roi de Bavière. Elle en paraissait très heureuse. Dieu veuille que le mariage rende le roi plus posé. Hier j’ai passé quelques heures chez les Sternberg. Zdenka et Cunégonde m’ont raconté qu’elles apprennent à patiner chez la jeune Princesse d’Arenberg. C’est la fureur cette année : jeunes et moyen âge, tout s’y met. Il est vrai que l’hiver y prête et donne le temps de faire des progrès.
Le 19, j’ai enfin reçu des nouvelles de la Volve ; je n’en avais pas eu depuis le premier, ce qui me semble bien dur ! Tout le monde y va bien grâce à Dieu. On essaie de marier Henri (fils du premier mariage de T. Cormier); Dieu veuille que cette fois la chose réussisse ; ce serait avantageux pour tous et je pense que mon beau-frère en serait très content.
Ma bonne mère m’assure que sa santé est parfaite, qu’elle n’a pas même ressenti cette petite névralgie qui l’avait fait souffrir 2 hivers de suite.
Samedi 2 février 1867.
Il fait le plus beau temps qu’on se puisse imaginer et cependant je ne suis pas sortie, mes jambes me font trop mal, les muscles ou nerfs, je ne sais lequel, sont trop irrités pour que je tente de leur faire monter 4 fois l’escalier. Dans ce moment l’Empereur se promène avec ses enfants, grande joie pour tous, plaisir trop rare, hélas ! A 4h. je conduirai l’Archiduchesse aux représentations du Gefellensverein. C’est en récompense de tous les ennuis qu’elle vient d’avoir à cause de sa taille. La dernière fois que Wiederhofer l’a visitée, trouvant que les progrès de la hanche sont à peu près nuls, je lui ai demandé aussi délicatement que je l’ai pu, s’il ne croit pas que nous devrions consulter un orthopède. Je l’ai blessé, ceci n’a pas manqué et nous avons eu bien de la peine à nous entendre ; je ne dis pas comprendre, car d’après la lettre que je lui ai conseillé d’écrire à Lös, je vois qu’il n’a pas saisi mes intentions. Enfin, ceci est égal. Aujourd’hui nous avons eu Pitha, qui n’avait pas vu l’Archiduchesse depuis très longtemps. Il est content du haut, mais ne nie pas le défaut de la hanche. Nous allons essayer d’une semelle plus haute au pied droit, pour observer sa tenue lorsqu’elle est assise, car nous supposons tous trois qu’elle appuie plus sur une base que sur l’autre. Pitha n’a aucune inquiétude pour l’avenir, et assure que chaque femme regardée d’aussi près accuserait certainement un manque de symétrie. Me voilà donc tranquillisée à ce sujet et j’en suis bien heureuse ! C'est à l’Empereur que j’ai demandé la visite du professeur en même temps que la récompense d’aujourd’hui. Il a été bon et gracieux comme toujours.
Il faut que je cesse pour écrire à Pol qui vient de m’assurer qu’il est bien content d’avoir obtenu la place d’adjudant car ce changement de ministre de la guerre va peut-être retarder encore son avancement : nous comptons sur la protection de Mme de Guéroult près du Maréchal Randon pour enlever cette épaulette si désirée et si chèrement achetée. Voici ce bon garçon avec le No1 ; Dieu veuille que ce ne soit plus long. Rancourt vient d’être nommé et Paul a pris sa chambre qui est bien préférable à celle qu’il occupait précédemment. Combien il jouit d’être seul et chez lui.
Jeudi 14 février 67
Que s’est-il passé depuis ces 12 jours que je n’ai écrit ? Rien de bien saillant ; le retour de l’Impératrice le 10 au matin, c’est vrai ; mais à l’exception de la demi-heure de liberté que cela me donne le matin, je sais à peine si Sa Majesté est là ou non. Elle est arrivée très enrhumée, enrouée, je l’ai vue à son entrée, elle m’a dit que l’Archiduchesse a bien bonne mine et c’est tout. Qu’il est singulier qu’une mère, fut-elle impératrice, s’inquiète si peu de ce qu’a fait son enfant pendant une absence de 18 jours ! ! !Qu’elle ne monte pas chez sa fille en ce moment qu’elle est enrhumée, passe encore ; mais jamais, à moins que l’enfant ne soit indisposée, c’est ce que je ne puis m’expliquer ! En supposant que ni Caroline ni moi nous ne soyons sympathiques à Sa majesté je ne puis encore trouver d’excuse, puisque nous quittons la chambre aussitôt que Sa majesté y entre. Cette insouciance est bien triste pour nous, pour l’enfant surtout. Saura-t-elle s’en occuper quand l’enfant sera plus grande ? C’est ce que je me demande souvent avec anxiété…Mais laissons l’avenir à Dieu et à Lui d’arranger les choses pour le mieux.
Nous avons déjà mis de côté cette bottine à semelle plus épaisse du pied droit que Pitha et Wiederhofer avaient conseillée. J’en suis heureuse car je crains ces inégalités : il est si facile qu’un enfant en devienne pis ! Dans ce moment l’Archiduchesse me semble un peu volontaire, cherchant par un flux de paroles à prouver qu’elle a eu raison etc…etc. Il faut que je veille bien à cela. Sa dernière leçon de calcul m’a déplu ; elle avait de l’humeur, pas d’entrain ; je tâcherai de me rendre compte de celle d’aujourd’hui afin que les chose ne prennent pas ce pli.
Le temps est superbe aujourd’hui, ca matin il y avait une gelée blanche, l’air était pur et délicieux ; et cependant je n’ai pas entendu siffler le merle, plaisir dont je jouissais chaque jour depuis dimanche 10.
Mercredi 20.
Je crois vraiment que la disposition fâcheuse que je remarquais chez l’Archiduchesse n’était due qu’à une légère indisposition, à des aphtes dans la gorge. Cette fois elles se sont bien vite guéries et avec elles est partie cette petite indisposition qui m’effrayait.
Jeudi 21.
Je voudrais me préparer pour la confession que je voudrais faire cette après-midi, mais pendant que la musique joue je suis par trop distraite et puis, moins que jamais, rassembler mes idées ; il faut que j’attende la tranquillité. L’Archiduchesse est à la promenade avec Caroline, c’est le 4ème jour que je ne la promène pas, ce qui me paraît dur ! Depuis mardi je ne puis me baigner et je le sens bien, je suis encore plus patraque que de coutume ! Retrouverai-je jamais mes jambes ? Je commence à en douter. Quelles seront les suites de ces congestions à l’épine dorsale ? Je n’ose me le demander. Dieu m’aidera, ne scrutons pas plus loin, à chaque jour suffit sa peine. Pol a dû recevoir dimanche une lettre de moi, réponse poste pour poste à des lignes désespérées qu’il venait de m’adresser : le pauvre garçon venait d’avoir la nouvelle que pendant qu’il travaillait de toutes ses forces à Saumur, son colonel l’avait reculé de deux numéros…Si la chose est réelle, et elle le paraît, Mr de Bernis a agi envers lui avec une fausseté indigne et que je voudrais pouvoir être à même de lui reprocher. Il est à Paris en ce moment. J’ai engagé Pol à faire son possible pour le voir et lui parler ; mais je crains qu’il n’en obtienne pas la possibilité, car s’il se sent coupable, il évitera mon frère. Où sont donc toutes les promesses faites à ce pauvre garçon et à Mr de Blangy ? Ce serait en vérité une offense pour celui-ci. Hier j’ai reçu une lettre de la Volve qui me prouve que ni Fanny ni maman ne sont instruites du découragement si légitime de ce pauvre garçon. Je lui ai parlé de m’adresser au Duc de Gramont si Mr de Blangy le trouve faisable ; je suis curieuse ce qu’il me répondra à ce sujet.
L’Impératrice est restée au lit ce matin et n’a pas vu ses enfants ; que lui manque-t-il ?
Lundi 25 fev 1867
Hier matin, j’ai reçu de Pol une lettre datée de Paris où il s’était rendu pour faire des démarches avec ce bon Mr de Blangy. Il m’écrit que la protection du Duc de Gramont peut lui être d’un grand secours et me prie de faire de promptes démarches pour tâcher de l’obtenir. Aussitôt j’ai écrit au Duc pour solliciter un entretien ; il m’a répondu ou fait répondre, je ne puis deviner lequel, qu’il serait à ma disposition aujourd’hui de midi à 2 heures. Je m’y rendrai à midi ½ que je serai libre. Dieu veuille qu’il ne me refuse pas son secours et que je sois assez éloquente pour l’intéresser à mon pauvre frère !
Vendredi 1er mars 67.
Le Duc de Gramont me reçut très aimablement, écouta mon affaire et me promit son intercession me disant qu’il avait un frère colonel de la Garde, le Duc de Lesparre, que le Cte de Goyon est son ami et ne lui refuserait pas ce qu’il lui demanderait ; que de plus il avait à l’ambassade un colonel qui avait longtemps travaillé dans les bureaux du ministère et qu’il lui parlerait. A deux reprises il m’a dit qu’il était très heureux que je ne fusse pas venue 8 jours plus tard et me promit de s’occuper promptement de cette affaire. En sortant de mon audience le valet de chambre me dit que Mlle Danzinger me faisait prier de monter chez elle (c’est l’institutrice de la jeune de Gramont). Ne l’ayant vue qu’une fois je fus d’abord frappée de son sans gêne ; mais grâce à Dieu je ne cédai pas à un mouvement d’orgueil et montai. Elle me parla d’une association que je favorise beaucoup (il s’agit d’aider les gouvernantes dans l’embarras de se caser etc…etc…) et moi je lui racontai le but de ma visite au Duc. Elle me promit de lui rappeler d’écrire et je sortis bénissant le Ciel et l’espoir dans le cœur. Mercredi soir 27, je reçois un billet d’elle où elle me dit que le Duc la charge de me demander si je me sens autorisée à dire que Sa Majesté l’Impératrice s’intéresse à moi, que dans ce cas il répond presque du succès de mon affaire et qu’il n’attend que ma réponse pour écrire à Paris. Sept heures allaient sonner, on allait donc appeler l’Archiduchesse pour se rendre chez les Majestés, l’Impératrice était souffrante, je le savais, et cependant la chose était si pressante, comment faire ? Ma gentille Archiduchesse qui vit mon embarras, me demanda avec instance de lui en expliquer la cause, m’assurant qu’elle me comprendrait. Après m’avoir écoutée avec grande attention, elle me dit : " Je vais demander à maman de vous recevoir, et si elle ne peut pas, je prierai papa de vous entendre, c’est donc la même chose ". Elle était vraiment délicieuse dans son désir de me faire plaisir, cette chère enfant ! L’Impératrice m’accorda aussitôt une audience et me permit, avec sa grâce ordinaire, d’assurer au Duc qu’elle daigne s’intéresser à moi et espère que je réussirai (Sa Majesté était étendue sur sa chaise longue et m’en dit la cause, ce qui étonna vivement la Ctesse H. à laquelle elle avait demandé de ne pas le dire aux dames d’honneur). J’écrivis aussitôt à Melle Danzinger et je pensai en moi-même que le lendemain je raconterais le tout à la Ctesse Königsegg et la prierais d’assurer le Duc que réellement les choses sont telles que je les ai dites , afin d’y donner plus de poids. La Ctesse ne me refusa pas ce service, écrivit encore dans la matinée à Mr de Gramont et en reçut une charmante réponse où il lui dit que le matin même il avait écrit à une personne influente et qu’il serait d’autant plus satisfait de me rendre ce service qu’en même temps il ferait une chose qui serait agréable à Sa Majesté l’Impératrice.
J’aime donc à me livrer à l’espoir. Je viens d’écrire tout ceci à M r de Blangy qui en sera heureux, j’en suis sûre.
Hier était pour moi une journée féconde en jouissances du cœur. La Ctesse de Chambord vint faire une visite à ma petite Dame et fut pour moi d’une amabilité charmante, me disant qu’Ils savaient combien je suis bonne royaliste. Je pus lui baiser la main ce qui remplit mon cœur d’une respectueuse joie. Sa dame d’honneur, la Ctesse de Chabannes me plait beaucoup et paraît excellente. Aujourd’hui l’Archiduchesse va rendre la visite. J’espère qu’elle sera reçue.
Dimanche 10 mars 1867
Jour anniversaire du mariage de ma sœur : Dieu veuille lui conserver bien longtemps encore son excellent mari. A l’instant nous venons d’apprendre la mort presque subite de la duchesse Sophie de Bavière, mariée il y a deux ans en décembre à un des frères de l’Impératrice. Que je plains ces pauvres souverains de Saxe ! C’est, si je ne me trompe, leur dernière fille ! ..Une preuve de plus que le bonheur n’est pas de ce monde…On la disait charmante cette jeune princesse. Elle laisse une fille née à Noël il y a un an.
J’ai été bien longtemps sans écrire, je m’en repens. J’en reviens à la visite de l’Archiduchesse à la Ctese de Chambord. Ma chère petite dame était attendue et a été reçue avec toute l’amabilité, la bonté qui caractérisent Madame. Pour moi, j’ai pu lui baiser la main et, bien mieux que cela encore, Henri V en traversant le salon où j’attendais avec le chambellan, dont je ne connaissais pas le nom, eut la grâce de s’arrêter, de me dire qu’il avait fait ma connaissance l’année passée, de louer mon archiduchesse, de s’informer de l’Impératrice, de me demander si j’avais été en France, en Lorraine ? J’étais ravie de pouvoir m’entretenir si longuement avec mon Roi bien-aimé. Madame de Chabannes n’était pas à la maison. En allant remercier la Ctesse Königsegg du service qu’elle m’avait rendu, je lui demandai de me dire franchement si je devais ou non faire une visite à cette dame. Elle me la conseilla. Le 8 je me présentai donc chez elle, je n’eus pas le plaisir de la trouver et laissai ma carte. Est-elle souffrante, ne la lui a-t-on pas remise ? Je ne sais lequel ; ce qu’il y a de certain, c’est que je ne l’ai pas encore vue. Je crois cependant être sûre que les Altesses sont encore ici.
Hier soir, il y avait comédies et tableaux en faveur des pauvres Bohêmes ruinés par suite de la guerre. Je me suis dispensée d’y aller, souffrant de la gorge depuis près d’une quinzaine, ce qui me contrarie fort à cause des bains froids que j’ai dû suspendre. Aujourd’hui je ne me suis pas même laissé envelopper du drap humide et masser ou, pour mieux dire, battre, et je verrai le médecin pour savoir ce qu’il y a à faire. Cette suspension me contrarie fort. La Ctesse Stadion vient d’être prise d’un très fort rhume qui la retient à la maison.
Vendredi 15 mars.
Voici la copie exacte de la lettre que le Duc de Gramont a reçue hier du Cte de Goyon auquel il avait bien voulu s’adresser pour mon frère:
"Paris , le 12 Mars 1867.
Monsieur le Duc,
J’ai reçu la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire le 28 du mois dernier, au sujet de Mr de Surirey, adjudant au 1er Chasseurs.Je suis très touché de la manière dont vous voulez bien rappeler nos anciennes relations. Je n’ai pas besoin de vous dire que de mon côté j’en garde précieusement le souvenir, et que je serai toujours heureux lorsqu’il se présentera des occasions de vous en donner des marques. Je suis passé hier au ministère de la guerre pour m’occuper de votre protégé. J’ai trouvé tout le monde on ne peut mieux disposé en sa faveur, et on m’a assuré qu’il aurait la première place de sous-lieutenant revenant au tour des sous-officiers du corps. Mais il faut pour cela qu’il y ait deux vacances au 1erChasseurs, et il n’est pas possible de prévoir dès à présent à quelle époque elles se produiront. Il y a lieu toutefois d’espérer que l’année ne se passera pas sans que Mr de Surirey reçoive la récompense due à ses services et à son excellente conduite. Je serai d’autant plus charmé d’avoir pu lui être utile dans cette circonstance que j’ai été à même d’apprécier son mérite lors de mon inspection de l’Ecole de Cavalerie en 1866. Madame de Goyon me charge de vous remercier de votre souvenir et je vous prie de mon côté, Monsieur le Duc, de vouloir bien agréer l’assurance d’un haute considération et de mes sentiments dévoués.
Le général de Goyon.
P.S. Je vous prie d’être auprès de Madame la Duchesse de Gramont, l’interprète de mes hommages respectueux. Je pars pour mon commandement dont le siège est à Toulouse."
Mardi 19 mars. 1867
Jour de StJoseph que j’aime tant et sous la protection duquel je viens de nous placer tous !
Dernièrement , je n’ai eu que le temps de copier la lettre du Cte de Goyon et non celui de dire quelle a été ma déception. J’avais eu le tort d’espérer que le haut intérêt témoigné à mon frère hâterait sa nomination et que le 16 ne se passerait pas sans lui amener cette épaulette si justement méritée. Attendre, toujours attendre !…que c’est pénible pour lui, pour nous tous !…Je n’ai pas encore sa réponse et ne puis même l’avoir puisque ma lettre n’est partie que le 19 ; je l’attends impatiemment. J’ai voulu faire mes remerciements au Duc et je désirais vivement le rencontrer ; au lieu de cela, par une erreur du valet de chambre je fus introduit chez la Duchesse qui peut être excellente, on le dit même, mais possède au plus haut degré la raideur britannique. Elle m’engagea si peu à me présenter chez le Duc, que j’en restai là, regrettant de cœur cette visite manquée ?
Depuis 2 jours l’Impératrice a recommencé ses frottements ; donc elle est tout à fait remise. Je crois qu’elle ne se console pas de n’avoir pu aller à Buda; c’est un véritable malheur qu’elle n’ait aucun intérêt pour Vienne, qu’au contraire elle en déteste la résidence.
Ce matin le Prince est malade, a de la fièvre, dit-on. Hier au soir il était gai, frais et bien portant ; c’est effrayant comme le mal vient promptement chez les enfants ; Dieu veuille que notre petite Dame soit épargnée ; le médecin ne permet pas qu’elle aille chez son frère, mesure que j’approuve entièrement.
Lundi 15 avril.
L’Archiduchesse m’a bien attrapée ce matin ce qui l’a royalement amusée ! Il y aura demain 8 jours que j’ai pris mon dernier bain ; j’ai eu tellement mal à la gorge qu’il m’a fallu discontinuer. La nuit du mardi au mercredi j’ai eu la fièvre ; je me suis cependant levée comme à l’ordinaire mais dans l’après-midi je me suis recouchée et j’ai encore passé le jeudi au lit. J’ai fait venir mon hydropathe qui m’a fait remettre autour de la gorge des compresses monstres puis a ordonné deux frictions de tout le corps chaque jour. Les douleurs ont passé étonnamment vite ; mais le rhume de cerveau est si fort, que je ne suis pas encore sortie. Jeudi Sa majesté a eu la grâce de venir s’asseoir près de mon lit ce qui m’a rendue toute confuse mais heureuse. Dans ce moment nous le voyons beaucoup : le Prince qu’on avait cru assez bien remis pour le laisser descendre il y a aujourd’hui 8 jours, s’est remis au lit le même jour encore et ne l’a plus quitté jusqu’ici, je ne sais ou non si c’est trop de précaution de la part de Wiederhofer mais Sa Majesté le croit et m’a dit ce matin qu’elle s’en impatiente. Latour et Palffy en ont aussi plus qu’assez ; je comprends que pour des hommes ce soit une terrible tâche et d’autant que ce n’est pas une maladie.
Hier j’ai passé une bonne partie de ma liberté à emballer une petite caisse pour la Volve. C’est un cousin de Caroline, le major Lowack, envoyé à l’exposition comme recenseur, qui veut bien s’en charger. Je comptais l’envoyer par Madame Richter, mais je suis persuadée que celle-ci m’a traînée en pure perte et n’ira pas à Paris comme elle l’avait dit. Peut-être, au moins, me fera-t-elle venir mes commissions.
Dimanche 14 avril 1867.
Quel triste printemps que celui de cette année ! Toujours du grand vent, de la pluie, du froid, les éléments sont à l’unisson du reste, rien qui réjouisse le cœur, tension et préoccupations de l’esprit. La France arme à force ; les esprits, disent les journaux allemands, sont à la guerre ; le pays se sent humilié et veut se relever; les hostilités avec la Prusse semblent inévitables et éclateront peut-être dans un court délai…L’Autriche restera neutre, dit-on. Dieu le veuille ! Les bruits d’une alliance avec la Prusse m’avaient si péniblement frappée…
J’ai écrit à Pol ces jours derniers et je le conjure de penser à mettre son âme bien en ordre ; doubles raisons lui en faisant un devoir en ce moment. Que je serais heureuse s’il m’écoutait et quelle tranquillité ce serait pour notre bonne mère et pour nous tous. Je ne lui ai pas parlé des agitations que m’a causé Mlle Danzinger, et dont je regrette maintenant d’avoir parlé à Mr de Blangy parce que je crois que les rapports qu’elles m’a faits étaient tout simplement des suppositions du Duc ; voici ce dont il s’agit: dans la dernière visite qui eut lieu le 2 si je me rappelle bien, elle me dit : " Monsieur votre frère a cependant fait une chose qu’il n’aurait pas dû faire. Le Duc m’a dit que, en je ne sais plus quelle année, mais en 59, je crois, il avait le N°3, que 2 avaient eu de l’avancement, donc qu’il aurait été le premier, mais qu’à cause d’une réponse trop vive ou quelque chose du genre, il aurait été remis au N°4 ". Toutes ces données si peu précises firent travailler mon imagination, pendant la nuit surtout ; aussi le lendemain de bonne heure, j’écrivis à Mlle Dangelzer et je la suppliai de me favoriser une seconde entrevue avec le Duc ou de ma procurer la deuxième note qu’il devait soit disant avoir reçue. Le jour suivant elle m’arriva ayant parlé au Duc ; celui-ci ne se rappela plus d’une seconde note – enfin elle n’en apprit pas davantage ; mais il se dérangea pour écrire parmi les choses qu’il avait à faire à Paris (il partait le 8 pour y passer 8 jours) l’affaire de mon frère. De mon côté je prévins Mr de Blangy de ce jour et je le priai, au cas où il le trouverait convenable de prévenir Pol afin que celui-ci pût se rendre à Paris et essayer de présenter ses remerciements au Duc, ce qui serait avantageux pour lui, il me semble. Je suis excessivement curieuse de ce qui aura lieu. Une pensée me vient, qui jusqu’ici ne m’avait pas traversé l’esprit, c’est que le Duc est trop grand seigneur pour que mon frère puisse aller ainsi sans lui être présenté d’abord…Peut-être Mr de Blangy aura-t-il trouvé le moyen de concilier les choses.
Aujourd’hui c’est la toux qui me retient dans ma chambre ; quand serai-je enfin libre de continuer ma cure sans entraves? Ces jours derniers Löschner nous est revenu de Carlsbad, appelé pour le petit Prince qui avait été plus souffrant. J’ai trouvé bien meilleure mine à ce bon docteur que je n’osais l’espérer. Il a été bien bon pour moi, a applaudi au régime hydropathique ; mais veut aussi que j’aille encore une fois au bain de mer et se charge d’en parler à Sa majesté. Je n’ai encore rien dit à la Volve ; j’attends qu’il y ait plus de certitude. De mon côté je suis décidée et je ne me plains pas de l’embarras que cela va causer dans mes finances. Dieu sait pourquoi il me procure encore cette année le bonheur de passer quelques semaines avec ma bien aimée mère ! ! !
Jeudi 25.
Il y a justement un mois que j’ai commencé à m’enrhumer et je ne puis me défaire de cette espèce de grippe qui ne veut pas me lâcher. Je tousse, je crache, j’ai des oppressions et des douleurs de poitrine ; je dors mal, l’appétit, qui était si bon a disparu. J’ai fait venir l’hydropathe dimanche, il m’a conseillé de recommencer les frictions ; j’en ai essayé 2 jours de suite, mais cela ne m’ayant pas réussi , j’ai pris la résolution de suspendre jusqu’à ce que sois entièrement guérie et j’ai prié Löschner de venir. Il m’a donné des poudres et quand nous serons à Schönbrunn – notre départ est fixé à samedi 27- il me prescrira une eau minérale. Dieu veuille que tout cela aille promptement. J’ai été un peu inquiète de maman qui s’est trop fatiguée à lire Ste Françoise de Chantal ce qui lui a occasionné une énorme faiblesse de tête à laquelle se sont jointes ces défaillances d’estomac que je lui ai connues autrefois et qui avaient disparu depuis la naissance de Pol. Les dernières nouvelles étaient bonnes ou au moins meilleures ; j’ai donc bon espoir que cela continue.
Dans ce moment nous sommes accablés de tristes nouvelles : mon pauvre père Hubinger était mourant hier d’une hydropisie de cœur. Il y a eu avant-hier un mois qu’il entendait ma dernière confession et me disait qu’il se sentait souffrant, grippé.. Nous ne savions guère ni l’un ni l’autre que c’était la dernière fois que nous nous voyions en ce monde !.. Cette séparation me fait beaucoup de peine !.. Il était si bon pour moi !…
Cette nuit ce pauvre Palffy a perdu sa mère qu’il adorait !..Combien je le plains !…
Mercredi 1er Mai.
Nous sommes en effet venus nous installer à Schönbrunn le 27, par une belle journée. La chaleur du dehors nous a fait trouver l’intérieur froid et humide ; malgré le feu soir et matin, mes chambres surtout sont extrêmement désagréables, on s’y croirait dans une cave. Ceci ne hâte pas la guérison de mon rhume ; je suis encore loin de pouvoir recommencer ma cure, ce qui est bien contrariant.
Ces jours derniers ma bonne mère m’a écrit qu’elle a pu faire ses Pâques le jour de Pâques et cela sans trop de fatigue ; cependant elle se plaint que ses forces ne reviennent pas. J’espère qu’elle aura fini par consulter Mr Bizet et que les premières nouvelles seront meilleures. Félicie m’a enfin écrit. La pauvre fille partage toutes les inquiétudes d’Ermance au sujet de Dresch qui est bien malade de la poitrine. La semaine sainte a été si mauvaise que mon amie redoutait le jour de Pâques croyant qu’il serait celui d’une affreuse catastrophe. Au lieu de cela, le pauvre malade après s’y être longuement et bien préparé a fait ses Pâques et depuis se trouvait mieux. Dieu veuille que cette amélioration se change en convalescence et que cet excellent mari et père ne soit pas ravi à sa femme et à ses enfants. Félicie est tout dévouement ; elle est allée s’installer chez sa sœur pour ne plus la quitter ni jour ni nuit. J’attends les premières nouvelles avec bien de l’impatience.
Samedi 11 mai 1867.
L’Empereur et l’Impératrice sont partis le 8 pour Ofen. J’aurais pu ignorer ce départ car Sa Majesté ne m’en a pas dit le mot, pas plus que du couronnement. Je ne mets pas en doute que les enfants y seront présents et je fais les préparatifs que je crois nécessaires pour l’Archiduchesse ; si quelque chose manque, je m’en lave les mains. Quelle singulière chose qu’une mère, fût-elle même impératrice, ne s’occupe nullement de sa fille…J’en ai eu le cœur serré tous ces jours derniers, et je ne me sens pas charitablement disposée à l’égard de notre souveraine tant je comprends peu sa manière d’agir…Pauvre enfant, elle n’aura guère su ce que c’est qu’une tendre mère. Dieu veuille que cela change quand elle sera plus grande, elle qui aurait si besoin d’affection…
Quand partirons-nous pour la Hongrie ? C’est ce que nous ne savons pas. L’Empereur revient pour l’ouverture de la Chambre des Pairs. Restera-t-il ici quelques jours, prendra-t-il ses enfants en retournant à Ofen ? Ce sont toutes ces questions que le temps résoudra .
Hier j’ai été au couvent où j’ai bien causé avec sœur Marie Michel. Quelle grâce qu’une vocation comme la sienne !…Elle jouit déjà du Ciel par anticipation et est heureuse au delà de toute expression. Le calme et le bonheur rendent sa physionomie délicieuse. J’espère la revoir mardi ; s’il fait beau, j’y conduirai l’Archiduchesse qui s’en réjouit immensément.
Dieu soit loué ! Les dernières nouvelles de ma bonne mère étaient très rassurantes ; elle espérait se rendre bientôt chaque matin à la messe ; par ce beau temps j’espère que rien ne l’en empêche plus. Fanny souffre du foie, m’écrit-elle ; ceci est fâcheux et me préoccupe parce que je suis sûre qu’elle ne prendra jamais assez d’exercice. Dresch va mieux, on espère. Que j’en suis satisfaite pour ma bonne Ermance !
Samedi 25 mai 1867.
L’Empereur est ici depuis le 18 ; l’Impératrice est restée à Ofen, très mécontente de Löschner, qu’on avait fait venir afin qu’il donnât son avis sur une villa qu’on avait choisie pour y installer les enfants. Löschner a conseillé de ne pas les envoyer en Hongrie, ayant découvert que la petite vérole règne dans les parages où on voulait les installer. Il paraît que sa franchise a vivement irrité notre souveraine. L’Empereur lui-même a dit aux enfants que c’était une bêtise, que la petite vérole règne aussi souvent à Vienne sans que pour cela on les en fasse partir et qu’il ne savait pas s’il ne les enverrait pas dans quelques jours. Il semble cependant avoir réfléchi, car jusqu’ici il n’est question de rien et je pense que cependant on s’en tiendra à ce qu’a dit le médecin : " envoyer les petites Altesses 3 jours avant le couronnement et les faire partir aussitôt ". Que tout cela eût été simplifié si l’Impératrice était tout bonnement revenue avec l’Empereur et avait attendu patiemment ici que le grand jour fût fixé . Je ne sais ce que l’on dit de son séjour là-bas ; mais je présume que l’on ne l’interprète pas charitablement, et je suppose qu’elle doit le sentir ce qui lui donnera de plus en plus de l’éloignement pour Vienne.
A l’instant, le Kronprinz me dit que dans 8 jours nous partirons probablement pour Ofen, selon toute apparence le couronnement aura lieu entre le 5 et le 8. Hier j’ai reçu ma robe qui est très jolie et me paraît fort convenable ; si seulement je pouvais être dispensée de ce corsage montant dans lequel je vais geler si cet horrible temps continue. Il fait si froid, si humide, que j’ai cru sage de suspendre mes bains depuis 2 jours. Jeudi soir l’Archiduchesse Mathilde a failli périr par les flammes. Heureusement on a pu éteindre ses vêtements avant que les brûlures eussent pris une étendue dangereuse. On suppose que Sa Majesté aura marché sur une allumette qui se sera enflammée sans qu’elle s’en aperçoive – la cause véritable n’est pas connue. Elle va aussi bien que possible à la joie générale, toute la ville a pris une vive part à cet accident.
Fanny est depuis quelques jours à Paris pour y voir ses amis et l’exposition. Maman me dit dans sa dernière [……] qu’elle n’a pu encore reprendre ses courses matinales à la chapelle pour y entendre la messe, ce qui lui manque beaucoup. Cette faiblesse prolongée me tourmente beaucoup.