SOUVENIRS DE LA TANTE ALIX - 7° PARTIE

Samedi 1er juin.

Cette journée marquera trop dans une vie pour que je n’en fasse pas la relation. Nous sommes partis ce matin de Schönbrunn à 6h1/4 et arrivé à Pest à, 1h1/2, après avoir beaucoup souffert de la chaleur pendant la dernière partie du voyage. L’Empereur attendait les enfants à la gare, l’Impératrice sur le grand escalier du château. Sa Majesté vint à moi et me dit combien elle était heureuse que maintenant je pourrais toujours rester près de sa fille, puis elle m’embrassa et comme je lui témoignais ma reconnaissance, elle me dit encore des choses gracieuses. Impossible d’y mettre plus de cœur. Mon Dieu qu’elle est entraînante et qu’on tombe vite sous son charme ! Ma bonne petite Archiduchesse à qui à qui j’ai dit mon espoir futur ne pouvait cesser de m’embrasser et de me témoigner la joie qu’elle ressent à la pensée de ne pas nous quitter. Que j’aime cette chère enfant ! et que je supplie Dieu de me donner les lumières nécessaires pour bien la diriger !…

Tout le monde me félicite ; est-ce de cœur, est-ce de convention ? je n’en sais rien. Hélène m’a écrit très gracieusement à ce sujet. Lili ne m’en a encore rien dit, la Ctesse Königsegg non plus ; je suis curieuse quand je la verrai seule de ce qu’il en sera.

Dans ce moment l’Archiduchesse dort. Je l’ai mise au lit vers 6h d’après le désir de l’Empereur qui lui a trouvé si mauvaise mine. Je ne m’en effraie pas, dès qu’elle vomit c’est ainsi et je suis bien heureuse encore que l’explosion n’ait eu lieu qu’après son arrivée ici.

 

Jeudi 6 Juin .

J’ai eu tant à écrire que je ne suis pas arrivée à mon journal. Avant tout il faut que je dise qu’hier j’ai reçu quelques lignes de Pol m’annonçant que le 1er de ce mois il a reçu sa nomination d’officier dans son régiment même, ce qu’il désirait vivement.  J ‘en ai pleuré de joie…Combien ma bonne mère sera heureuse en ce moment ! Dieu veuille que toutes ces bonnes nouvelles lui rendent bien vite ses forces.

Le soir de notre arrivée la Ctesse Königsegg est venue chez moi et nous avons parlé longuement de ma position future, car elle sera à l’avenir celle d’une dame de Cour. Je lui ai montré mon décret dont elle ne connaissait pas le contenu. Elle a trouvé, comme je l’avais tout de suite pensé en le lisant, que c’est de nouveau une demi-mesure qui ne me placerait pas clairement vis à vis de tout le monde et qu’il faut au contraire que chacun sache à quoi s’en tenir. Les Majestés m’a -t-elle dit font tout elles-mêmes, sans consulter personne, et voilà ce qui en résulte. Maintenant il faut attendre que les esprits soient au repos pour agir ; une fois à Ischl nous reparlerons de la chose. Elle pense que je devrai renoncer à ma pension de Sternberg ou au moins la faire mettre au nom de maman. Les affaires d’argent sont si difficiles avec le comte, que je serais vivement contrariée d’avoir à en reparler. J’espère que nous trouverons moyen d’arranger les choses sans cette nécessité. Voici comment la résolution de changer ma position s’est prise : un jour l’Impératrice a dit à la Ctesse Königsegg qu’elle avait une telle confiance en moi, qu’elle trouvait mon influence si heureuse sur sa fille, qu’elle désirait que je ne la quittasse pas une fois qu’elle serait grande, et que je puisse l’accompagner partout et la conseiller, que pour cette raison il fallait s’arranger de manière à rendre la chose possible ; et de là mon décret. L’Impératrice désire que je fasse des visites dans toute la ville ; la Ctesse Königsegg pense qu’il suffirait que je demandasse des audiences chez les Archiduchesses et des visites aux dames d’honneur ; cela me serait plus commode et cependant il faut y réfléchir et que j’en reparle avec la comtesse ; si une occasion se présente de paraître avec mon Archiduchesse, les dames de la ville diront encore comme à la soirée de la Ctesse Créneville qu’elles voudraient se faire présenter à l’Archiduchesse mais qu’elles ne savent par qui, ne me connaissant pas. Le Bon Dieu, par cette élévation, me trace une route d’humiliations, je m’y attends, mon seul cœur c’est de savoir les supporter avec l’humilité chrétienne et par là même faire des mérites. J’ai demandé à la comtesse quel changement je devais faire à mes cartes. Elle m’a répondu d’attendre encore que tout soit réglé ! J’ai profité de l’occasion pour lui dire que c’est comme chanoinesse, avant son mariage et non après, comme on l’a prétendu en me rendant les papiers de famille, que ma tante de Fallois a porté le titre de comtesse. Elle m’a répondu, et je me demande encore pourquoi ? Si l’on pouvait vous donner le titre de vicomtesse – je lui ai expliqué qu’il n’appartient qu’à la femme du fils aîné d’un comte tant que le père vit. Enfin on ne sait comment faire, ma position est réellement bien singulière ! Pour moi, je n’y tiens pas ; pour la place que j’occuperai et l’importance d’un titre ici, je le croirais nécessaire.

Aujourd’hui à 3 heures l’Archiduchesse sera appelée pour raccommoder le manteau de St Etienne ; elle s’en réjouit beaucoup. Le 28, jour où j’ai reçu le décret, l’Archiduchesse m’a dit :" Maintenant maman vous invitera sûrement à ses dîners ; j’espère pourtant que pour cela vous ne dédaignerez pas les miens !".

A l’instant je reçois une longue lettre de Fanny ; elle me dit que Gabriel qu’elle a ramené avec elle, le croyant en convalescence, est au contraire très mal, qu’elle a dû faire venir Victorine et sa fille et chargé Mr Bizet de les prévenir du danger dans lequel se trouve ce pauvre garçon. Pourvu qu’il soit temps encore de le ramener à Paris !

Lundi 10 juin 1867. 

Il me semble encore rêver tant je suis sous l’impression des magnificences qui m’ont passé devant les yeux depuis 3 jours. Avant que j’essaie d’en parler, je veux exprimer combien je suis reconnaissante au Bon Dieu qui m'a si visiblement protégée pendant ces jours de fatigue. C’est incroyable comme j’ai supporté tout cela, aujourd’hui surtout que je suis près d’une heure sur mes jambes. Mais procédons par ordre. Samedi je me levai sans savoir si ma bonne petite Archiduchesse pourrait assister aux cérémonies du couronnement tant elle avait été affaiblie la veille par une forte diarrhée. Heureusement la nuit excellente qui a succédé a réparé ses forces ; elle était gaie comme un pinson et heureuse, la pauvre enfant ! Avant 7 heures nous partîmes pour l’église en voiture ouverte. L’Archiduchesse était en beauté comme je ne l’avais jamais vue ; la Faefalik l’avait coiffée avec des ondes traversées par un ruban bleu pareil à celui de la ceinture ; ses longues tresses pendantes étaient terminées par un ruban de même couleur. Elle saluait gracieusement, en un mot elle était très à son avantage et a eu beaucoup de succès à ce qu’il paraît. L’église était magnifiquement ornée et décorée avec beaucoup de goût. L’arrivée des Majestés a été extrêmement solennelle ; l’Impératrice était resplendissante de diamants et de beauté. Elle était très émue, ce qui lui allait à merveille. Les deux Majestés étaient pleines de dignité. L’Impératrice m’a fait l’impression d’une fée des contes de Perrault, l’Empereur d’un des chevaliers fameux du moyen-âge. Le moment où la couronne a été posée sur sa tête était saisissant. Les nombreux magnats qui entouraient le trône rivalisaient de luxe et de magnificence ; on se serait cru transporté en Orient. A mon grand regret nous partîmes avant la grand’messe, l’Empereur craignant que les petites Altesses en fussent trop fatiguées. Je ne parle pas des " Eljen" qui retentirent sur le passage des petites Altesses, c’est pain quotidien dès qu’on les aperçoit. Au lieu d’aller avec les autres pour y voir le cortège et surtout l’Empereur montant au galop la colline ou pour mieux dire le monticule du haut duquel il salue les 4 parties de son royaume, nous nous sommes contentées de regarder de nos fenêtres qui dominent Pest afin de pouvoir assister au banquet qui devait avoir lieu peu après le retour des Majestés. En effet, l’heure à peu près venue, nous remîmes nos toilettes du matin et j’y conduisis l’Archiduchesse. Une fois qu’elle fut avec les Majestés, je m’arrêtai dans un salon attenant à celui où les dames du palais étaient rassemblées. La Ctesse Königsegg vint à moi, me présenta la Ctesse Georges Festetitc, qui fut très aimable, à la Bonne Senny ( n’est-ce pas plutôt Sennyey, mais ce ne serait pas une baronne), qui me plait beaucoup, et à une Ctesse Ciraky qui me semble une bonne bavarde. J’oubliai de suivre l’Archiduchesse lorsqu’elle se rendit dans la salle du banquet avec ses oncles, l’Impératrice qui me vit seule au milieu de ces dames voulut me parler mais cela n’allait pas, la Ctesse Königsegg me dit en passant : " Tâchez de vous rendre à la tribune où sont les dames ". En effet j’y arrivai par de petits corridors et pour partir j’eus bien soin de ne pas commettre la même gaucherie ; un des aides-de-camp de l’Empereur , le Bon Seyervari m’offrit son bras et tout alla à merveille.

Hier pas de représentation, seulement une promenade en voiture au Stadtwäld Wäldschen, où il n’y avait que du peuple et aujourd’hui, vers midi, j’ai conduit l’Archiduchesse dans la salle du trône pour qu’elle y voie les présents offerts aux Majestés et ensuite les banderium de tous les comitats de la Hongrie. Ceci m’a extrêmement plu : d’abord une masse de petites filles en blanc, ornées des couleurs nationales sont entrées dans la salle apportant à l’Impératrice du pain, des pâtisseries, des fleurs, chacune une petite corbeille à la main ; puis dans la cour est arrivé une paire de bœufs magnifiquement parés, un cochon, des moutons, un immense poisson, une voiture de légumes, une autre de vin, une autre de farine, etc…etc…Ceci terminé, les bandérium sont passés sous le balcon, y saluant par 3 fois de leurs drapeaux, magnifiquement costumés, rien de plus riche ni de plus beau à voir. Il y avait dans le nombre de magnifiques chevaux et les cavaliers étaient excellents. Je suis rentrée enchantée de cette fête et comme je le disais plus haut, incroyablement peu fatiguée pour ce longtemps que j’étais restée debout. Hier au soir il y avait une illumination qui a beaucoup perdu à cause du vent ; malgré tout le quai était beau et le pont encore plus. Demain à 9h1/2 du matin nous reprendrons le chemin de Schönbrunn, à notre grande satisfaction.

Le 6 à 6h du matin, l’Archiduchesse Mathilde a été rappelée par le Seigneur. Le malheur de l’Archiduc Albert excite une sympathie générale. Combien je plains ces pauvres dames d’honneur et tout particulièrement la Ctesse Taaffe !.. 

Mardi 18 juin 1867, Ischl. 

Le 11, nous avons quitté Ofen à 9 heures du matin et après un voyage très heureux pendant lequel l'Archiduchesse n'a nullement souffert, nous sommes arrivés à Vienne à 4 heures, justement pendant les funérailles de cette pauvre Archiduchesse Mathilde…

Le soir même la Ctesse Stadion est venue chez moi, elle était touchante de marques d’affection. Jeudi matin, les Majestés étaient de retour. Vendredi les obsèques de l’Archiduchesse Mathilde et à 4 heures départ de l’Impératrice pour Baden ou pour mieux dire visite à l’Archiduc Albert à la Weilburg. Sa Majesté prit l’Archiduchesse avec elle, ce qui me fit grand plaisir. Dans la journée, l’Archiduchesse m’avait dit qu’elle désirerait tant me tutoyer. Je lui répondit que cela me ferait grand plaisir, mais que je ne pouvais le permettre avant que les Majestés y eussent donné leur consentement. Le soir, elle revint triomphante, criant : " Maman l’a permis, maman l’a permis ! Papa a trouvé que c’était contre le respect, mais maman lui a fait concevoir que non, que nous tutoyons nos parents et papa y a consenti. Quand maman a dit oui je lui ai baisé la main de plaisir " .Et depuis ce temps, elle ne manque pas de me dire tu, la chère enfant ! et de m’accabler de tendresse. Je crois presque qu’Elle se doute de mon prochain départ ; dernièrement, à table, le petit Prince m’a demandé si j’irais cette année en France ? Je n ‘ai pas répondu et Elle est devenue rouge comme du feu et j’ai cru qu’elle allait pleurer. Je ne me rappelle pas, dans mon embarras, ce que Latour lui disait, mais je crois être sûre que ce n’est pas cela qui l’a fait rougir.

Le jour et à l’heure de notre retour à Schönbrunn , Antoinette quittait Vienne pour tout à fait. Je sais qu’elle est arrivée heureusement à Strasbourg. La pauvre fille sentira plus cette année la séparation.

Mercredi 19.

Hier l’Empereur est reparti pour Vienne et, comme toujours à ces occasions, nous avons dîné avec les Majestés. Après le dîner, malgré, malgré le froid, on est allé faire cercle dans le Ver…(illisible). J’ai bien senti le froid dans le dos ; mais je ne sais si c’est à cela ou à l’eau trop froide avec laquelle Anna m’aurait frottée le matin, mais le certain est que déjà à la promenade je ne me sentais pas à l’aise, que mes jambes me faisaient très mal en rentrant, cela n’a fait qu’augmenter et j’ai eu une nuit très désagréable. D’abord si froid que je ne pouvais me réchauffer ; puis ensuite très chaud et des douleurs non seulement dans les jambes, les reins, mais aussi dans les épaules. Ce n’est qu’au jour que je me suis un peu endormie ; aussi ce matin je me sens brisée et les douleurs, surtout dans les épaules, continuent. Je regrette de ne pas m’être laissé frotter avec de l’eau moins froide, cela m’aurait certainement fait du bien. Mon Dieu ! que les gens qui ont une bonne santé doivent se sentir heureux !…
Hier , j’ai eu une longue conversation avec l’Impératrice. Je lui ai dit que cette année je ne pourrais avoir ma mère avec moi, ce qui a paru l’étonner beaucoup. Elle m’a raconté que l’Empereur avait commencé à parler à l’Archiduchesse de mon voyage et que , bien vite, elle lui avait fait signe de ne pas continuer. Je ne doute donc plus que la pauvre enfant n’en sache quelque chose, mais elle ne m’en parle pas, quoiqu’elle le voudrais, j’en suis sûre.

Dimanche 30 juin.. 1867

Jour de StJoseph que j’aime tant et sous la protection duquel je viens de nous placer tous !

Dernièrement , je n’ai eu que le temps de copier la lettre du Cte de Goyon et non celui de dire quelle a été ma déception. J’avais eu le tort d’espérer que le haut intérêt témoigné à mon frère hâterait sa nomination et que le 16 ne se passerait pas sans lui amener cette épaulette si justement méritée. Attendre, toujours attendre !…que c’est pénible pour lui, pour nous tous !…Je n’ai pas encore sa réponse et ne puis même l’avoir puisque ma lettre n’est partie que le 19 ; je l’attends impatiemment

Il est 9 heures du soir, la Ctesse Königsegg sort de chez moi après m’avoir lu un triste télégramme daté de Possenhofen où les Majestés ont accompagné la pauvre veuve Princesse Taxis dont le mari a été enterré hier à l’âge de 35 ans ! ! ! Ce télégramme est ainsi conçu : "Nous partons demain soir, soit pour Ischl si les nouvelles de l’Archiduchesse sont moins bonnes, soit pour Schönbrunn. Les plus tristes nouvelles sur Maximilien, nous irions faire nos condoléances " D’après cela, plus de doute à avoir, ils auront pris la vie de ce pauvre empereur au lieu de le bannir comme on l’espérait. Pauvre Archiduchesse Sophie… que de maux fondent cette année sur cette pauvre famille ! !…

Samedi, après le départ des Majestéspour Ratisbonne, l’Archiduchesse est montée en voiture avec Caroline pour aller à Sley (orthographe à vérifier) cueillir des roses des Alpes. Quoique le temps fût devenu très sombre, elles ont cru avoir encore le temps de se promener, la pluie les a atteintes un peu avant qu’elles entrassent en voiture ; je suppose que l’Archiduchesse avait chaud, quoiqu’elle ne fût pas mouillée, la pluie était si torrentielle que l’humidité l’aura saisie. Le lendemain elle s’est levée ayant mal à la gorge ; peu après la tête a commencé à se faire sentir, la fièvre est venue et depuis hier elle est dans son lit avec une inflammation de gorge. Grâce à Dieu, elle va beaucoup mieux déjà ; mais cependant j’ai cru devoir prier Latour de télégraphier à l’Empereur. Si j’avais su les Majestés dans un nouveau chagrin, je m‘en serais abstenue. D’un autre côté, aurais-je bien fait ? pour mériter leur confiance il faut toujours leur dire la vérité. Je désirerais partir le 8 ; j’espère que rien ne m’en empêchera.

Ischl, le 22 septembre 1867.

Voilà une longue lacune pendant laquelle bien des joies, bien des tristesse se sont succédé. Je veux, en gros, relater ce qui s’est passé depuis le 30 juin que j’écrivis pour la dernière fois. Alors l’Archiduchesse n’était pas encore entièrement remise de son mal de gorge. Ceci ne tarda pas, les Majestés la trouvèrent bien à leur retour et je pus en toute sécurité partir le 8 pour mon voyage. Je passerai légèrement sur la douleur de nous quitter, la pauvre enfant en était touchante…A trois heures je pris la poste, avant 9 heures j’étais à Salzbourg ; j’en partis à 1 heure du matin et à 10 heures du soir j’étais à Cologne, enchantée des bords du Rhin que j’avais suivi depuis Mayence. Le 11, je quittai Cologne avant midi, on me distribua mon billet jusque Blankenberghe, ou j’arrivai entre 7 et 8 du soir. Les bonnes sœurs me reçurent à merveille, et quoiqu’il y ait très peu de confort chez elles, que la cuisine soit loin d’être bonne, si je dois retourner à la mer, c’est certainement chez elles que je me logerai. Je retrouvai là Mlle Christine Isenberg que j’avais connue il y a cinq ans, puis, un peu plus tard, le 17, je crois Virginie Le Comte vint me retrouver. Du reste, mes meilleurs jours sont ceux que j’ai passés seule, je sentais que chaque minute de repos me faisait du bien. En général la saison a été très froide, pluvieuse et nous avons surtout souffert de grands vents. Cela ne m’a pas empêchée de prendre mes 24 bains à jeun chaque matin entre 7 et 8. Les derniers jours de mon séjour ont été intéressants par la connaissance de Monsignor Daron d’Oberscamp, digne prêtre, qui m’aurait communiqué de son zèle, j’en suis sûre. Il est de Munich, vient à Vienne quelquefois, et m’a promis de ne pas m’oublier. Je quittai la mer le 9 Août pour aller coucher à Bruxelles. Le 10, après 7h. je m’acheminai vers la chapelle St Lazare, rue des Soles, et j’eus le bonheur d’y entendre la Sainte Messe, en grande partie au moins. Cette chapelle est consacrée à l’adoration perpétuelle. Je n’ai jamais rien vu qui porte aussi bien au recueillement. Elle est bâtie en style gothique, tout y est soigné au dernier point et fait du bien aux regards, plus encore à l’âme ! ! J’y serais restée plus longtemps si l’heure du chemin de fer ne m’avait pressée.. A 9h. je quittai Bruxelles et à 3h.1/2 nous arrivions à Paris en même temps qu’un des trois convois de plaisir, prussien, ce qui mit à la gare une confusion que je n’oublierai de longtemps. J’avais donné rendez-vous à Fanny pour 5 heures, ce qui fait que je craignais grandement de la manquer. J’eus la bonne idée de regarder dans les voitures qui allaient à la gare quand je m’en éloignais, et, grâce à Dieu, j’aperçus cette bonne sœur, qui m’aperçut à son tour, et bientôt nous fûmes dans les bras l’une de l’autre. Ce jour là , elle avait été souffrante et je la trouvai très changée. En général cette année je ne suis pas contente de sa santé. Pendant le trajet, elle me parla d’un gentil petit logement qu’elle avait en vue, me dit combien maman aimerait de passer le carême à Paris ; seulement, ce logement montant à 1000 francs, ceci la retenait parce que c’était plus que son mari n’avait voulu y mettre. Je trouvai juste que maman payât sa part, je m’engageai donc pour 300 francs que ma bonne mère paiera sur les 1000 que je me propose de lui laisser au complet à l’avenir. Nous descendîmes chez les Blangy qui avaient mis leur logement à notre disposition  et où nous fûmes à merveille, et le lendemain, qui était un dimanche, nous arrêtâmes le logement qui était rue de Grenelle StGermain. Il est très petit, c’est certain, mais extrêmement commode, entre cour et jardin, ce qui le rend très tranquille. J’espère que notre bien-aimée mère ne s’y trouvera pas mal. Cependant je ne voudrais pas qu’elle y fît un long séjour, il y a trop de différence avec les habitudes de campagne. J’allai à l’exposition qui me frappa d’étonnement, je l’avoue, je crois qu’on ne reverra jamais un ensemble aussi complet. Je vis bien peu de choses, la chaleur accablantes ne me permettant pas d’y passer plus de deux heures, mais enfin je conserve le souvenir des gobelins, des sèvres, des bronzes français, puis dans les états pontificaux, la statue de Napoléon 1er à ses derniers moments, Charlotte Corday, et plusieurs autres groupes qui m’ont fait grand plaisir. (Dimanche) Lundi 12 vers 10h. du soir, les Mauvais et Alix sont arrivés chez nous. Grand plaisir de nous revoir, les petites sont bien gentilles, bien simples, Alix a énormément gagné ce qui me fait grand plaisir pour la pauvre Ermance. Mardi à 8h. Victor est arrivé chez moi, et j’ai pu lui parler de mes affaires. Nous sommes convenus qu’avec l’obligation qui a été tirée il paiera ce qui restait dû à la mort de mon père et qu’il m’avancera ce qui dépasse cette somme. Il m’a écrit au moment de mon départ qu’il était en train d’arranger cela, et j’espère qu’il me dira bientôt que tout est en ordre. Combien je rends grâce à Dieu de m’avoir accordé cette grâce ! Ma pauvre mère en est si heureuse ! A 9h. Victor me quitte pour aller chercher ces dames au Pré aux Clercs où elles étaient logées. Elles ne purent obtenir leur déjeuner que si tard, que ce n’est que vers 11h. que je les revis et une demi-heure plus tard il nous fallait partir pour la gare de Lyon ! Je ne les vis donc que trop peu…Cependant ces minutes me firent un grand grand plaisir. J’aurais voulu seulement que toute la famille fût réunie..

Vers 7h. du soir j’embrassai enfin ma bien-aimée mère qui nous attendait au commencement du chemin qui conduit à la grande route. Je ne la trouvai pas changée mais ses forces étaient bien à bas, la pauvre mère. Quel délicieux moment que celui du revoir…mais que le départ est cruel ! ! !..J’ai oublié de parler de mon bon Pol qui nous attendait à Montargis avec Cocotte (dernier exploit de cette malheureuse bête qui n’en peut plus). Ce bon garçon avait l’air bien heureux de me revoir. J’avais appris à Paris qu’il souffre de la gorge depuis un an, mal gagné à Saumur, et je m’en préoccupais ; cependant après les chasses qu’il a faites et qui ne lui ont pas causé d’aggravation, au contraire, puisqu’il est parti de la Volve beaucoup mieux, j’espère que ce sera sans suites fâcheuses. Mon beau-frère m’a accueillie avec bonheur, Henri était là aussi et ne nous a guère quittés, ce que je n’appréciais que tout juste. Nous avons mené une vie bien paisible, bien agréable et toujours à l’air. Pendant les 4 semaines que j’ai passées en famille je ne sais pas s’il a plu plus de trois fois et encore jamais une journée entière. Chaque semaine je recevais une lettre de ma chère petite Archiduchesse et plusieurs fois aussi mes chères enfants m’ont donné de leurs nouvelles. Mmes de Nouville sont venues passer 2 jours avec nous. Les Rancourt ont fait leur visite de noce – c’est un gentil petit ménage où il y aura du bonheur, selon toute apparence. J’étais logée vis à vis de ma bien-aimée mère, nos portes restaient constamment ouvertes, si bien que, jour et nuit, nous étions ensemble. Soir et matin elle m’apportait sa petite bouteille d’eau bénite en m’embrassant bien tendrement, mon Dieu, que c’était bon !…Il m’a fallu quitter tout cela le 9 septembre à 11h. du matin.. Heureusement, depuis une huitaine, et malgré la grande chaleur, notre bonne mère se sentait un peu plus forte. Malgré cela, quelles pensées au départ, quel sacrifice !…Dieu semble l’avoir béni ce sacrifice puisque le lendemain de mon départ notre sainte mère allait à la messe à pied et, après avoir déjeuné chez les bonnes sœurs, revenait de même sans trop de fatigue. Depuis, je sais qu’elle a recommencé 2 fois avec le même succès. Je ne puis trop en remercier Dieu !

Je partis donc avec Fanny qui nous accompagna jusque Montargis et qui fut si triste au départ que ma peine s’en sentit augmentée encore. Puis elle avait si mauvaise mine, ma pauvre sœur !..Je savais bien ce qu’elle avait sur le cœur, ni l’une ni l’autre nous n’avions voulu réveiller un sujet qui nous avait été pénible. Je lui donnai en route quelques conseils sérieux sur Thérèse qui est une charmante enfant, sa brusquerie, son étourderie à part. Et je trouve qu’on augmente ces défauts chez elle en ne la traitant pas avec le calme qui serait nécessaire. Les parents sont vifs tous deux, c’est donc bien difficile que ce calme à obtenir…Mon excellent beau-frère était aussi bien triste en me quittant ; il m’a depuis écrit des lignes charmantes à ce sujet. Pol m’accompagna jusque Paris, m’y fit tous mes arrangements de départ à 8h.1/2 nous nous séparions, lui partant à 10h. du soir pour Provins, sa garnison actuelle.

Tout était donc fini de ces délicieuses vacances, tout , moins le bon souvenir que je conserve bien précieux ! A Strasbourg je trouvai ma bonne Antoinette m’attendant à la gare et me recevant ainsi que sa sœur à bras ouverts. Le lendemain à 7h.1/2, je la quittai et à 1h. du matin j’arrivais à Salzbourg où je fus bien ennuyée par les douaniers. La chaleur avait été bien pénible, aussi je me sentais grandement fatiguée. A 10h. du matin, le 12, je partis pour Ischl, entre 4 et 5h. du soir je rencontrai ma bien chère petite Archiduchesse qui fit d’abord des bonds de chèvre à mon approche, puis se prit à pleurer d’émotion en m’embrassant. Elle est touchante de tendresse pour moi, cette chère enfant, et me dédommage de l’isolement dans lequel je me trouve, à la Cour surtout ! A mon arrivée dans ma chambre, mon bureau était rempli de fleurs, ma table couverte par 20 photographies de la famille impériale, une cassette, une petite boite renfermant une dent qu’elle avait ébranlée chaque jour et arrachée elle-même, puis fait monter et inscrire la date dessus. Inutile de dépeindre l’impression que m’a faite cette charmante attention . Que j’ai eu de bonheur à l’écrire à ma mère, à tous les miens !

Les majestés étaient encore en Suisse et n’en revinrent que le 16 ;c’est à dire que l’Empereur arriva le 15 au matin, nous eûmes l’honneur de dîner avec lui ; l’Impératrice le 16 au soir avec la reine de Naples  qui restera ici jusqu’au 2 octobre, dit-on. Ma frotteuse m’avait dit que, selon toute probabilité, Sa Majesté était dans une position intéressante ; j’eus de la peine à y croire et j’avais tort, la nouvelle est certaine, Anna renvoyée depuis quelques jours. Il était 9h. du soir quand les Majestés arrivèrent, l’Impératrice était pressée d’entrer dans ses appartements si bien qu’elle nous dit à peine quelques mots. Elle me présenta cependant à sa sœur, parce que l’Empereur l’y fit penser. Tout cela ne m’étonne pas, mais j’avoue que je trouvai un peu long qu’elle ne me parlât plus jusqu’au 22 qu’elle me vit par hasard ; sans cela, Dieu sait quand elle m’aurait demandé des nouvelles de maman ; je ne me rappelle pas si elle s’est ou non informée de ma santé. Mais je ne veux pas m’en faire de chagrin, et tout mettre sur sa position actuelle ; tant qu’elle ne m’en aura pas parlé franchement, il y aura une gêne que je comprends et que je lui pardonne de tout mon cœur. La naissance de cet enfant qui viendra au monde en avril, donc presque 10 ans après le Prince héréditaire, va sans doute amener bien des changements. Pourvu que nous n’ayons rien à faire avec cette nouvelle kammer ! Enfin, qui vivra verra – à la grâce de Dieu en cela comme en toute choses. Je m’attends à ce que nous soyons délogées partout, parce que partout nous sommes près de Sa Majesté et que sans doute elle tiendra à ce que la chambre d’enfant soit rapprochée d’Elle. Pour cet hiver, j’espère que nous resterons encore dans nos anciennes pénates.

Mercredi 25 septembre 67.

Hélène Taxis m’a dit que la Ctesse Königsegg veut profiter de ce que l’Empereur et le Cte Hohenlohe sont ici pour une dizaine de jours, pour que ma position soit enfin définitivement réglée. Je suis bien curieuse de ce qui en sortira. En attendant j’ai renvoyé à la Ctesse une note imprimée concernant tout le personnel de la kammer et les changements qui ont pu s’y faire depuis l’année dernière, cette note devant servir pour le calendrier de 68 . Comme je ne sais quel titre on me donnera, je n’ai rien eu d’autre à faire que d’adresser ailleurs. L’Impératrice a passé la journée d’avant-hier dans son lit à cause d’un fort mal de gorge. Nous en avons profité pour aller chez la CtesseSophie R………ka ( sans doute Rzyszeczwska) où l’Archiduchesse s‘est fort bien amusée. Depuis hier au soir il pleut à torrents ; aujourd’hui il fait froid ; je désire vivement que le soleil reparaisse bientôt.

Jeudi 16.

La Ctesse Königsegg m’ayant fait dire hier lorsqu’elle avait cherché à me voir qu’elle avait quelque chose à me dire et serait chez elle de 9 à 10, je m’y rendis ce matin.. J’appris donc qu’on veut me donner le titre de vicomtesse. A cette nouvelle je lui rappelai que ce titre est celui d’une femme de fils aîné de comte ; elle me répondit à cela que comme dame d’honneur, j’étais madamisée, et que d’ailleurs, l’Empereur était libre de me donner le titre qu’il lui convenait. A cela je n’ai rien ajouté ; mais franchement je voudrais bien savoir pourquoi pas le titre de comtesse. J’ai rappelé seulement qu’avant la révolution la sœur de mon père avait été chanoinesse, comtesse, pourquoi ne puis-je l’être aussi ? Il y a là-dessous quelque chose que je voudrais bien découvrir. Mais au fond, à quoi cela serait-il bon, et que me font toutes ces politesses ? Je ne veux avoir qu’un seul but, celui de servir Dieu en remplissant strictement mon devoir. Il faut que je produise mes papiers, malheureusement je les ai laissés à Schönbrunn ; ce ne sera qu’arrivée là que je pourrai les donner afin qu’on en termine de cette affaire.

Samedi 18 octobre 67.

Nous avons quitté Ischl le 9 par un temps aussi détestable mais moins froid que les jours précédents. Toutes les montagnes étaient couvertes de neige, les fleurs gelées, en un mot la campagne avait pris sa robe d’hiver. Nous avons fait le voyage seuls et j’ai eu le plaisir de pouvoir inviter Toni à profiter de notre train. Le surlendemain de mon arrivée j’ai été chercher mes papiers au Burg où je les avais laissés, et je viens de les remettre à la Ctesse Königsegg en lui demandant si l’Empereur savait qu’en France il n’y a que les femmes mariées qui portent le titre de vicomtesse. Elle m’a répondu que non, mais qu’elle avait cru se rappeler que je lui avais dit qu’une de mes tantes avait pris ce titre. Puis elle me demanda : " Mais, au fond, que désirez-vous ? N’être pas titrée ?". "Non (répondis-je), mais ma mère elle-même, à laquelle j’en ai écrit, me répond que la chose n’est pas logique . Du reste(ajoutai-je), il en sera ce qu’on voudra, ceci ne me fait ni chaud ni froid, parce que l’un vaut l’autre, seulement comme Sa Majesté me donne un titre français, je pense qu’il devrait convenir à ma position, voilà tout ".

" Mais enfin, quel titre portaient vos tantes ? " " Celui de comtesse après leur réception de chanoinesse " " Eh bien, le Cte Hohenloe revient le 16, je lui en parlerai ". Puis, avec sa bonhomie habituelle elle en revint à mon frère et me dit de ne pas manquer de lui envoyer son adresse, que le comte Bellegarde, son frère, lui avait dit qu’il serait possible que l’Empereur le fît venir, qu’il ne pouvait le promettre, mais qu’il y penserait. Ensuite elle m’a parlé du chagrin de l’Impératrice ; le roi de Bavière laisse là sa sœur. Il lui a envoyé un chambellan pour lui dire que le mariage serait remis à je ne sais quand ; alors elle a saisi cette occasion pour remercier tout à fait. Cette pauvre fille a du malheur, c’est la seconde fois que cela lui arrive ; le premier prétendant était le Cte Philippe de Wurtemberg qui a épousé la fille de l’archiduc Albert. Du reste, je crois je crois fort heureux que le mariage se soit dénoué, car la couronne aurait été lourde à porter avec un homme semblable !…Mais je conçois que, pour le moment, le coup soit rude pour tous.

Hier , j’ai eu une bonne lettre de maman qui m’assure qu’elle se porte tout à fait bien ; elle avait été trois fois à la messe dans le courant de la semaine, et, moyennant le déjeuner pris chez les bonnes sœurs, elle remonte sans fatigue.

Dans ce moment je suis en négociation pour procurer une bonne à l’archiduchesse Annonciata. C’est une personne qu’Antoinette me recommande ; je serais charmée de l’obliger.

Hier, j’ai été voir Julie Orsini Bocagorga qui est vraiment délicieuse et d’une simplicité charmante, toujours la vieille Julie sans l’ombre de fierté ni de prétention. Sa fille est charmante et son mari me plait par son air vraiment comme il faut. Comme je regrette que mes chères enfants n’aient pu le voir et plus encore, parce que j’ai trouvé là Carla venue pour 2 jours avec sa mère.

Samedi 26 octobre 1867.

Hier, pour la 1ère fois, je me suis confessée au Père Raymond, dominicain, hollandais de naissance et parlant assez bien le français. Depuis longtemps on m’avait parlé de lui ; depuis longtemps aussi je me sentais attirée à lui et, si je me l’avoue bien, c’était presque avec un petit sentiment de regret que je ne l’avais pas pris l’hiver dernier. Mon bon père Hubinger y avait mis tant de complaisance que je ne voulais pas le quitter quoique je trouvasse sa direction par trop facile et douce . La mort est venue l’enlever ; donc plus d’hésitation et me voilà, je crois, sous une direction. Et pourtant c’est ce que je ne voulais pas, craignant de me laisser dominer et voulant conserver mon libre arbitre, comme je le disais toujours. Sans Dieu en juge autrement, en veut autrement ; tout ce que je lui demande, c’est de ne jamais me redresser contre sa volonté. Il m’a engagée à revenir le jour de la Toussaint ou pour la Commémoration des morts, ce que je désire moi-même, quoi que cela me gêne beaucoup, à cause de mes bains. Je ferai de mon mieux pour tout concilier .

Lundi 21 à 10h. du matin l’Empereur est parti pour Paris. Sa Majesté avait l’air gai et content. Je lis dans les journaux que la réception a été des plus gracieuses ; le maire de Nancy a parlé à merveille. Ce soir La France, donnera des détails que l’Impératrice veut bien m’envoyer chaque soir, que je me réjouis de lire. Hier il devait y avoir une revue dont le régiment de Pol aura certainement fait partie. Que je serais heureuse que l’Empereur fît venir ce bon garçon ! J’en serais toute ma vie reconnaissante au comte Bellegarde, qui m’a promis de faire son possible pour cela.

Dimanche 20 a eu lieu l’inauguration de la statue Schwarzenberg. J’y ai accompagné l’Archiduchesse. Nous étions les seules dames. L’arrivée et l’attente au Burg étaient passablement désagréables par cela même. Enfin tout passe et ce qui m’a été le plus pénible c’est de rester si longtemps debout ; je ne sais pas si ce que j’éprouve depuis quelques jours ne date pas encore de là.

Mardi 29.

Depuis samedi soir, pour la première fois, l’Archiduchesse a mal aux dents, ce qu’elle trouve bien dur ! ! Faber n’y trouve rien à faire te désire qu’on n’arrache pas cette dent qui est bien plombée ; il ne recommande que l’eau froide en compresses et la patience ! ce grand remède à tous les maux. La bonne petite est bien sage ; hier, avant sa leçon de calcul, elle m’a touchée : elle avait plus d’élancements que de coutume ; elle m’en fit part en me disant : " Cela fait bien mal ! mais pour le Bon Dieu, n’est-ce pas ?". Permettez, oh mon Dieu ! que toute sa vie elle sache vous offrir ses souffrances et les supporter en vue de vous plaire ! J’ai procuré à l’Archiduchesse Annonciata une demoiselle de Strasbourg, personne instruite que des revers de fortune forcent à passer sur le titre de bonne et à se charger des petites Altesses pendant 3 ou 4 ans. Je viens d’écrire à l’Archiduchesse que toute l’affaire est en règle.

Les nouvelles du séjour de l’Empereur à Paris sont brillantes, la réception vraiment cordiale et cela de la part de la nation. L’Empereur est très content de la cavalerie française qu’il a regardée de près. Que je suis impatiente de savoir si Pol a eu l’occasion de lui parler.

Mercredi 20 novembre 67.

Comme le temps passe…et je ne parviens à rien ! Depuis le 29 dernier je n’ai pas trouvé le moment d’écrire dans ce livre. C’est le 30 que l’Empereur a eu la grâce de recevoir Pol et d’une manière si gracieuse et si aimable que le pauvre garçon, bien intimidé d’abord, s’est tout de suite senti à l’aise et heureux, oh ! bien heureux d’avoir vu mon souverain de si près. Sa Majesté avait eu la bonté de l’écrire à l’Impératrice et celle-ci de me le faire dire par l’Archiduchesse. J’étais donc prévenue quand la lettre de Pol m’est arrivée ; mais je ne la désirais que plus vivement, impatiente de savoir comment les choses s’étaient passées. Ma pauvre mère en a eu une joie si vraie que je ne puis assez remercier Dieu de cette bonne fortune. Le comte Bellegarde a aussi été bien bon pour mon frère. Quoique l’Empereur soit arrivé du 7, je n’ai pas encore eu l’occasion de le voir et de le remercier comme je le sens. A son arrivée, nous attendions sur le grand escalier. Sa Majesté est venue à moi, m’a tendu la main, a dit qu’il avait eu le plaisir de faire la connaissance de mon frère. Lorsque je lui exprimai notre reconnaissance à tous, sa figure prit une si bonne expression que je me le rappellerai toujours avec gratitude. Depuis que je n’ai écrit, j’ai été deux fois chez le Père Raymond, c’est à dire de 15 en 15 jours, toujours le vendredi. Je suis très contente de mon choix et j’espère qu’il me sera aussi très utile pour la direction spirituelle de ma chère petite Dame. Il m’engage à lui faire faire sa première communion dans le temps pascal ; je le désirerais vivement, mais j’ai bien peur que, les couches de l’Impératrice se faisant décidément à Ofen, cela ne mette obstacle à mes projets. Hier, la Ctesse Königsegg m’a dit qu’elle venait d’apprendre les plans ci-après : que nous partirions avec Sa Majesté pour Ofen (dans le courant de mars, je suppose) que nous y resterions 4 semaines, puis qu’on nous renverrait à Vienne et que les enfants ne seraient pas même présents au baptême. Plus j’y pense, moins je comprends ces arrangements ; il me semble impossible qu’ils ne subissent pas de changement tant je les trouve cruels pour ces pauvres petits qui se réjouiront tant d’avoir un nouveau-né et de cette manière ne le verraient plus de 6 semaines après sa naissance. Je ne puis croire qu’y réfléchissant l’Empereur cède à ces plans, je veux croire qu’il y mettra plus de fermeté. Mon Dieu, la naissance de ce petit être, regardée d’abord comme un bonheur , devrait-elle devenir le contraire ? Oh ! Ne le permettez pas, je vous en conjure !

Encore une fois les plans de Garibaldi échoués et Notre Saint Père délivré des attaques de ces révolutionnaires ! Je suis fière de la conduite des Français dans cette occasion, il y a encore en eux un cœur noble et chevaleresque, sachant s’enflammer pour une sainte cause. Comment se termineront ces malheureuses affaires d’Italie, comment ici celle du Concordat ? Dieu veuille nous venir en aide !

Samedi 30 novembre. 1867

Il y a quelques jours, en causant avec la Ctesse Königsegg, elle m’a dit : " Je désire bien rencontrer le Cte Hohenlohe demain en ville et lui parler de votre affaire pour que nous sachions enfin à quoi nous en tenir. Je sais que vos papiers ont té remis à l’Empereur peu après son retour de Paris, avec une proposition du Cte Taaffe, mais ce qui en est advenu depuis, je n’en sais rien ". Je ne puis m’imaginer qu’on aurait changé de décision, quoiqu’on ne puisse compter sur rien…En un mot, je veux être au clair là-dessus. Le lendemain matin, je fais prier Latour de venir chez moi pour lui parler du compte des photographies, qui est exorbitant, et il me dit : " Je veux vous prévenir d’une chose, mais vous me promettez le secret ? Vos papiers ne sont plus chez l’Empereur, ils ont été rendus avec la remarque : (texte allemand illisible) Je vous en préviens en ami pour que cela vous frappe moins.

Le lendemain la Ctesse Königsegg vient chez l’Archiduchesse et me dit à part : " J’ai parlé avec l’Impératrice qui s’est étonnée que ce ne soit pas encore chose faite et m’a demandé si Hohenlohe est contre ? Ce à quoi j’ai répondu que je n’avais pas à le croire. Sa Majesté m’a promis qu’aussitôt que l’Empereur serait de retour de Hongrie ( il arrive demain ) elle lui en parlerait."

J’avoue que cette incertitude n’est pas agréable et me peine à cause des miens, de maman surtout.

Jeudi 5 décembre.

Avant-hier soir la Ctesse Königsegg m’a enfin appris la décision de l’Empereur. Le matin du même jour, l’Impératrice lui avait dit que Sa Majesté trouve inutile de me donner le titre, que nos papiers ne prouvent pas que j’en aie le droit (on le savait à l’avance) et qu’il ;est suffisant que je soie fohfoifig (orthographe à vérifier) et que j’aie le titre de Kammer Vorleferin(ou vorsleherin ? comme il est dit dans le calendrier de 1872 ?) qu’on va me donner (J’y croirai quand je le verrai noir sur blanc). Comment va-t-on traduire cela en français ? C’est ce dont nous sommes bien curieuses la Ctesse et moi. En attendant, j’ai demandé si je pouvais faire mettre sur mes adresses Dame d’Honneur. La Ctesse m’a répondu que non, parce que l’autre titre est plus – enfin, nous verrons ce qu’il en sortira. Nous nous demandons ce qui a fait changé les idées de l’Empereur ? Et nous ne pouvons que conjecturer. Peut-être est-ce pour plaire aux idées libérales du moment ou bien pour je ne sais quelle raison. Le Cte Hohenlohe a-t-il intrigué contre ? Qu’il en soit ce qu’il veut, je l’accepte. J’ai placé le tout là où ces misères sont plus que misérables, je ne désire qu’une chose, c’est que les miens le prennent comme moi.

J’ai un soupçon que j’ai blessé Latour sans en avoir conscience. La Ctesse Königsegg croit qu’il  est peut-être jaloux du titre qu’on veut me donner et qu’il ne possède pas, mais je le crois au-dessus de cela, nous verrons par la suite si j’ai tort ou raison.

Jeudi 18.

C’est le 5 au soir que j’ai reçu mon décret. Le matin du 6 j’ai écrit à la Ctesse Königsegg pour lui demander comment je devais remercier les Majestés. Elle est venue tout de suite chez moi et a été bien bonne et affectueuse en cette occasion.. Dimanche 7 après la messe, j’ai exprimé ma reconnaissance aux Majestés. L’Empereur m’a tendu la main et m’a dit qu’il l’avait fait très volontiers. Une visite chez la Ctesse Sophie m’a décidée sur la traduction française du mot Kammer Vorsleherin(c’est le titre du calendrier de 1872, mais ce n’est pas exactement ce qu’on lit dans le journal ) Le Cte Joseph qui connaît si bien l’histoire m’a remise sur la voie : c’est Surintendante de la Maison etc…etc…J’en ai parlé à la grande maîtresse qui a trouvé la traduction excellente et c’est ainsi que mes cartes seront faites.

Hier soir, j’ai eu le plaisir d’embrasser les Sternberg et de les trouver tous en bonne santé. J’ai dîné avec eux et le Ctesse Stadion ce qui m’était très agréable.

 

 


FIN DU JOURNAL


 

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