Les Mémoires d'artillerie de Pierre Surirey de Saint Remy (1645-1716)

 

Rédigés par Pierre Surirey de Saint Remy (1645-1716), alors commissaire provincial de l'Artillerie de France,
les "Mémoires d'artillerie" sont publiés pour la première fois en 1697.
 
Cet ouvrage détaillé servira pendant plusieurs générations à la formation des officiers de l'artillerie française, le plus célèbre des étudiants ayant pâli sur ce noir bouquin étant Napoléon BONAPARTE *. 

 

 

Dans la dédicace de l'ouvrage au Duc du Maine, Grand-Maître de l'Artillerie, il déclare alors avoir l'honneur de servir dans l'artillerie " depuis vingt-six années ", donc depuis 1670 ou 1671. Pierre de Saint Remy accèdera ensuite, vers 1707, au rang de Lieutenant du Grand Maître de l'Artillerie (ou Lieutenant de l'Artillerie de France).


 * « Il lisait, la plume à ma main, les Mémoires de Surirey de Saint-Remy, surtout les passages qui concernent le calibre, la dimension et les charges des pièces. » Arthur Chuquet in La jeunesse de Napoléon, Paris, Armand Colin, 1898, p. 350.


 
 
 
Les différentes éditions des "Mémoires d'artillerie"
 
 
 
1ère édition:  en 2 vol. in-4° comprenant 185 planches illustrées, chez Jean Anisson, Directeur de l'Imprimerie royale, 1697.
2e édition:  édition augmentée, en 2 vol. in-4°, chez Rigaud, Directeur de l'Imprimerie royale, 1707 .
 3e édition: 
 édition augmentée, en 3 vol. in-4°, par G. Leblond, chez Charles Antoine Jombert  et chez Rollin fils,  1745.

Cette troisième édition est beaucoup plus ample et plus complète que la seconde;

vignettes en-tête de Cochin et Le Pautre gravées sur chaque titre.     

VOLUME 1 :   frontispice par Antoine Dieu gravé par Le Pautre ( portrait de Louis - Auguste de Bourbon ), portrait de l'auteur par Rigaud gravé par Edelinck, 338 pages, 59  planches hors - texte, dont plusieurs dépliants.

VOLUME 2 :   TABLE ( X ), 400 pages, 106 planches, dont plusieurs dépliants.

VOLUME 3 :   TABLE ( VIII ), 468 pages, 43 planches, dont plusieurs dépliants, Table General et Alphabetique. ( XXXVIII )

 

 Editions étrangères:   En 1702 et 1741 parurent en outre plusieurs éditions à Amsterdam et à La Haye.

  En 1733, une édition  éditée par l'Académie Impériale des Sciences de Saint-Petersbourg. Cette édition a été traduite du français sur une commande de Pierre Ier par V.K. TREDIAKOVSKII. Elle comporte 2 volumes et 70 gravures réalisées par Aleksei Tostovtsev, Ivan Miakishev, Ivan Konstantinov, Martyn Nesterov, Stepan Matveev et Nikifor Il'in sous l'autorité de Pierre PICARD.

(Un exemplaire de cette rare édition a été vendu 2500 Livres par CHRISTIE'S le 27 novembre 2008 à LONDRES)

 

     Mémoires d'artillerie (Éd.1697)            

A signaler:

réédition contemporaine par Hachette Livre BNF,

disponible à la vente par internet (http://www.athenaeum.com/livre/2261229-memoires-d-artillerie-ed-1697--pierre-surirey-de-saint-remy-hachette-livre-bnf).

                                                              9781271108039-p0-v1-s260x420.jpg
m-moires-dartillerie-volume-2.jpg
m-moires-dartillerie-volume-3.jpg 

Autre édition contemporaine: 

Nabu Press USA 2011

9781169360778-p0-v1-s600.jpg Kessinger Publishing Company USA 2010

_

 

     


!! CONSULTER L'EDITION DE 1697 !!
 




 

 


 



PIERRE SURIREY DE SAINT REMY ET LES MÉMOIRES D’ARTILLERIE

par Frédéric Naulet (RIHM n°82 Commission Française d'Histoire Militaire)

 

Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, les profondes transformations de l’artillerie française révolutionnent cette arme. Il ne s’agit ni d’une innovation majeure, ni d’une grande réforme comparable à celle de Gribeauval au lendemain de la guerre de Sept Ans, mais d’une succession de décisions ponctuelles et de progrès techniques. En effet, au lendemain du traité des Pyrénées, le clan Le Tellier décide de faire de l’artillerie une arme à part entière, avec un matériel moderne servi par un personnel spécifique, bien formé et en nombre suffisant. Pendant trente ans, il s’attache à réaliser ce projet ambitieux mais nécessaire à la politique de conquête de Louis XIV. Comment mener une guerre essentiellement de siège sans une artillerie performante ?

Les secrétaires d’État à la guerre successifs commencent par augmenter la production de bouches à feu. Si la France peut compter sur environ 5 000 pièces lors de la guerre de Dévolution, elle en dispose de 7 444 au lendemain de la guerre de la Ligue d’Augsbourg. Grâce à cet effort, les armées en campagne emportent toujours plus d’artillerie. Alors que le duc d’Enghien aligne 12 pièces (soit 0,5 pièce/1 000 h.) à Rocroi, à Blenheim, Tallard peut opposer aux alliés 90 canons (soit 1,6 pièce/1 000 h.). Avec un tel déploiement d’artillerie, la tactique ne peut qu’évoluer. Mais l’aspect quantitatif n’est pas le seul souci des responsables. Que faire de bouches à feu servies par un personnel en nombre insuffisant et souvent peu compétent ?

En 1668, le Corps Royal de l’artillerie compte moins de 250 hommes (tous officiers), les servants n’étant recrutés qu’en temps de guerre et licenciés une fois le conflit terminé. Avec une telle organisation, comment disposer d’un personnel réellement efficace ? Pour y remédier, à la veille de la guerre de Hollande, Louvois crée le régiment des fusiliers du roi avec des hommes pris dans les régiments d’infanterie. Ceux-ci sont chargés de protéger et de servir les bouches à feu. En 1676, un régiment de bombardiers, soldats spécialisés dans l’utilisation des mortiers, est mis sur pied. Grâce à ces créations, l’Artillerie dispose de 5 000 hommes à la veille de la guerre de la Ligue d’Augsbourg, mais le nombre ne fait pas forcément la qualité. Sans doute mécontent du comportement de ses officiers durant la guerre de Hollande, Louvois décide d’ouvrir une école d’artillerie à Douai en 1679, pour perfectionner un certain nombre d’entre eux. Même si cet établissement n’est pas un passage obligé dans la carrière d’un militaire, une formation, basée sur des connaissances minimum requises, apparaît désormais nécessaire.

 C’est dans ce contexte et dans cette optique que Pierre Surirey de Saint-Rémy rédige ses Mémoires d’artillerieen 1697.

Un auteur à part

Pierre Surirey de Saint-Rémy serait né en 1645, à Saint-Rémy, petit village au bord de l’Orne, à environ 30 km au sud de Caen. Malheureusement, nous ignorons exactement de quel milieu social il est issu et les raisons pour lesquelles il entre dans l’artillerie vers 1670. En 1672, il épouse Marie-Madeleine Hénault, fille d’un commissaire d’artillerie, mais rien ne permet d’affirmer que cette union est liée à son choix de carrière. Excepté sa nomination au grade de commissaire provincial (l’équivalent de colonel) en 1692, nous ne savons rien de ses états de service. A-t-il participé à des campagnes ? La question peut surprendre à une époque marquée par de nombreuses guerres mais, contrairement à la plupart des théoriciens du XVIIe siècle, Surirey de Saint-Rémy ne fait jamais allusion à son expérience militaire. De plus, il réside au petit arsenal de Paris dès 1672 (où il décèdera le 2 décembre 1716), il est donc probable qu’il a fait toute sa carrière à Paris, dans un poste plus administratif que militaire (peut-être les services du Grand-Maître). Cette hypothèse est d’autant plus vraisemblable qu’il est l’ami du contrôleur général de l’artillerie, comme le prouve la présence de ce dernier à son mariage ou celle de sa veuve aux noces de son fils.

De plus, l’étude de la famille de Saint-Rémy prouve son peu d’attachement à l’artillerie. Excepté l’un de ses gendres et l’époux d’une de ses petites-filles, aucun artilleur n’apparaît dans sa descendance. Nous trouvons bien quelques militaires, mais bien moins que dans la plupart des familles d’officiers de ce corps où l’endogamie est fréquente à cette époque. Ainsi, sur les six enfants issus de son premier mariage, deux meurent avant l’âge de se marier, l’une de ses filles épouse un directeur de la ferme des tabacs, une autre un directeur des gabelles et son fils aîné, Michel, devient trésorier général des rentes sur les aides et gabelles. Il n’y a guère que le mari de sa plus jeune fille qui soit officier au Royal-fusiliers mais celui-ci semble avoir abandonné sa carrière militaire par la suite. La famille est donc plus attachée au monde de la finance qu’à celui de l’artillerie. Cette spécificité explique peut-être l’originalité des Mémoires d’artillerie.

Une œuvre originale

Le xviie siècle est riche en écrits sur l’artillerie avec des auteurs comme Louis Collado1, Diego Ufano2, Casimir Siemienowicz3, Malthus4 ou Daniel Elrick5 pour ne citer que les plus connus. Tous ont un point en commun : ayant combattu, ils possèdent souvent une grande expérience au moment de la rédaction de leurs ouvrages qui sont, avant tout, les conclusions de leurs réflexions sur leur propre pratique. Ainsi, Ufano traite essentiellement de la guerre aux Pays-Bas, théâtre d’opération aux nombreuses places fortes, proches les unes des autres, constituant autant de points d’appui pour une armée en campagne. Il reconnaît lui-même son ignorance sur l’utilisation de l’artillerie dans les zones montagneuses. Siemienowicz, lieutenant-général de l’artillerie du roi de Pologne, est incontestablement plus sensible à la pratique de la guerre dans les grandes plaines d’Europe orientale. Leurs ouvrages sont très intéressants mais souvent incomplets. Surirey de Saint-Rémy dénonce le fait que "la plupart de ceux qui servent (dans l’artillerie), ne s’attachent qu’à certaines matières qui sont à leur goût : l’un à la construction d’affûts, l’autre aux artifices, l’autre aux mines et ainsi du reste, négligeant les autres parties, sans qui néanmoins, on ne seroit être accompli dans cette profession". Chez lui, la démarche est radicalement différente.

A une époque au cours de laquelle s’impose peu à peu l’idée que tous les officiers doivent recevoir un minimum de formation commune, où la seule expérience ne suffit plus, où la spécialisation dans tel ou tel théâtre d’opération paraît dépassée, Saint-Rémy veut écrire un ouvrage consultable et utile pour tout officier. Son livre doit être complet sans être surchargé par des connaissances inutiles. Sa démarche est donc avant tout celle d’un pédagogue et non celle d’un doctrinaire, ce qu’il revendique dans sa préface :

·  Leurs livres (ceux des théoriciens) sont chargés d’une infinité de règles mathématiques, de supputations et de réductions plus propres à dégoûter qu’à instruire de jeunes gens, la plupart sans études, et dont quelques uns par le caractère de leur esprit ne peuvent point s’appliquer à des matières si abstraites, dont la connaissance suppose celle des principes de géométrie qu’ils n’ont point ou dont ils ne sont peu capables.

Si ce constat est sévère pour les officiers d’artillerie, il est malheureusement le reflet de la vérité. La plupart d’entre eux ont appris leur métier sur le tas, sans passer aucun examen6, tirent au jugé et sont incapables de lire la moindre table de tir (d’ailleurs particulièrement compliquées et tout à fait inutilisables en pleine action). Sur ce point, Saint-Rémy rejoint Blondel7 mais sa démarche est différente. Alors que le second souhaite un corps plus instruit et écrit des livres en conséquence, le premier cherche à s’adapter à ses lecteurs, considérant sans doute (et à juste titre) que le souhait de Blondel ne peut se réaliser qu’en plusieurs années.

Malgré ses divergences de vues, Saint-Rémy ne condamne pas irrémédiablement les travaux antérieurs auxquels il fait référence dans ses Mémoires d’artillerie. La liste de ces auteurs qui ont écrit "d’une manière capable de former l’esprit des officiers" est sans surprise. Nous y trouvons Casimir Siemienowicz, Niccolo Tartaglia8, Louis Collado, Diego Ufano, Rivaut de Fleurance9, Daniel Elrick, Davelours10 et Blondel.

Les Mémoires d’artillerie se divisent en quatre parties :

- la première concerne les officiers et leurs titres, leurs fonctions, les immunités, les privilèges et les écoles.

- la seconde partie présente toutes les armes (canons, mortiers, fusils, armes blanches…) et leurs projectiles.

- la troisième partie traite des outils, des ponts, des mines, des charrettes, des techniques de fabrication des pièces et de la poudre.

- la quatrième partie s’intéresse aux magasins et aux arsenaux, à la composition d’un équipage, à l’utilisation des pièces dans la bataille et enfin aux droits des officiers.

L’ouvrage est complété par un glossaire très détaillé et de nombreuses planches illustrant abondamment les chapitres. Les Mémoires d’artillerie sont donc facilement abordables, même par quelqu’un qui ne posséderait que des connaissances rudimentaires sur le sujet.

L’organisation de l’artillerie

La première partie n’attire aucune remarque particulière. Surirey de Saint-Rémy se contente de dresser une liste exhaustive du personnel de l’artillerie, du Grand-Maître au simple canonnier, en précisant le rôle de chacun, leur nombre, leur solde et la création des différents régiments. Fidèle à son souhait d’être le plus neutre et le plus objectif possible, il ne donne que rarement son avis et ne fait même pas allusion aux relations (pour le moins délicates) entre les membres du Corps Royal de l’artillerie et ceux du régiment Royal-Artillerie, ces derniers contestant l’autorité des premiers. L’une des rares exceptions à cette règle de conduite concerne la gestion du personnel en temps de paix. Afin de conserver des hommes expérimentés pour les conflits suivants, les canonniers ne sont plus licenciés une fois la guerre terminée comme cela se pratiquait auparavant. Une telle décision coûtait évidemment plus cher, ce que déplore Surirey de Saint-Rémy car "par cette raison, il demeure une quantité d’officiers et d’ouvriers inutiles". Cette remarque tendrait à confirmer que Surirey de Saint-Rémy était plus un homme de bureau, proche du trésorier général de l’artillerie et soucieux des dépenses, qu’un officier chargé de commander des soldats dans une place.

La seconde partie est une véritable encyclopédie du matériel dont dispose l’artillerie. Chaque modèle y est décrit avec précision (calibre, poids et longueur), y compris des pièces dignes d’un musée tel le basilic (pièce de 48), le dragon (pièce de 40) ou le faucon (pièce de 3). Pour Saint-Rémy, il ne s’agit pas seulement de faire preuve d’exhaustivité mais aussi de renseigner les officiers toujours susceptibles de rencontrer ces bouches à feu sur les remparts d’une place comme à Brest où se trouvait encore un basilic à la fin du xviie siècle.

Sur l’utilisation du canon, Saint-Rémy n’apporte aucune innovation et reste désespérément attaché à la coutume, en premier lieu pour la charge du canon fixée aux deux tiers du poids du boulet (par exemple, 16 livres de poudre pour une pièce de 24 livres). Or, celle-ci était inutilement élevée, le tiers suffisant à procurer le même effet. Reprenant les travaux d’un officier espagnol, Antonio Gonzales, Frézeau de la Frézelière11 s’était rendu compte de cette erreur et en avait profité pour alléger le matériel, créant ainsi les pièces dites de la nouvelle invention. Même si Saint-Rémy présente ces nouveaux modèles, à aucun moment, il ne s’interroge sur cette anomalie. Pour lui, la charge des pièces légères n’a apparemment aucun rapport avec celle des pièces ordinaires. Dans ce domaine, notre auteur ne fait pas figure de visionnaire mais il est en cela le digne représentant de son corps.

Quant à la méthode de tir, en recommandant de tirer au jugé, il fait encore moins preuve de modernité si cela est possible :

·  Cette manière (le tir au jugé), quoique fondée sur une infinité d’expériences très dommageable à nos ennemis, n’a pas laissé de trouver quelques fois des censeurs. Feu Monsieur Blondel a fait un grand traité là-dessus, prétendant avoir donné une démonstration pour tirer juste, beaucoup plus sûre que n’ont pu faire tous ceux qui s’en sont mêlés par le passé.

Mais il semble qu’il vaille mieux s’attacher à suivre ceux qui sont dans le continuel exercice des bombes et qui se trouvent bien de leur méthode, étant sûrs que l’expérience, surtout en fait de la poudre, l’emporte toujours sur les observations les plus savantes.

La critique de l’accessibilité des tables de tir de la fin du xviie siècle n’a rien de surprenant. En effet, au-delà des lacunes en mathématiques des artilleurs qui rendaient leur lecture problématique, la qualité de la poudre, l’état de la pièce et du projectile pouvaient considérablement modifier le tir. En revanche, le rejet définitif des travaux de Blondel reflète le scepticisme de l’auteur quant aux innovations, sentiment partagé par de très nombreux officiers d’artillerie. Pourtant, Saint-Rémy est loin de rejeter toute réforme.

Un sujet lui tient particulièrement à cœur : l’uniformisation du matériel. C’est moins la variété des calibres que celle des affûts qui lui pose problème. En effet, en 1697, la production des bouches à feu se résume depuis plusieurs décennies à six calibres. La diversité de celles-ci provient donc des pièces étrangères capturées lors des campagnes militaires et dont la refonte était inenvisageable car trop coûteuse. Par contre, la variété des affûts était un handicap bien réel car chaque arsenal avait ses propres proportions, d’où l’impossibilité de remplacer certaines pièces lorsque l’on changeait de théâtre d’opération. Surirey déplore cette situation :

·  J’avois eu l’intention de donner ici par de simples tables les proportions des affûts, tant pour les bois que pour les ferrures. Mais outre qu’il est bon que l’on sçache comment on donne ces sortes de mesures en Flandres, et comme l’on les donne en Allemagne, il n’est pas aisé de faire cadrer les mémoires de ces deux départements, non seulement à cause que les proportions sont différentes en quelques petites choses, mais encore parce que leur manière de raisonner s’explique différemment.

Pour Saint-Rémy, l’affût est aussi important que le fût car c’est l’élément le plus fragile de la pièce, le plus sensible aux transports et la cible privilégiée des adversaires. Tout en présentant les différents modèles (affût bâtard, à haut rouage, de campagne et marin), il rédige un court plaidoyer pour l’affût marin. Mis au point par Vauban, ce dernier, inspiré de ceux construits par la marine pour les vaisseaux de guerre, était plus robuste et plus bas que les affûts traditionnels, donc plus difficile à détruire. Le seul obstacle à sa généralisation était la hauteur des genouillères de certaines places fortes, problème aisément contournable à condition d’observer les recommandations de Saint-Rémy, c’est-à-dire de relever les plates-formes.

L’artillerie dans la guerre de siège

Sur l’attaque des places, Saint-Rémy insiste naturellement sur la construction des batteries, à commencer par le choix de leur emplacement. Il aborde l’une des questions les plus épineuses de l’époque : qui prend les décisions ? L’ingénieur en chef, chargé généralement de la conduite des sièges, ou le commandant de l’artillerie ? Chacun étant jaloux de ses prérogatives, leurs relations étaient souvent tendues, voire conflictuelles comme au siège de Barcelone en 1697. Pour Saint-Rémy, les deux "doivent travailler de concert". Sage recommandation, mais en tant qu’artilleur, il ne peut s’empêcher de préciser qu’il faut "que l’ingénieur en faisant passer les boyaux devant (les batteries) ne les rende point inutiles".

Pour le reste, il se rallie aux vues de Vauban. Les batteries doivent être construites le plus rapidement possible sans toutefois se précipiter, les ouvrages trop éloignés de la place ou mal disposés étant inutiles voire démoralisants pour le reste des troupes. Le moral des hommes est d’ailleurs l’une des préoccupations de l’auteur lorsqu’il demande de veiller à l’aspect des ouvrages :

·  On ne seroit trop tôt avoir fait une batterie, il y va de l’honneur et de la réputation. Mais il faut cependant que l’ouvrage soit bien fait et agréable à la vue.

Pour plus d’efficacité, il préfère attendre l’achèvement de toutes les batteries avant d’ouvrir le feu afin d’assommer les défenseurs en utilisant, si possible, les feux croisés, plutôt que de se dévoiler prématurément. Un tir massif ne signifie pas pour autant une forte concentration d’artillerie en un même point, mais des batteries de 8 ou 10 pièces, réparties sur l’ensemble du front de l’attaque, obligeant ainsi le défenseur à diviser ses feux et donc à les affaiblir. Dernier point, tout officier d’artillerie doit veiller à protéger ses canons, non seulement du tir adverse ou d’une sortie des assiégés, mais aussi des mines, principalement à l’approche du chemin couvert. Le recours quasi systématique à la contre-mine apparaît alors comme la seule parade.

Le rôle de l’artillerie dans la défense des places est également incontestable et les quelques lignes consacrées à ce sujet dans les Mémoires d’artillerie le démontrent :

·  On dépense des millions à fortifier une place pour arrêter l’armée la plus nombreuse, avec une petite quantité de monde. Mais quelle résistance pourra-t-elle faire avec un feu médiocre ?

Cette question pourrait laisser croire que Saint-Rémy souhaite multiplier les bouches à feu sur les remparts. En fait, ses exigences restent modérées avec 30 canons, répartis sur 3 bastions, et 12 mortiers. Les canons sont naturellement destinés à répondre au feu de l’adversaire et à freiner les travaux d’approche. Quant aux mortiers, en parfait disciple de Vauban, il insiste sur leur usage massif, non seulement à courte distance pour contrarier la progression de la tranchée adverse ou éclairer les travaux d’approche la nuit, mais aussi pour tenter de toucher les magasins à poudre situés dans les batteries et ainsi ravager ces dernières.

Les Mémoires d’artillerie contiennent une remarque assez rare dans les ouvrages de l’époque pour être notée : l’utilisation des cartes. Pour Saint-Rémy, avant chaque campagne militaire, tout officier d’artillerie doit étudier la disposition des places fortes sur lesquelles il pourra s’appuyer, sur leur approvisionnement et donc porter une attention particulière sur les distances qui les séparent les unes des autres.

Cependant, les pages sur la défense des places apportent peu d’enseignement. Un officier aurait été bien en peine d’y trouver les solutions aux problèmes auxquels il était forcément confronté lors d’un siège. Quels calibres utiliser ? Jusqu’à quand conserver ces canons sur les remparts, sachant que ceux-ci seraient irrémédiablement condamnés à mesure que les batteries adverses se rapprocheraient ? Quelles quantités de munitions prévoir ? Quelle est la durée moyenne d’un siège ? Ces lacunes, surprenantes de la part d’un auteur souhaitant répondre à toutes les interrogations des officiers d’artillerie, s’expliquent peut-être par son absence d’expérience en la matière. L’auteur est plus loquace sur la constitution des équipages, en particulier pour ceux de campagne.

La composition, l’organisation pendant les marches et la disposition de l’artillerie dans le parc sont scrupuleusement détaillées ainsi que le rôle de chaque officier. Mais, là encore, il est inutile de chercher une quelconque idée nouvelle, les dispositions décrites étant celles des règlements. Une armée de 50 000 hommes doit emporter 50 canons avec 100 coups par pièce, proportion courante durant la guerre de la Ligue d’Augsbourg, malgré quelques exceptions. En 1690, le maréchal de Luxembourg dispose de 70 pièces pour 40 000 hommes à la bataille de Fleurus. Berwick peut compter sur 40 pièces pour 25 000 hommes à Almansa en 1707. Pour bien faire comprendre à son interlocuteur que la proportion adéquate est d’une pièce pour 1 000 hommes, Saint-Rémy précise qu’une armée de 80, 90 ou 100 000 hommes doit avoir à sa suite 80, 90 ou 100 pièces. La seule exception à cette règle concerne les équipages évoluant en Allemagne. Ces derniers, amenés à s’éloigner des places fortes, donc de leurs sources d’approvisionnement, sont invités à emporter plus de munitions pour parer à toute éventualité. Pour les armées combattant aux Pays-Bas, région coupée par de nombreux cours d’eau, la présence de pontons est jugée nécessaire pour ne pas ralentir, voire bloquer, la progression de l’équipage. Pour illustrer son propos, Saint-Rémy cite des exemples d’équipages comme celui destiné au siège de Luxembourg en 1684.

L’artillerie dans la bataille

Reste l’utilisation du canon dans la bataille. Les pages consacrées à ce sujet prouve l’évolution, lente mais réelle, du rôle de l’artillerie. Alors que tous les théoriciens du xviie siècle, conscients du manque de mobilité de leur arme, ne parlent que du positionnement des pièces sur le front de l’infanterie et de tir frontal, Saint-Rémy fait allusion au mouvement et au tir oblique.

Les officiers généraux sont d’abord tenus de positionner leurs pièces de manière à obtenir les meilleurs angles de tir possibles et de privilégier le tir oblique ou le tir en enfilade car "le boulet fait beaucoup plus d’effet lorsqu’il entre dans un bataillonoudans un escadron par les ailes ou qu’il prend les batteries en rouage que lorsqu’il prend les attaques par le front". Cette recherche des meilleures positions de tir possibles est une des révolutions de la fin du xviie siècle. Il ne faut cependant pas l’exagérer. Avec les canons placés au centre, le dispositif de l’artillerie à Neerwinden (1693) est très classique, tout comme à Almansa (1707) ou à Blenheim (1704). Cependant, à Malplaquet, Villars place ses six batteries sur tout son front de bataille de manière à pouvoir prendre en enfilade une éventuelle attaque au centre des troupes alliées.

De toute façon, quels que soient ses choix, le commandant en chef ne doit jamais laisser son artillerie sans le soutien de l’infanterie, au risque de la perdre. A la veille de la bataille de Minden, en 1759, Contades aurait été bien inspiré de méditer cette maxime avant de placer deux batteries au centre de son armée, épaulées seulement par de la cavalerie. L’attaque ennemie sur ce point faible décida du sort de la bataille.

La référence à une certaine mobilité de l’artillerie sur le champ de bataille est le second élément novateur de ces pages et là, l’introduction des pièces légères de la nouvelle invention y est pour beaucoup. Pour l’une des premières fois de ce siècle, un auteur envisage de déplacer ses canons au cours de l’engagement, pas seulement pour fuir mais pour les repositionner de façon plus avantageuse. Pour cette manœuvre, Saint-Rémy recommande de n’utiliser que huit soldats et aucun cheval pour éviter toute perte de temps. Là encore, il ne faut pas exagérer cette tendance. Globalement, l’artillerie reste statique sur le champ de bataille durant les guerres de la Ligue d’Augsbourg et de la Succession d’Espagne. Il faudra attendre la guerre de Succession d’Autriche pour voir des officiers mouvoir leurs bouches à feu, lentement et souvent avec encore bien des difficultés. Saint-Rémy traite également des missions de l’artillerie au cours d’un engagement. Tout d’abord, il faut éviter les canonnades inutiles et ne tirer qu’après avoir soigneusement choisi sa cible, même si le reste de la troupe critique "le peu de diligence de l’artillerie". Selon lui, "le service n’est peut-être pas si brillant mais il est plus solide".

Au début du combat, les batteries doivent se concentrer sur celles de leur adversaire. Si le boulet manque sa cible, le ricochet le conduira immanquablement jusqu’aux troupes placées derrière les canons. Par contre, au cours de l’engagement, les canons doivent tirer sur l’infanterie dès que celle-ci fait mouvement, car tout le monde sait bien à l’époque que, contrairement à l’artillerie, celle-ci décide souvent du sort de la bataille.

A la fin de la journée, chaque officier doit veiller à sauver ses canons pour ne pas les laisser en trophées à l’adversaire et ne jamais négliger de s’emparer de ceux de l’adversaire s’il est vainqueur car "c’est une marque de victoire." Au vu des différentes batailles, cette recommandation était superflue car aucun officier ne négligeait cette règle.

Un succès incontestable

Dès leur parution, les Mémoires d’artillerie reçurent un accueil très favorable, en particulier des plus grands artilleurs de l’époque (Frézeau de la Frézelière, Vigny12 et Saint-Hilaire13) mais aussi du marquis de Feuquières14 ou de Folard15. Preuve de son succès, cet ouvrage, le premier du genre (surtout si complet), est réédité en 1707. L’avertissement de la troisième édition (1747) reflète parfaitement l’opinion générale :

·  Ce traité est le plus complet qu’on puisse désirer sur l’artillerie. (...) il a fourni la principale matière de ceux (les écrits) qui ont été donnés depuis sur l’artillerie, tant en France, que dans les pays étrangers.

Plus étonnant, aucun autre ne parvient à le détrôner dans la première moitié du xviiie siècle. Pourtant, l’artillerie a considérablement évolué depuis 1697 : les pièces de la nouvelle invention ont disparu après la guerre de Succession d’Espagne ; Vallière a uniformisé la fabrication des bouches à feu ; la pièce à la suédoise (pièce de 4 légère) a été introduite dans les équipages (avec plus ou moins de succès) ; la machine à forer les canons de Maritz fonctionne dans toutes les fonderies ; les officiers d’artillerie sont désormais obligés de passer par des écoles ; Belidor16 a rédigé des tables de tir simplifiées et a découvert la véritable charge utile pour le canon (soit au tiers du poids du boulet). Dans ces conditions, rééditer les Mémoires d’artillerie en 1747 sans aucune correction, revient à publier un livre dépassé sur bien des points. Mais la mort de Surirey de Saint-Rémy rend impossible sa réécriture.

Il est donc décidé de ne pas toucher au texte original, mais de l’augmenter en y introduisant des traités récents et de l’annoter pour préciser les changements intervenus depuis la première édition. Ce travail est confié à Guillaume Le Blond, auteur des Elemens de la guerre de siège ou traité de l’attaque et de la deffense à l’usage des jeunes militaires en 1743. Ce dernier décide d’ajouter un recueil d’édits et d’ordonnances concernant l’artillerie ainsi que plusieurs mémoires :

- un mémoire de l’abbé Deidier sur la manière de compter les piles de boulets ;

- un traité tiré du Bombardier françoisde Belidor sur l’effet de la poudre ;

- une dissertation de Vallière sur les contre-mines ;

- une instruction de Destouches sur le service des batteries de siège.

Dans ses notes de bas de page, Le Blond se permet même quelques critiques sur le texte original, comme sur le commentaire de Surirey de Saint-Rémy à propos de Blondel :

·  Si M. de Saint-Rémy avoit été géomètre, il n’auroit point dit que M. Blondel prétendoit avoir donné une demonstration pour tirer des bombes avec précision, mais qu’il avoit donné cette méthode, et qu’il l’avoit démontré avec rigueur.

Quant à la partie sur la défense des places, Le Blond, la jugeant très insuffisante, recommande la lecture des écrits de Vauban et (en toute modestie) son propre ouvrage publié quatre ans plus tôt !

Cette troisième édition, largement augmentée, ne comprend donc plus deux mais trois volumes. C’est incontestablement le travail le plus complet qui ait jamais été écrit sur ce sujet à cette date. Il constitue un ouvrage de référence pour tout artilleur mais présente un aspect singulier. De nombreuses pages appartiennent à l’histoire, comme celles sur les anciennes pièces (qui ont toutes été refondues depuis la première édition) ou sur la charge aux deux tiers du poids du boulet. Par contre, un lecteur peut y trouver les conclusions des travaux les plus récents comme ceux de Belidor. Autre curiosité : alors que la préface fait l’éloge de Surirey de Saint-Rémy, certaines notes le critiquent ouvertement !

Conclusion

Pierre Surirey de Saint-Rémy apparaît donc comme un artilleur et un auteur à part. Sa démarche n’est pas celle d’un théoricien cherchant à imposer ses idées, mais celle d’un homme du sérail (donc incontestable au sein de l’Artillerie) souhaitant faire la synthèse des connaissances et des pratiques de son époque pour permettre à tous les officiers d’artillerie d’y avoir accès. Dans cette optique, il atteint son objectif, sans doute au delà de ses espérances, car pratiquement tous les artilleurs français du XVIIIe siècle le liront, si ce n’est complètement du moins en partie. Cette troisième édition augmentée permet aux Mémoires d’artillerie de rester un ouvrage de référence tout au long de ce siècle. Il n’est donc pas exagéré d’affirmer que Surirey de Saint-Rémy à contribué à la formation de plusieurs générations d’officiers reconnus comme étant les meilleurs d’Europe.

Pour cette raison, il reste incontournable pour toute étude de l’artillerie de cette époque.

 

 

 


 

 

Notes:

1 Louis Collado est un ingénieur andalou au service de Philippe II, en Lombardie. En 1586, il écrit (en italien) Platica manuale de artigleria.

2 Diego Ufano, capitaine espagnol, est l’auteur d’un Tratado de la artilleria y usos della platica por el capitan Diego Ufano en las guerras de Flandes, publié à Bruxelles en 1613.

3 Casimir Siemienowicz, lieutenant-général de l’artillerie du roi de Pologne, est l’auteur du Grand art d’artillerie, publié à Amsterdam en 1651.

4 Francis Malthus, gentilhomme anglais au service de la France, fut à l’origine de l’utilisation du mortier dans l’armée française. Il écrivit Le parfait cannonier. Il fut tué d’un coup de mousquet au siège de Gravelines en 1658.

5 Daniel Elrick, capitaine d’artillerie à Francfort sur Main, continua l’œuvre de Siemienowicz après la mort de ce dernier.

6 Contrairement à ce que feront leurs successeurs à partir de 1720.

7 Nicolas-François Blondel (1618-1686), architecte, ingénieur et mathématicien, dessina les plans de Rochefort avec le chevalier de Clerville, puis fut admis à l’académie des sciences en 1669. Sous-précepteur de Monseigneur en 1673, il fut le premier directeur de l’académie d’architecture. Blondel rédigea plusieurs ouvrages, dont un Cours d’architecture, un Cours de mathématique et l’Art de jeter les bombes.

8 Niccolo Fontana dit Tartaglia (1499-1557), mathématicien italien, fut l’un des premiers à résoudre une équation du troisième degré. Il appliqua ses connaissances à la balistique et publia La nova scientia.

9 Rivault de Fleurance fut le précepteur de Louis XIII et l’auteur d’Elemens d’artillerie.

10 Davelours, garde provincial d’artillerie à l’arsenal de Paris, rédigea une Brieve instruction sur le fait de l’artillerie en France en 1597.

11 François Frézeau, marquis de la Frézelière (1624-1702), issu d’une famille de militaire, commença sa carrière sous les ordres de Turenne durant la guerre franco-espagnole. Au lendemain de la guerre de Hollande, il devint lieutenant-général d’artillerie des places de l’est du royaume (Alsace, comté et duché de Bourgogne et les places de la Sarre). En 1679, il appliqua les théories d’Antonio Gonzalez et créa un matériel plus léger, appelé pièces de la nouvelle invention. Celles-ci eurent un succès certain dans les équipages, mais la mort de leur instigateur entraîna leur disparition à la fin de la guerre de Succession d’Espagne.

12 Jean-Baptiste de Vigny (1645-1707) fut le premier lieutenant-colonel du régiment des bombardiers en 1684. Lieutenant-général d’artillerie puis brigadier en 1690, il dirigea l’artillerie en Flandre à la veille de la guerre de Succession d’Espagne et termina sa carrière en qualité de maréchal de camp.

13 Pierre de Mormès de Saint-Hilaire (1651-1740), maréchal de camp en 1702, commanda l’artillerie en Flandre, en Picardie, en Artois et dans le Hainaut. Lieutenant-général des armées du roi en 1704, il fut fait grand-croix de Saint-Louis en 1720.

14 Antoine de Pas, marquis de Feuquières (1648-1711) fut maréchal de camp en 1689. Il se distingua en Italie et à Neerwinden mais fut écarté de l’armée en 1695.

15 Jean-Charles, chevalier de Folard (1669-1752) est l’auteur d’une Histoire de Polybe (1724-1730) dans laquelle il expose la supériorité de la colonne sur la ligne.

16 Bernard Forest de Belidor (1696-1761), professeur de mathématique à l’école de La Fère de 1720 à 1741, fut l’auteur de nombreux ouvrages sur l’artillerie et le génie. Il fit de nombreuses expériences sur l’effet de la poudre et découvrit que la bonne charge était au tiers du poids du boulet.
 

Copyright © ISC 2002 pour la version Internet

 
 

 

 

 

 

Créer un site internet avec e-monsite - Signaler un contenu illicite sur ce site