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IV. Pol Enfin officier

En janvier 1867, son ami Gabriel de RANCOURT est nommé officier et Pol devient à son tour N°1 sur la liste d’avancement du régiment.


                                                                                                Gabriel de Rancourt

D’un point de vue plus matériel, cette promotion de son camarade permet aussi à Pol de récupérer sa chambre, qui a l'avantage non négligeable sur la sienne de posséder une cheminée.
L’espoir d’une nomination dans le corps des officiers se précise donc et Alix continue à mener des interventions actives à son profit. Elle compte en particulier sur la protection de Mme de GUEROULT  pour agir auprès du Maréchal RANDON « pour enlever cette épaulette si désirée et si chèrement achetée ».

En février, malgré des promesses faites à M. de BLANGY et à lui-même, désespoir de Pol qui découvre qu’il a été reculé de deux numéros par son Chef de Corps, le Colonel de BERNIS. Alix s’indigne et décide de s’adresser au plus tôt à M. le Duc de GRAMONT (le Duc de GRAMONT, futur ministre des Affaires Etrangères, est l’ambassadeur de France à VIENNE ) .

Dès que possible, Pol se rend quant à lui à Paris pour entreprendre des démarches avec M. de BLANGY.

De son côté,  Alix a obtenu une audience du Duc de GRAMONT:
« Le Duc de Gramont me reçut très aimablement, écouta mon affaire et me promit son intercession me disant qu’il avait un frère colonel de la Garde, le Duc de Lesparre, que le Cte de Goyon est son ami et ne lui refuserait pas ce qu’il lui demanderait ; que de plus il avait à l’ambassade un colonel qui avait longtemps travaillé dans les bureaux du ministère et qu’il lui parlerait. A deux reprises il m’a dit qu’il était très heureux que je ne fusse pas venue 8 jours plus tard et me promit de s’occuper promptement de cette affaire.
L’Impératrice m’accorda aussitôt une audience et me permit, avec sa grâce ordinaire, d’assurer au Duc qu’elle daigne s’intéresser à moi et espère que je réussirai . »

« Vendredi 15 mars.
Voici la copie exacte de la lettre que le Duc de Gramont  a reçue hier du Cte de Goyon auquel il avait bien voulu s’adresser pour mon frère:
"Paris , le 12 Mars 1867
Monsieur le Duc, J’ai reçu la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire le 28 du mois dernier, au sujet de Mr  de Surirey, adjudant au 1er Chasseurs.
Je suis très touché de la manière dont vous voulez bien rappeler nos anciennes relations. Je n’ai pas besoin de vous dire que de mon côté j’en garde précieusement le souvenir, et que je serai toujours heureux lorsqu’il se présentera des occasions de vous en donner des marques.
Je suis passé hier au ministère de la guerre pour m’occuper de votre protégé. J’ai trouvé tout le monde on ne peut mieux disposé en sa faveur, et on m’a assuré qu’il aurait la première place de sous-lieutenant revenant au tour des sous-officiers du corps. Mais il faut pour cela qu’il y ait deux vacances au 1erChasseurs, et il n’est pas possible de prévoir dès à présent à quelle époque elles se produiront. Il y a lieu toutefois d’espérer que l’année ne se passera pas  sans que Mr de Surirey reçoive la récompense due à ses services et à son excellente conduite.
Je serai d’autant plus charmé d’avoir pu lui être utile dans cette circonstance que j’ai été à même d’apprécier son mérite lors de mon inspection de l’Ecole de Cavalerie en 1866.
    Madame de Goyon me charge de vous remercier de votre souvenir et je vous prie de mon côté, Monsieur le Duc, de vouloir bien agréer l’assurance d’une haute considération et de mes sentiments dévoués.

                        Le général de Goyon
 
P.S. Je vous prie d’être auprès de Madame la Duchesse de Gramont, l’interprète de mes hommages respectueux. Je pars pour mon commandement dont le siège est à Toulouse. »

 
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En mai 67, RANCOURT  annonce à Pol son mariage et en même temps sa démission. Le mariage est prévu à ORLEANS où Pol se rend donc pour l'occasion du 13 au 16 mai. C'est encore le prétexte à quelques frais indispensables: pour être présentable, il lui faut en effet se faire confectionner un pantalon et des bottines, car on ne se présente naturellement pas à une réception en bottes.

Gabriel de RANCOURT de MIMERAND épouse donc Delphine CAPITANT de VILLEBONNE le 14 mai. Sa jeune épouse  sera malheureusement enlevée à son affection deux ans plus tard, à l’âge de 23 ans.

Désormais civil,  installé à MIMERAND, Gabriel sera néanmoins nommé chef de bataillon dans la réserve territoriale le 31 décembre 1868 et chargé de constituer le 1er Bataillon de Gardes Mobiles du LOIRET .

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Enfin, le 29 mai 1867, Pol est promu à son tour dans le corps des officiers et nommé sous-lieutenant, en partie grâce à RANCOURT dont la démission a créé une vacance au régiment. Pol n’a pas encore 30 ans, ce qui lui laisse donc encore de bons espoir de carrière.

Son galon de Sous-lieutenant est bien entendu une véritable source de joie familiale :
« Jeudi 6 Juin .
Avant tout il faut que je dise qu’hier j’ai reçu quelques lignes de Pol m’annonçant que le 1er de ce mois il a reçu sa nomination d’officier dans son régiment même, ce qu’il désirait vivement. J ‘en ai pleuré de joie…
Combien ma bonne mère sera heureuse en ce moment ! »
(journal d'Alix)
 
La prévenance d’Alix pour son frère ne va cependant pas s ‘arrêter là; elle va continuer à le soutenir tout au long de sa carrière. Elle se charge d’ailleurs dans un premier temps de lui payer l’équipement que nécessite sa nouvelle condition. A cette époque, tenues de parade, armes, selles et harnachements sont en effet entièrement à la charge de l’officier.

Conformément à la tradition et aux usages, Pol offre son punch aux officiers pour fêter l'événement, fait ses visites puis emménage en ville comme il se doit: 
« Je suis très bien logé, un salon, une chambre à coucher et un grand cabinet de toilette; malheureusement l'entrée n'est pas belle, l'escalier est tellement étroit que je me cogne les deux épaules contre les murs, la rue est aussi peu agréable. Je ne sais si j'y resterai, j'ai pris ce logement en attendant et je le regretterai à cause de sa propreté. Tous ces MM. ont aussi leurs chevaux logés en ville ainsi que leur chasseur, mais je n'ai pu trouver d'écurie, les logements sont assez rares.»

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En août 1867, Alix a pu rentrer en France pour quelques vacances. C'est donc l'occasion pour tous de se retrouver à la VOLVE et de partager la joie de Pol. Celui-ci est parvenu à prendre en même temps des permissions, à la fin desquelles il raccompagne Alix à PARIS pour la mettre au train de VIENNE.
Fidèle à sa passion, le 1er septembre, dès 5 heures il fait l’ouverture de la chasse à LA VOLVE rapportant 5 perdreaux et une caille.

De retour à VIENNE, Alix continue à faire preuve de la plus grande sollicitude  envers son frère et saisit l’occasion d’une visite de l’Empereur d’AUTRICHE-HONGRIE en France pour mettre Pol à l’honneur en chargeant le Général Comte de BELLEGARDE, aide de camp de l’Empereur, d’organiser une entrevue:

« Lundi 21 octobre à 10h du matin.
L’Empereur est parti pour Paris. Sa Majesté avait l’air gai et content. (…) Hier il devait y avoir une revue dont le régiment de Pol aura certainement fait partie. Que je serais heureuse que l’Empereur fît venir ce bon garçon ! J’en serais toute ma vie reconnaissante au comte Bellegarde, qui m’a promis de faire son possible pour cela.


Mardi 29 octobre.
Les nouvelles du séjour de l’Empereur à Paris sont brillantes, la réception vraiment cordiale et cela de la part de la nation. L’Empereur est très content de la cavalerie française qu’il a regardée de près. Que je suis impatiente de savoir si Pol a eu l’occasion de lui parler.
 Mercredi 20 novembre 67.
C’est le 30 que l’Empereur a eu la grâce de recevoir Pol et d’une manière si gracieuse et si aimable que le pauvre garçon, bien intimidé d’abord, s’est tout de suite senti à l’aise et heureux, oh ! bien heureux d’avoir vu mon souverain de si près.
Sa Majesté avait eu la bonté de l’écrire à l’Impératrice et celle-ci de me le faire dire par l’Archiduchesse . (…) Le comte Bellegarde a aussi été bien bon pour mon frère. Quoique l’Empereur soit arrivé du 7, je n’ai pas encore eu l’occasion de le voir et de le remercier comme je le sens. A son arrivée, nous attendions sur le grand escalier. Sa Majesté est venue à moi, m’a tendu la main, a dit qu’il avait eu le plaisir de faire la connaissance de mon frère. Lorsque je lui exprimai notre reconnaissance à tous, sa figure prit une si bonne expression que je me le rappellerai toujours avec gratitude. »
(journal d'Alix)

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Au cours de l’hiver 67-68: leur mère suit les CORMIER qui ont décidé de s'installer en permanence à PARIS, ce qui permet à Pol de leur faire des visites plus nombreuses. Il chasse toujours à PROVINS ou dans le LOIRET quand il le peut. Il acquiert d’ailleurs son premier chien de chasse, mais celui-ci est encore un peu jeune aussi, lorsqu’il va à LA VOLVE, se fait-il prêter « FLORETTE » par Mme ROZIER.
Pol correspond aussi toujours régulièrement avec sa famille, entre autres avec ses cousins FREMEUR, POUILLY et FALLOIS.
 
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Pol, chef de peloton au 1er Chasseurs, participe comme le reste de l’armée aux manœuvres du camp de CHALONS (plus connu aujourd’hui sous le nom de camp de MOURMELON) que l’empereur NAPOLEON III a créé en 1856 dans la MARNE.
Une anecdote qu’il raconte dans une lettre écrite lors d’un déplacement vers ce camp, nous montre qu’il a du caractère et n’est pas toujours commode:

«j'étais détaché avec 50 hommes dans un petit village nommé Haussimont; c'était trop loin pour venir manger avec mes camarades, je fus obligé de commander à déjeuner et à dîner à l'auberge. Comme tous les villages où il ne passe personne, ces bonnes gens n'avaient rien: le déjeuner fut facile, une omelette au lard et je fus très content. Mais le soir il fallait encore manger des œufs, il n'y avait pas autre chose. J'avisai une bande de poules et priai d'en tuer une , mais l'aubergiste  ne voulait pas les tuer et, malgré toutes mes supplications, j'allais être condamné à remanger une omelette, ce qui me mettait d'assez mauvaise humeur. Alors, prenant une grosse pierre, je me tournai vers l'aubergiste et lui dis: "si je tue une poule, vous me la ferez payer n'est ce pas. Oui Monsieur , me répondit le gaillard, mais vous n'oseriez pas."  Voyant que j'allais mettre ma menace à exécution, le gaillard se décida à tordre le cou à une de ces maigres bêtes.»(lettre à sa mère du 28 avril 1868)

Ce séjour en camp se fait sous la tente et dure deux mois. Comme aujourd’hui encore, la moindre pluie transforme le camp en un champ de boue dans laquelle on s’enfonce jusqu’aux genoux. Son ordonnance lui aménage du mieux possible sa tente et organise même un jardin autour.

Les manœuvres ne sont pas forcément quotidiennes aussi, peut-il faire quelques mondanités. Les officiers s’invitent en effet régulièrement d’un régiment à l’autre. Il retrouve ainsi un vieil ami de la famille, Anatole de MAISONNEUVE, qui est alors lieutenant-colonel au 2ème Régiment de Grenadiers de la Garde Impériale.

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Depuis le mois d’avril 1868, le régiment est désormais en garnison à CHALONS (SUR MARNE) que Pol rejoint donc à l’issue des manœuvres au camp de CHALONS. Il y prend la fonction d’officier instructeur d'équitation.

Dans cette ville, il semble s'être enfin mis à apprécier les sorties en société. Il ne rate plus un bal de la garnison !  « nous allons patiner, c'est la grande distraction de la société de Châlons, nous avons un endroit magnifique, tout le monde y va, on dit que c'est très gai. (…)Ce soir, nous avons une grande soirée à la recette, il y a beaucoup de monde, les salons sont très beaux et très grands, on s'y amuse beaucoup. La première fois on a dansé jusqu'à 6 heures du matin; d'ici au carême, nous aurons encore cinq ou six bals, chez le Préfet on doit rester jusqu'à huit heures du matin..
 Je n'ai pas encore manqué une seule soirée., je m'apprête pour celle d'aujourd'hui. »
(à sa mère, hiver 67-68)
Avec ce déménagement du régiment, Pol s’est aussi rapproché des ARDENNES, ce qui lui permet de se rendre plus souvent près du CHESNE et à CHARLEVILLE. Le capitaine Louis de MORETON de CHABRILLAN, qui sera bientôt son commandant d’escadron et qu’il apprécie beaucoup, est aussi de la région et l'y invite à des parties de chasse.
 

Capitaine de CHABRILLAN

 

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Le 2 mars 1869, le 1er Chasseurs reçoit son ordre de départ pour l’ALGERIE. Pol est ravi, car il aime ce pays. Il est toutefois un peu pris au dépourvu: ayant longtemps été de service, il n'a pu se libérer pour aller dire adieu aux siens et n'a pu non plus se rendre à PARIS acheter les effets de campement nécessaires pour la campagne. Il a heureusement la seule chose qui lui est absolument indispensable: un STAPP, son fusil de chasse.

Le régiment au complet embarque donc à TOULON à destination de l’ALGERIE. La traversée TOULON-ORAN est mouvementée; les journaux ont même un temps annoncé la disparition du « VAR » qui les transporte. En raison du mauvais temps et des vents contraires, ils mettent en effet 12 jours pour faire la traversée, avec deux escales forcées à ROZAS et IBIZA.

A l'arrivée, petite déception, le 1er Chasseurs ne rejoint pas son anciene garnison de MOSTAGHANEM, mais est dirigé sur SIDI BEL ABBES, dans l'intérieur, où s’installe son dépôt. Faute de places dans les hôtels, les officiers sont obligés dans un premier temps de se débrouiller au mieux. Au bout de quelques mois, comme les autres, Pol trouve une chambre en ville chez l’habitant, de « braves gens » qui sont probablement des pieds-noirs. La garnison de BEL ABBES semble agréable, cependant les distractions y sont manifestement limitées alors que la  période est par ailleurs très calme et ne comporte pas pour le régiment d’expéditions dans le Bled.
Pol retrouve dans cette ville un camarade du collège d'AVON, le capitaine de BOISDEFFRE, qui est officier d'état-major du Général CHANZY commandant la subdivision de SIDI BEL ABBES ( il s’agit de Raoul François Charles de BOISDEFFRE, brillant saint-cyrien qui sera plus tard nommé Chef d’état-major général de l’ Armée française en 1893).

Comme les autres officiers semble-t-il, Pol se plaint de son chef de corps, le colonel GERARD, qui fait regretter à tous le colonel de BERNIS son prédécesseur:  «un homme méchant, tracassier surtout, qui est continuellement sur notre dos, ne trouve jamais rien de bien: à toutes les manœuvres il faut que chaque officier, tantôt l'un, tantôt l'autre, supporte sa mauvaise humeur, j'ai eu ma part mais comme j'ai été un peu raide avec lui je crois qu'il me laissera tranquille. » (lettre à sa mère du 1er juin 1869)
 
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Comme à chacun des ses séjours en AFRIQUE DU NORD, Pol se laisse de nouveau pousser la barbe afin de se prémunir des coups de soleil.
Peu de temps après son arrivée en Algérie, il a récupéré dans son peloton, le jeune beau-frère de Gabriel de RANCOURT, Henri de VILLEBONNE, qui est venu s’engager le 5 mai 1869 à la mairie de SIDI-BEL-ABBES. Au cours du mois d'août, il a malheureusement la tâche de lui annoncer la mort de sa sœur Delphine, la jeune femme de RANCOURT. Ce mois là, Pol perd aussi son oncle Alexis de WACQUANT dont la disparition provoque la vente si souvent repoussée jusque là de MELIME.

En dehors des opérations menées contre les tribus du MAROC de mars à mai (affaires de l'Oued-Guir et d'Aïn-Chaïr) le régiment mène une vie de garnison tranquille: « nous avons ici un très beau cercle où viennent tous les officiers et les employés du gouvernement; notre jardin est très grand, de jolies fleurs, de beaux arbres. Deux fois par semaine nous avons la musique d'infanterie de 8 heures à 9 heures du soir: tout est illuminé avec des lanternes vénitiennes, les femmes des officiers et autres s'y donnent rendez-vous, c'est très joli et très gai. » (lettre à sa mère du 1er juin 1869); mais l’occupation principale de Pol est bien sûr toujours la chasse.

Du 20 août au 20 septembre, il est détaché avec son peloton à BOU KANIFIS, à 18 km de SIDI-BEL-ABBES. C’est un détachement agréable car la zone est appelée « le parc » par les indigènes et « le pays aux perdreaux » par les chasseurs. Par ailleurs, le chef de poste, un capitaine d’infanterie, et le curé sont tous deux d’un commerce agréable. Pol chasse tous les jours et reçoit de nombreuses visites d’ officiers de SIDI-BEL-ABBES qui viennent pour déjeuner et surtout pour chasser. L’ordinaire de ses hommes est ainsi fait de gibier, plus souvent que de coutume.

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En septembre 1869, le 4ème escadron est envoyé à GERYVILLE, une colonie austère située dans les montagnes à 1400m d’altitude. Pol y retrouve le Capitaine Gustave MARE, qu’il a connu enfant à VERDUN et qui sert au Régiment de Légion Etrangère.

Ce séjour ne l’enchante guère et il porte un avis assez sévère sur cette garnison mais aussi sur le rôle et l’emploi de l’armée en Algérie:
« Nous sommes ici 18 cents ou deux mille, soit disant pour protéger le Tell, c’est une infâme plaisanterie ; ce poste coûte horriblement cher et n’est tout simplement qu’une boite à épaulettes. De temps en temps on fait quelques tournées insignifiantes cherchant un ennemi qui n’existe pas, on rentre bien éreinté, sans avoir tiré un coup de fusil, puis on fait un rapport splendide qui fait mousser le chef de la colonne et la farce est jouée.» (lettre à sa mère du 1er novembre 1869).
Heureusement, il découvre très vite de nouvelles opportunités pour faire des parties de chasse et inaugurer le fusil LEFAUCHEUX qu’il vient de s’offrir, ce qui lui permet de s’accommoder au mieux de ce séjour.

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A cette époque, sa mère et ses sœurs aimeraient bien le marier et songent, semble-t-il, à l’une de ses cousines, Aline de FALLOIS. Il n’est pas tout à fait d’accord : « Pourquoi donc, ma bonne mère, m’as-tu caché tes espérances au sujet d’Aline : il est vrai que mon séjour à Somme Dieu m’avait été très agréable (SOMMEDIEUE se trouve à quelques kilomètres au sud de VERDUN. Les FALLOIS y avaient en effet une propriété à la sortie du village et l’on peut encore voir la tombe d’Aline, juste à droite en entrant dans le cimetière.), j’avais trouvé ma cousine charmante et mon cœur s’en était ressenti. Mais je n’avais jamais voulu en parler, je n’ai même jamais eu aucun espoir. Alix m’en parle dans sa dernière lettre et me demande ce que j’en pense. Non seulement je ne songe pas à Aline, mais encore moins au mariage que je considère comme impossible dans ma position. Pas de fortune, une position peu brillante, un avenir moins brillant encore, quelle est la femme qui voudrait accepter ça?» (lettre à sa mère du 16 décembre 1869).
 
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En avril et mai 1870, le 1er chasseurs part en colonne sous les ordres du général de WIMPPFEN et participe à quelques engagements contre des tribus arabes à EL BAARIATH et AIN CHAIR. Après un bref séjour à MAGENTA, il regagne SIDI-BEL-ABBES le 30 mai.

Le 20 août 1870, ordre est donné au régiment de former quatre escadrons forts de 120 chevaux et 140 hommes, et de s'embarquer pour la FRANCE. Les escadrons désignés sont, les ler, 4e, 5e et 6e, capitaines ROUYER, d'YVOLEY, d'ANSELME et de LASSAUSAY.
Le 28 août, le régiment quitte SIDI-BEL-ABBES ; il campe, le même jour, à l'OUED-IMBERT. Le 29, à SAINTE-BARBE du TLELAT. Le 30, il est rendu à ORAN où il rend ses fusils destinés à être remplacés, en FRANCE, par le fusil Chassepot, modèle de cavalerie. Le 1er septembre, les 1er et 4e escadrons, sous les ordres du colonel GERARD, du lieutenant-colonel de FENELON et du commandant CHARDIGNY, s'embarquent sur « l’EURE »pour rejoindre la métropole. Pol est alors toujours Sous-lieutenant au 4e escadron commandé par le capitaine d’YVOLEY.
 
                                                        
CNE d'IVOLEY

LTN d'AUBIGNY

 
 
 
Les escadrons débarquent à TOULON le 4 et gagnent PARIS en chemin de fer. Le 15 septembre, Pol est au polygone de VINCENNES où le régiment cantonne et d’où il parvient à écrire à Fanny.

Les hostilités contre l’ALLEMAGNE durent en effet depuis le mois de juillet, la FRANCE ayant déclaré la guerre le 19. Le régiment, qui a terminé de débarquer le 6 septembre, arrive cependant assez tardivement dans la campagne: l’Empereur a capitulé à SEDAN avec une partie de son armée le 2 septembre; le général BAZAINE est encerclé avec l’autre armée à METZ; un Gouvernement de la Défense Nationale a été formé à PARIS après la proclamation de la III° République le 4 septembre; une armée se reconstitue sur la LOIRE.

Le 1er Chasseurs est affecté à la défense de la capitale et ne participe donc qu'à quelques actions de faible importance dans la région de PARIS. Sans être engagé dans une bataille décisive, il est néanmoins érodé par des accrochages quotidiens et subit les terribles privations du siège de PARIS. Dirigé initialement sur MEAUX pour reconnaître les positions ennemies et retarder sa marche, le 1er chasseurs y surprend un détachement de hussards de WURTEMBERG. Le 17 septembre il mène des reconnaissances vers CRETEIL. Le 30, il se porte sur MAISON-ALFORT où il est mis en réserve. Le 24 octobre, le régiment mène des reconnaissances dans le secteur de NOGENT où il est engagé face à l’ennemi dont l’étau se resserre. Peu à peu, PARIS est encerclé et assiégé, il n’est plus utile de conduire des reconnaissances et les pelotons sont régulièrement employés comme escorte auprès des généraux.

Le 27 janvier 1871, Pol est promu au grade de Lieutenant.

Le 29 janvier, par suite des conventions d’armistice, le 1er Chasseurs est déclaré prisonnier de guerre. Il rentre dans PARIS, bivouaque sur le COURS-LA-REINE puis les 1er et 4ème escadrons s’installent au Palais de l’Industrie, les 2 autres rue ABATTUCI. Officiers, hommes et chevaux font désormais l’objet d’un appel quotidien. Le 15 février ils sont désarmés. Le 26, en raison de l’entrée imminente des prussiens pour occuper PARIS, le régiment passe sur la rive gauche et cantonne à l’Ecole militaire.

Le 16 mars le régiment reverse ses chevaux au 9° chasseurs et s’apprête à rejoindre l’ALGERIE où, après la défaite de 1870 et la chute de l'Empire, des insurrections éclatent et relancent les opérations militaires.
Le 18 mars cependant éclate l’insurrection de la Commune. L’armée se retire à VERSAILLES dans la nuit du 18 au 19, mais le 1er chasseurs ne quitte la capitale que le 20 car, en raison de son impossibilité de sortir en corps constitué, chaque militaire du régiment doit rejoindre isolément VERSAILLES. Pol échappe donc au tragique épisode de la Commune. Le régiment, réduit à ses cadres et aux hommes qui ont rallié, gagne MOULINS le 23 mars où il se réorganise.
Le 17 mai les escadrons rembarquent enfin à MARSEILLE pour prendre la  direction d’ORAN à bord du « ZOUAVE », sous les ordres du colonel de SALIGNAC-FENELON qui commande le régiment depuis le 1er avril.

En cette période troublée, le manque de cadres fait que, malgré son grade subalterne, Pol se voit confier le commandement d’un escadron, le 6ème.
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Le sort du meilleur ami de Pol pendant ce conflit mérite d'être évoqué: mobilisé le 1er août 1870 au 73° Régiment de Garde Mobile du LOIRET et ISERE, Gabriel de RANCOURT est nommé Lieutenant-colonel le 23 octobre et prend le commandement du régiment. Il fait campagne en forêt d’ORLEANS du 1er au 30 septembre, à l’Armée de la LOIRE jusqu’au 11 décembre, puis à l’Armée de l’EST jusqu’au 30 janvier.

Le 15 janvier 1871, devant HERICOURT près de LURE, alors qu’il donne ses ordres, une balle prussienne l’atteint en pleine poitrine et le jette à bas de son cheval. Avec stupeur, les officiers qui l’entourent constatent qu’il est indemne, la balle ayant été miraculeusement déviée par le crucifix qu’il portait toujours sur la poitrine (ce crucifix est toujours conservé par la famille de RANCOURT). Dans la même journée, il sera encore touché au bras et au poignet.

Il est fait chevalier de la Légion d’Honneur à l’issue de la campagne.

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Le 23 mai 1871, le régiment est regroupé à SIDI-BEL-ABBES et se consacre dans un premier temps à des missions de reconnaissance et d’escorte de convois.

Du 22 octobre 1871 au 5 mars 1872, dans le cadre d’une expédition commandée par le lieutenant-colonel de LAMMERTZ, Pol parcourt en colonne le pays entre DJELFA et LAGHOUAT, MELILEKA, AÏN RICH (province de Constantine), MESSAOUD, METLIKI, HASSI-BERAGHOUI où il arrive le 6 février.

La colonne ne pouvant aller plus loin faute de vivres, un reconnaissance de cavalerie de 20 chasseurs et 20 spahis est envoyée vers GOLEAH où elle opère une razzia sur des troupeaux gardés par les Chambaas. En mars, la colonne s’installe à LAGHOUAT.

« Laghouat,  le 7 mars 1872       
Ma bonne mère,
Nous voici enfin au bout de notre longue excursion mais destinés à passer encore quelques mois ici. J’aurais cependant espéré qu’après un séjour de cinq mois sous la tente on nous enverrait nous reposer dans une ville un peu confortable. Ici nous sommes dans des baraques plus ou moins bien conservées n’ayant pour tout potage que les quatre murs. Je n’ai plus rien en fait d’effets d’habillement, pas une chaussure à me mettre au pied ; il faut que je fasse venir une partie de ce que j’ai laissé à Milianah.
Je suis fatigué, je l’avoue, mais je me porte très bien : nous avons encore deux mois avant les grandes chaleurs, après cela il sera impossible de mettre le nez dehors dans la journée. Depuis la fin de Janvier je n’ai pas reçu une seule lettre de vous, pas un seul paquet du régiment.
A la suite de cette colonne  j’ai été porté pour chevalier de la légion d’honneur ; j’espère cette fois que la proposition réussira et ce serait d’ici peu de temps.
Le docteur de la colonne a envoyé à l’Illustration  plusieurs croquis du pays que nous avons parcouru ; un entre autres représente notre entrée à Ghardaïa, j’ai l’honneur d’y figurer dans la légende comme commandant de la cavalerie. On dirait une entrée dans une ville prise d’assaut ce qui est complètement faux car nous y avons été très bien reçus. Vous pourrez vous procurer ces numéros au bureau du journal, ils ont dû paraître dans la deuxième quinzaine de février.
Le courrier doit arriver ce soir. J’espère y trouver une lettre de La Volve ; tu ne saurais croire, ma bonne mère, combien il m’a été pénible de rester si longtemps sans un mot de vous. J’attends de longues lettres avec la plus grande impatience.
J’ai à travailler toute la journée, mon courrier de service  va être très long. Je suis obligé de vous quitter.
Au revoir ma bonne mère, je vous aime et je vous embrasse de tout cœur. »


L’article  qui suit, cité par Pol et retrouvé dans « L’Illustration », nous permet de compléter cette lettre avec un témoignage concret de cette campagne:


  "   Les meilleures nouvelles nous parviennent d'Algérie; dans nos trois provinces africaines, le calme se rétablissait rapidement, et la réorganisation était à peu près partout terminée vers la fin de janvier.
    Plusieurs colonnes expéditionnaires opéraient simultanément, et avec un égal succès, dans les trois provinces: la colonne du général de Lacroix, dans la province de Constantine; la colonne mobile de Géryville, dans la province d'Oran; enfin, dans la province d'Alger, la colonne mobile de Metlili.
    C'est à la marche de cette dernière colonne, commandée par le lieutenant-colonel de Lammerz, du 42° de ligne, que se rapporte le dessin que nous publions aujourd'hui.
    Cette colonne se composait d'un détachement du 50° de ligne, commandé par le capitaine Fontaine; du 3° bataillon du 1er régiment de tirailleurs algériens, commandé par le capitaine Moullé; de la 3° section (de montagne) de la 7° batterie du 3° régiment d'artillerie, commandée par le sous-lieutenant Jolibois; du 6° escadron du 1er régiment de chasseurs de France, commandé par le lieutenant de Surirey ; d'une division du 4° escadron de spahis, commandée par le sous-lieutenant Dommengé, enfin d'un goum des l'Arbaa et des Oulad-Naïl.
    Le sous-lieutenant Juhel, du 1er spahis, était chef d'état-major de la colonne qu'accompagnait le docteur Bertelé, médecin aide-major de première classe au 1er de tirailleurs algériens, à l'obligeance duquel nous devons le croquis que reproduit notre dessin.
    La colonne de Lammerz, après avoir opéré durant près de trois mois chez les Ouled-Naïd, avait reçu la mission de parcourir le Mzab et de se diriger vers Metlili et Coléah, afin de fermer la route du Touat aux rebelles qui voudraient s'y réfugier, et de les poursuivre dans la direction de Goléa, des Chambaa-el-Mahdi.
    C'est ainsi que, le 24 janvier, elle arrivait devant Ghardaïa, ville principale de la confédération de l'Ouad-Mzab;
    Notre dessin représente le lieutenant-colonel de Lammerz recevant les Djémas de l'Ouad-Mzab, au moment où la colonne s'apprête à traverser Ghardaïa. Toute la population s'est groupée le long des murs d'enceinte. Au-dessus de la porte de la ville, et encadrée dans une des ouvertures qui la surmontent, apparaît la tête d'un crieur public, prêt à remplir son office. Pendant ce temps, un peu à l'écart, un tam-tam de nègres, une derdeba frappe éperdument l'air de ses sons nazillards et sourds…

C.P."

***
 
 A l’issue des opérations de pacification, l’escadron de Pol s’installe pour près de 6 mois à LAGHOUAT. Le séjour se fait dans des conditions assez rustiques, car c’est une petite bourgade du bled où il fait par ailleurs entre 40 et 45 degrés en été.

Voici un aperçu de ses préoccupations du moment :
« Depuis mon arrivée ici j’ai eu beaucoup à faire pour remettre mon escadron en ordre et je n’y suis pas encore arrivé.. La gestion d’un escadron en campagne est chose, je ne dirai pas difficile, mais qui demande une surveillance de tous les instants ; je suis responsable d’un  matériel de plus de 1500 francs , je suis responsable de toutes les perceptions en vivres et fourrage, il faut la plus grande attention pour ne pas se fourrer dedans et jusqu’ici je m’en suis tiré très convenablement. Depuis huit jours la correspondance que j’entretiens avec mon colonel, les états que j’ai à fournir et que je suis obligé de vérifier très exactement, n’ayant pas grande confiance dans mon MdL Chef, tout cela me prend une partie de la journée. Aujourd’hui courrier ; j’ai plus de 20 pièces sérieuses à fournir. » (lettre à Fanny du 15 mars 1872)

Pol est promu chevalier de la légion d’honneur à l’issue de cette campagne, le 20 juin 1872.
 

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En septembre 1872, Pol tombe malade, ce qui lui vaut un séjour d’un mois à l’hôpital.

Au cours de l’hiver 72-73, il peut prendre une permission et rentrer en France pour un séjour à LA VOLVE.

Le 28 novembre 1872, son ami Gabriel de RANCOURT se remarie enfin : il épouse Cécile de L’ETOILE dont il aura 8 enfants.
 
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Le 6 octobre 1873, en exécution de la nouvelle loi sur l’organisation de l’armée, le 3°escadron du 1er Régiment de Chasseurs est désigné pour participer à la constitution du 11°Régiment de Hussards en formation à SIDI BEL ABBES. Dans l’immédiat, Pol n’est pas concerné, mais il y sera affecté au printemps suivant.
 Le 19 octobre , Pol est de nouveau en permissions  à LA VOLVE; sa sœur Fanny le trouve « extrêmement changé » et « fatigué ».  Il repart de nouveau pour l’ALGERIE le 14 décembre.

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En février 1874, il est promu capitaine et rejoint en mars le 11° Régiment de Hussards où il est affecté.

Il y accueille peu après son neveu Henry du GUET qui vient s’engager dans son régiment.

Pol va rester en ALGERIE avec le 11° Hussards jusqu’au 24 mai 1875, mais peut néanmoins bénéficier de permissions pour rentrer en métropole pendant l’été 1874.


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