Mardi 29 août.
J’ai eu bien des combats intérieurs depuis les dernières lignes que j’ai écrites. Avant d’en parler je dirai que l’Impératrice est revenue de Kissingen le 12 accompagnée de l’Empereur et que ma petite Archiduchesse les a attendus avec beaucoup de joie et de gaieté, quoique l’heure de son coucher fût passée depuis longtemps. Nous avons surmonté sa manie d’exactitude, les longues promenades en été ont aidé à ce progrès et je me propose de ne pas la tenir à une heure fixe pendant cet hiver, autrement elle retomberait dans le vieux péché.
J’en viens à ma personne, sujet bien ennuyeux quand la santé en est le motif. Les bains de sel dont Standhartner s’était promis monts et merveilles n’opérant pas leur effet, j’ai parlé sérieusement à Wiederhofer et lui ai dit que j’étais décidée à demander un congé et à aller au bain de mer s’il le jugeait nécessaire. Sur ce il m’a demandé de s’assurer positivement de ce qui est souffrance chez moi, il a reconnu qu’aucun des organes n’est attaqué mais que je souffre d’un rhumatisme chronique et que je dois essayer encore ici d’un nouveau traitement. Me voici donc aux bains de Moor, à la viande blanche, peu de vin, peu de bière, dans une quinzaine on verra s’il y a amélioration ou non dans mon état. Dans ce dernier cas, il faudrait essayer d’autre chose, des bains de Baden , par exemple. Ceci me contrarierait fort, à cause de mon congé de l’année prochaine. Dieu veuille donc me prendre en pitié et permettre que je n’aie pas encore à tenter un autre traitement !
Pendant toutes ces incertitudes, je souffrais encore d’autres ennuis : sans le vouloir, j’avais blessé mon amie… Nous eûmes là dessus une explication qui me prouva combien elle est susceptible et moins résignée à sa position subalterne qu’elle ne se l’était imaginé. Je conçois que ce soit une abnégation très pénible ; mais, une fois acceptée volontairement, il n’y a plus qu’à s’y soumettre de bonne grâce et vraiment j’avais cru dans mon âme et conscience mettre toute la délicatesse possible dans nos rapports elle me reproche de ne manquer de tact qu’envers elle… Ceci m’a fait de la peine ! Il y a de ces mille et une petites piqûres qu’il est si difficile d’accepter sans faire semblant de les remarquer. Jusqu’ici j’ai eu de la patience, mais un jour ne m’échappera-t-elle pas ? Dieu donne que non, car alors la paix serait troublée pour toujours et non seulement nous souffririons toutes les deux, mais ce serait d’une mauvaise influence sur l’enfant qui remarque tout.
Je suis bien dans l’attente d’une lettre de Pol qui doit m’annoncer si ses vœux sont comblés ou non. Il aspire à entrer à Saumur afin de hâter son avancement – il a les plus belles promesses ; mais ne lui fera-t-on d’impasse ? Je tremble, parce que depuis le 21 que l’inspection a dû avoir lieu, il me semble qu’un bonne nouvelle me serait déjà parvenue. Une désillusion pour ce pauvre garçon qui n’aspire qu’à travailler et à sortir de cette position de sous-officier serait chose par trop cruelle et décourageante. Combien notre pauvre mère en souffrirait !…Mon oncle de Wacquant est infiniment mieux de santé, va et vient, peut faire d’assez longues promenades sans fatigue, en un mot reprend de son activité, et cela grâce à un traitement que lui a recommandé un de ses amis. Je suis heureuse avec maman de ce changement inespéré et ne saurais trop en remercier Celui qui peut tout.
Schönbrunn 29 septembre 1865.
Un mois entier sans écrire ! Cela est impardonnable…Ma santé est la cause de cette négligence ; le plus souvent je suis fatiguée et quand le soir arrive, moment où je serais vraiment tranquille pour écrire, je n’aspire plus qu’au repos. Depuis que je n’ai écrit, Löschner a été nommé 1ermédecin des Majestés et le nôtre de droit par conséquent. Wiederhofer, médecin des Altesses. Tout s’est donc arrangé pour le mieux, chacun est content et je le suis aussi de pouvoir me confier aux soins d’un homme dans lequel j’ai vraiment confiance et dont la science est si reconnue. Il me semble qu’il est du même avis que Wiederhofer et le hofrath Fischer que j’ai encore consulté le 15 de ce mois à Ischl. Ce qu’il y a de certain c’est que tous deux me promettent une guérison certaine. Dieu en soit mille fois bénit !..
Le 20 à 8 heures du matin nous avons quitté ce délicieux Ischl qui me semble encore plus ravissant depuis que je n’en jouis plus. Parmi tout ce que je regrette le bon curé occupe une grande place. Je sens qu’il m’a fait tant de bien, que je désire vivement pouvoir me remettre dans sa direction bienfaisante. Je disais donc qu’à 8 heures du matin, par un temps admirable, nous quittions ce petit paradis. Le Kronprinz et Latour nous accompagnaient. Arrivés à Gmunden nous conduisions tout de suite les petites Altesses chez l’Archiduchesse Elisabeth pendant que Sa Majesté se rendait chez une princesse de Prusse, visite après laquelle elle vint rejoindre ses enfants. Je vis là cette pauvre Mme d’Amarzit qui me fait d’autant plus de peine qu’elle me semble sous une mauvaise influence, prêtant l’oreille à des rapports très exagérés probablement, et par là diminuant ce courage dont elle aurait si bien(sic) pour se faire à une position si nouvelle et en pays étranger ! Qu’elle a tort de ne pas vouloir apprendre l’allemand !Vers 11h. nous allâmes prendre le train, et là eut lieu la séparation des enfants. Le bon petit Prince faisait tous se efforts pour retenir ses larmes, il était tout pâle et Latour aussi ému que lui. Je le crois un excellent homme, de plus il me témoigne une confiance qui me flatte. A notre dernière promenade, le 19, au bord de la Traun, de Laufen à Weissenbach, il m’a raconté que le jour même l’Impératrice lui avait fait part que les choses resteraient ce qu’elles sont pour cet hiver et avait ajouté en même temps une phrase très obligeante à son égard. Que va-t-on faire de Gondrecourt ? Reviendra-t-il ensuite et dans ce cas que deviendra Latour ? Enigmes que le temps seul résoudra.
Schönbrunn me fait une impression très triste, la vie y est monotone au possible !Je regrette nos dîners d’Ischl où nous avons tant et si bien ri…Peut-être sera-ce mieux ici quand nous y serons au complet.
Mardi 10 octobre 1865.
Hier j’ai conduit la Ctesse Marie Tige au couvent de la Visitation où j’ai eu le bonheur de passer une heure avec sœur Marie Michel ! La réception était si joyeuse qu’elle m’a fait du bien mais plus encore notre bon entretien. Comme elle aime Dieu de toute son âme et que je l’envie ! Elle m’a donnée les prières consacrées à la garde d’honneur et m’a bien fortement engagée à m’habituer à cette pratique, m’assurant qu’on en retire les meilleurs fruits. Je ferai mon possible pour ne pas l’oublier à 1 heure, la réunissant à ce "illisible" que m’a conseillé le bon curé d’Ischl et qui me ferait avancer, j’en suis sûre. Marie Michel m’a aussi recommandé l’oraison comme le meilleur moyen de progresser… J’y ai si peu de disposition ! Il est bien vrai que plus une chose coûte plus elle est méritoire – je veux donc y arriver. Quant aux conseils que m’a donnée cette bonne sœur concernant notre chère petite dame, je ne veux pas les oublier : ce sont l’examen de conscience chaque soir, l’association au Sacré Cœur de Jésus, puis de tâcher de porter son cœur vers l’oraison. Seulement toutes ces pieuses pratiques ne peuvent encore prendre place , vu son jeune âge, il faut savoir attendre encore, et en attendant, ne cesser de demander les lumières de l’Esprit Saint pour la conduite de cette éducation.
Hier matin, j’ai demandé au Dr Löschner de me dire franchement quand il croit que je serai guérie de ce malaise général que j’éprouve depuis la fin d’août 1864. Il m’a répondu que ce ne serait pas avant un an et après avoir pris un bain de mer, donc patience, courage, et entière résignation à la volonté divine. Cette nuit j’ai essayé des compresses froides (et enveloppements de toile cirée) recommandées par le hofrath Fischer et Wiederhofer. Elle m’ont fait passer une nuit très pénible et tellement agitée que le Dr Löschner me permet de les laisser là. Grâce à Dieu j’ai repris le sommeil et c’est pour moi le premier des biens ! Je ne dois rien faire pour l’empêcher. Combien je suis satisfaite de cette décision !
Dimanche 22 octobre 1865.
Samedi 14, le cher petit Prince nous est revenu en bonne santé. La joie du revoir était complète de part et d’autre. Dimanche l’Archiduchesse a donné à son frère ; nous nous retrouvions donc comme à Ischl, chacun en paraissait content. Depuis il est décidé que dimanches et fêtes nous nous traiterons tour à tour , ce qui fait grand plaisir aux enfants. Combien j’ai pensé aux Sternberg le 15, jour de fête de leur bonne mère et de la mienne ! ! ! Je sais qu’elle ne l’ont pas plus oubliée que ma nièce, qu’elles ont bu à leur santé – ce souvenir m’est une preuve de plus de la sincérité de leur affection.
Le 18 a eu lieu l’inauguration de la statue d’Eugène de Savoie. Le temps était magnifique et a bien favorisé la fête. Ne sachant où me placer, je m’en suis tenue aux dames de notre Cour. Peut-être ai-je blessée les autres en passant devant elles ; mais, après tout, qu’aurais-je dû faire ? Ma position est difficile parce qu’elle n’est pas tranchée : si je me faisais présenter aux dames d’honneur des autres Cours elles pourraient trouver que c’est présomptueux de ma part ; en n’étant pas présentée, elle ne savent si elles veulent me regarder ou non ; je me tiens donc neutre, et je crois que c’est le plus sage. J’ai mieux supporté cette représentation que je ne l’espérais, quoique mes jambes soient toujours bien mauvaises. Ceci m’a donné du courage, le Bon Dieu ne m’abandonnera pas, j’en ai la confiance !..
Le 17, Julie Hoyos s’est mariée au Prince Philippe Orsini. On raconte qu’elle ne paraissait nullement émue, ce qui me paraît incompréhensible. Elle va quitter sa mère cependant, son pays,…sans doute elle aime beaucoup son mari. Dieu veuille qu’elle soit bienheureuse ! Le Cte Gondrecourt a sa démission de grand maître du Kronprinz. L’Empereur lui a donné une brigade et un régiment – c’était lui dorer magnifiquement la pilule. D’après ce que disent les petites Altesses, Latour va devenir colonel, ce qui me ferait grand plaisir pour lui. Il a vraiment mérité cet avancement par tout ce qu’il a fait pour l’enfant depuis qu’il est placé auprès de lui. Hier j’ai parlé longuement avec l’Impératrice ; j’avais une masse de choses à lui demander ; mais ce qui me tenait surtout à cœur c’était de savoir ce que désiraient les Majestés au sujet de la Bonne Welden, qui va passer l’hiver à Vienne. Donc, voici ce qui est arrêté : que chaque dimanche, mais jamais dans la semaine, nous lui donnerons une heure pour voir l’Archiduchesse, et que nous l’inviterons quelquefois à dîner, mais non chaque fois, Sa Majesté trouvant que ce serait trop. En général, ni l’Empereur ni l’Impératrice , ne veulent qu’elle reprenne la moindre influence ; Sa Majesté m’a dit : " Si nous avions trouvé qu’elle élevât bien Gisela, elle serait encore là " J’ai promis de faire mon possible pour ne pas blesser cette pauvre femme ; si elle y met du tact, la chose sera facile ; si au contraire il faut lui faire comprendre que sa position a changé, la tâche sera pénible pour moi.
Novembre.1865
Depuis que j’ai écrit ces dernières lignes j’ai vraiment lieu de douter ou pour mieux dire je ne puis plus douter que la Welden manque complètement de tact. Je prévois bien des ennuis à son égard et je crains que ces dames, qui semblent cependant comprendre qu’elle ne peut être aussi souvent ici, ne me donnent cependant tort quand je serai forcée de le lui faire comprendre sans aucun voile. Ainsi est le monde, je ne m’attends donc pas à quelque chose de particulier.
Depuis plusieurs jours mes jambes me font tant souffrir que cela me donne sur les nerfs, empêche le sommeil et me met dans un état qui me donne bien à craindre pour l’avenir. Etre malade ici, et par conséquent empêchée de remplir ma tâche, serait encore plus pénible que partout ailleurs ! ! ! Encore si ma pauvre Caroline était plus robuste ; mais elle aussi est très souvent souffrante et ce m’est un supplice que de la surcharger ainsi !..
Fanny est contrariée que je ne me remette pas aux soins de la Ctesse de Guéroult, qui, dit-on, fait de superbes cures homéopathiques. Si j’étais libre de ma personne, et à Paris ou au moins rapprochée de cette dame, j’essaierais avec grand plaisir ; mais dans les conditions où je me trouve, la chose est réellement impossible. Je voudrais que ma sœur le comprît et ne m’accusât pas d’entêtement ; ce qu’elle fait intérieurement, j’en suis sûre, parce que de là-bas il lui est interdit de juger les choses telles qu’elles sont.
Jeudi, l’Impératrice m’a fait dire de monter après le dîner pour entendre un petit concert de plusieurs instruments et particulièrement de cithare.. Etait-ce pour me faire une politesse ou simplement pour que l’Archiduchesse n’entrât pas seule au salon ? C’est ce que je ne sais pas – mais ce qu’il y a de certain c’est que j’étais bien heureuse au retour tant je me sentais mal à l’aise. Je ne puis dire que cette distraction ne m’ait pas fait de bien ; je crois que si ma vie était moins monotone, sans fatigue cependant, cela me ferait du bien.
29 novembre 1865. Schönbrunn.
Hier mon cœur a joui d’un bonheur inattendu et depuis bien longtemps désiré, celui d’être présentée à notre Roi !..
Dans la crainte que ma mémoire devienne un jour infidèle, je veux relater les moindres circonstances d’un jour qui fera époque dans ma vie et pour lequel je serai toujours reconnaissante à l’Empereur et à l’Impératrice. Le matin, vers la fin de la leçon du Schulrath, Sa Majesté me fit appeler pendant qu’elle posait pour un comte polonais qui modèle son buste. L’Impératrice me dit que l’Archiduchesse devait venir au salon à 7 heures et ajoute : " Vous viendrez aussi n’est-ce pas ? Le comte de Chambord y sera " Lorsque Sa Majesté vient de parler longtemps hongrois (sa lectrice hongroise était près d’elle) elle éprouve de la gêne à s’exprimer en français, si bien que je ne compris pas " comte de Chambord " mais Schönbrunn. J'eus l’instinct de remercier, mais simplement pour l’invitation, n’ayant pas saisi combien il y avait de délicatesse dans ce procédé. Ce ne fut qu’après la leçon, qu’en causant avec l’Archiduchesse, j’appris quels étaient les hôtes du soir et quel bonheur m’attendait. J’en fus émue, saisie à l’excès. Justement hier j’avais eu une très mauvaise nuit, mes jambes me faisaient mal à ne pas me tenir debout, cependant je ne me laissai pas décourager et bien m’en pris (sic). J’envoyai bien vite Anna à Vienne pour y chercher la robe de moire bleue que m’a donnée Fanny et qui avait été finie deux jours avant, je fis faire un bonnet avec des fleurs mêlées et pour que je fusse plus en forces, ma bonne Caroline se chargea entièrement de l’Archiduchesse et je n’eus qu’à me reposer. Un peu avant 7 heures nous fûmes appelées. Tout le monde était en cercle, et dans le premier moment je ne reconnu que nos Majestés et la Reine. Je cherchais vainement mon Roi lorsqu’après m’être placée près de la Ctesse Hunyady, qui m’avait fait un signe d’appel, elle me dit : " Votre Roi est près de vous ". En effet , à ma droite se trouvait Sa Majesté, s’entretenant avec le grand-duc de Toscane. Peu après, l’Impératrice se dirigea vers moi avec la Reine dont je compris à peine la première phrase. Je ne savais pas qu’elle fût sourde et ne l’appris qu’ensuite. Pendant ce temps l’Empereur et l’Impératrice faisaient leur cercle, et je voyais la fin approcher sans que mes voeux fussent comblés. La CtesseKönigsegg comprenait mon tourment, nous nous faisions des signes d’intelligence. Enfin Henri V s’approcha d’elle et elle voulut bien en profiter pour lui demander la permission de me présenter. Je suivais cette scène dans ses moindres détails, je vis qu’il acceptait avec empressement, et j’allai à sa rencontre. Ce fut un moment que je ne puis décrire ! Je pus lui dire combien il y avait de temps que j’aspirais à ce bonheur, que c’étaient les regrets et les vœux de toute une famille que je mettais à ses pieds. J’eus l’occasion de lui nommer mon oncle de Wacquant qu’il s’est très bien rappelé. "C’est un très bon royaliste que celui-là !" me dit-il, à quoi je répondis : "Majesté, nous le sommes tous de corps et d’âme !" Il s’informa si mon oncle habite toujours les Ardennes, me parla du plaisir qu’il aurait à le revoir, et me demanda de lui dire mille jolies choses de sa part quand je lui écrirais. Il m’adressa aussi quelques questions tout à fait personnelles, me demanda depuis combien de temps j’étais en Autriche, quand j’avais été à Paris pour la dernière fois, quand j’y retournerais – que ce ne serait sans doute pas pour y rester encore, me parla de Mlle d’Amarzit qui lui semble le poisson sans eau de sa vivacité juvénile. Puis enfin il s’éloigna, me laissant sous un charme complet et bien, oh bien heureuse ! !…
Le cercle avait duré 25 minutes à peu près. En montant au salon je ne savais comment je me tiendrais, tant j’avais été souffrante la nuit et toute la journée. Dieu m’aida encore dans cette occasion, courage donc ; résignation et patience.
Aujourd’hui, 2 décembre, je ne me sens pas mieux, je suis prise des pieds à la tête et pourtant je voudrais entrer en ville pour me confesser, tant je sens le besoin de me fortifier, de trouver le seul remède qui m’aide à supporter ce triste état.
Mardi 12 décembre 1865.
Ce matin vers 8 heures, l’Empereur est parti pour Pest afin d’ y ouvrir le Landtag. Dieu veuille que les Hongrois soient enfin raisonnables dans leurs prétentions et que tout aille pour le mieux ! Je demande à Dieu d’éclairer ce pauvre monarque et de lui donner la force nécessaire pour résister à tous les embarras qui pourraient surgir.
Jeudi 7, les Sternberg sont arrivés et j’ai pu m’y rendre dans le courant de l’après-midi. La Ctesse et ses chères filles sont ce qu’elles ont toujours été ; le comte de même, seulement il ne m’envoie pas ma pension, payable le 1er Novembre, et cela me gêne à cause de ma mère et de mon beau-frère auquel je voudrais payer l’équipement de Pol. La réduction de l’armée en France donne des craintes à ce pauvre ami à cause de son avancement. Je ne veux pas m’en inquiéter à l’avance, Dieu arrangera tout pour le mieux.
Mercredi 21.
Encore un départ : l’Impératrice est allée à Munich pour y consulter Fischer qui ne peut s’éloigner à cause de la femme du Prince Charles, qui attend ses couches. Sa Majesté est enflée depuis 10 ou 12 jours et souffre du cou. Elle a d’abord attribué le mal à une dent de sagesse qui pousserait ; maintenant elle croit qu ’elle devient hydropique, son imagination s’est montée au point que ni Löschner ni la Ctesse Königsegg n’ont pu la calmer et qu’à peine l ‘Empereur parti, elle s’est décidée à se rendre aujourd’hui à Munich. Je ne sais quand notre souveraine nous sera rendue, cela dépendra de Fischer, sans doute.
Samedi nous entrons en ville ; ces messieurs n’ont plus la patience de rester ici, et au fond à quoi bon, puisque nous sommes libres ?
Lundi 23.
Il y a aujourd’hui 8 jours que nous nous sommes installés à Vienne. L’Archiduchesse a payé ce changement par un tout petit mal de gorge ; le petit Prince a été souffrant ; l’Empereur, qui est revenu le 21 matin, lui a trouvé très mauvaise mine. Depuis deux jours le temps est si magnifique qu’il peut sortir ; je suis sûre que cela lui fera le plus grand bien. L’Impératrice est encore à Munich où elle s’est refroidie deux fois et a gagné la colérine(sic), dit-on. Son absence occupe beaucoup le public, qui est moins que charitable ! J’ai vu avec regret qu’elle ne soit pas là pour recevoir notre excellent Empereur ; mais puisqu’elle est souffrante, personne ne peut lui en vouloir et je suis persuadée qu’elle en souffre la première.
Mercredi 3 janvier 1866.
Impossible d’écrire de tous ces jours-ci. Caroline a été très souffrante de la gorge ne peut même encore sortir, ce qui m’a donné plus d’occupation. Samedi soir 30, l’Impératrice est arrivée à 8h1/2 du soir . Elle paraissait bien heureuse de retrouver son mari et ses enfants. Je la trouve un peu maigrie et je sais qu’elle a encore en ce moment une petite rechute de l’indisposition de Munich.
Le 31 à 7h nous avons eu le Christbaum. Un commencement de migraine m’aurait portée à faire des excuses pour la fête, si Caroline avait pu y assister ; mais comme elle était trop souffrante pour cela, j’y suis allée et l’ai payé cher ensuite, quoiqu’au bout de 3/4h l’Archiduchesse Sophie, s’étant assise elle-même, eut la grâce de me faire prendre une chaise vide à ses côtés. Tout en lui parlant, je me sentais prise de malaises et je désirais vivement la fin de la fête. Après 8h, nous remontâmes, je me couchai à la hâte, je n’en pouvais plus, et il était grand temps que je fusse seule pour donner libre cours à mon mal de mer . Le lendemain, mes jambes pouvaient à peine me soutenir ; hier j’étais bien misérable encore et heureuse qu’un petit semblant de dérangement me permit de ne pas faire marcher l’Archiduchesse. En quelles tristes mains la pauvre enfant est tombée : mon amie et moi qui n’avons pas pour deus liards de santé, et qui en aurions besoin, au contraire ! Espérons que Dieu viendra enfin à notre secours si c’est sa volonté que nous restions chargées de la tâche.
Jeudi 4.
Hier mes enfants sont venues passer la soirée avec moi, c’est vraiment touchant l’affection qu’elles me témoignent ! Je me sentais bien mal à l’aise le soir et d’avoir causé m’a sans doute agitée ; le fait est que je n’ai pas fermé l’œil de la nuit et fait les rêves les plus sots. Il y a aujourd’hui 8 jours, c’est à dire le 28 décembre , que nous avions à conduire l’Archiduchesse chez les Creneville pour y assister à des comédies jouées par leur 3 fils. Pour moi ces représentations sont toujours un supplice, tant ma position est incertaine et l’aristocratie peu indulgente. J’ai cru agir avec tact et modestie en me bornant à accompagner mon auguste élève, sans qu’on puisse m’accuser de vouloir jouer un rôle ; et pas du tout, le Cte Pallfy m’a appris qu’on trouve que j’aurais dû me faire présenter et que, ne l’ayant pas fait, on n’avait pu approcher de l’Archiduchesse etc…etc…C’est vraiment la plus grande preuve de malveillance qu’on puisse donner car je connaissais au moins la bonne moitié de ces dames et pas une ne s’est approchée de Son Altesse ; mais toutes ont braqué sur elle leurs lorgnettes ce qui a rendu l’enfant encore plus embarrassée qu’à l’ordinaire et ne l’a pas fait paraître à son avantage, c’est bien certain. On s’est plu à la critiquer ensuite, le monde est si peu indulgent ! Comme j’aime à ne pas le voir ! ! La source de cette malveillance à mon égard ne m’est nullement impénétrable : l’aristocratie ne peut digérer que les Majestés n’aient pas donné de grande-maîtresse à l’Archiduchesse, et j’en suis l’innocente victime. Du reste, que je puisse remplir ma tâche en conscience, satisfaire les parents, qu’ai-je besoin de plus ? La santé, mon Dieu , c’est tout ce que je vous supplie en grâce de me rendre !
La Ctesse Königsegg , que Lili a eu la bonté de consulter pour moi à ce sujet , m’a fait dire de passer chez la Ctesse Créneville à laquelle je ne savais si je devais faire une visite ou non ; si je ne puis aller aujourd’hui, faute de forces, j’enverrai ma carte.
Jeudi 25 janvier. 1866
J’ai tant souffert de la tête depuis une dizaine de jours que je n’ai pu même relater la noce de Toni Gerstäcker qui a eu lieu un mercredi, 17 de ce mois. Ma pauvre Caroline a encore eu bien des agitations à ce propos ; et quoi qu’elle en soit arrivée au but de ses désirs, qui étaient de voir sa sœur mariée, je crois que l’absence de celle-ci lui laisse un grand vide. Je dis : je crois, car la pauvre fille ne me communique jamais, ou bien rarement, ce qui se passe dans son intérieur ! Je la suppose profondément malheureuse d’être ici – peut-être s’était-elle fait des illusions sur la position qu’elle occuperait ? Cependant je l’avais bien prévenue à l’avance de tout ce qui pourrait la froisser, et je fais mon possible pour qu’elle soit contente ; mais elle ne l’est pas, et se trouve une victime, je pense. Il est certain que sa santé contribue à cette triste disposition d’esprit. Comme moi, sans être malade, elle est presque constamment souffrante, découragée et par moments je la trouve aigrie, ce qui me désole ! Je ne puis lui parler comme je l’aurais fait autrefois, parce que de son côté elle ne peut me répondre avec la franchise qu’elle aurait eue lorsque nous étions indépendante l’une de l’autre. Il faut donc que j’ignore toujours, que je sois insensible aux allusions, et ceci n’est pas toujours facile. Combien je demande à Dieu de lui rendre assez de santé pour qu’elle reprenne goût à la vie, car tout semble lui être devenu égal et cette indifférence me navre ! ! !Je ne puis lui dire : " si tu te sens si malheureuse, renonce à la position " parce que dans sa susceptibilité elle pourrait croire que je ne veux plus d’elle. Il ne me reste donc qu’à prier pour que la volonté de Dieu s’accomplisse en cela comme en tout le reste. Peut-être est-ce moi qui dois me retirer ? J’attends les lumières d’En Haut à cet égard, je n’oserais prendre une décision sans un motif puissant, qui me force à reconnaître la volonté céleste. de cette manière personne ne peut m’adresser de reproches.
Mardi 30 janvier.
Hier, vers 8 heures du matin, les Majestés sont parties pour Ofen (nom allemand de Buda) et nous reviendront je ne sais quand ! Ceci dépendra de la marche des affaires là-bas. Dieu donne que tout aille bien ! Nous avons appris, par un télégramme, que l’arrivée a été magnifique, le temps superbe, l’enthousiasme énorme – nous verrons si cette disposition d’esprit se soutiendra pendant les débats qui vont commencer .
Avant le départ, l’Empereur m’a dit encore une fois combien il était charmé des progrès de l’Archiduchesse. Sa Majesté avait assisté deux jours avant à une leçon du schulrath, avait choisi elle-même les questions sur lesquelles elle désirait que la petite altesse fût interrogée. Elle s’en est tirée à merveille, avec un aplomb qui nous a fait grand plaisir. Combien j’ai regretté que l’Impératrice ne fût pas présente ! Il me semble cependant que cela lui ferait tant de plaisir ! Mais on ne l’a pas habituée à s’occuper de ses enfants ; et malheureusement elle semble ne pas en sentir le besoin. C’est triste, car par là elle est privée d’une masse de jouissances. Depuis longtemps tout son intérêt est porté à la langue hongroise, à laquelle elle s’applique avec une ardeur incroyable, à laquelle répondent de grands succès dit-on. Je crois que ce séjour en Hongrie lui fait infiniment de plaisir : elle paraissait radieuse la veille du départ et cependant on la disait un peu souffrante. Elle est partie fraîche comme une rose – quels vont être ses succès ! ! !
Vendredi 9février 1866.
J’ai voulu attendre pour raconter ce qui va suivre que quelques jours se fussent écoulés afin d’envisager les choses avec le calme nécessaire à la justice. Il y a aujourd’hui 8 jours, le 2 au soir, j’étais dans ma chambre, occupée à me préparer un peu pour la confession que je voulais faire le lendemain, lorsque je remarquai que l’Archiduchesse parlait, demandait beaucoup en faisant ses comptes et je me promis de lui en faire l’observation. Lorsqu’elle vint me chercher pour le souper, je lui demandai si elle avait fait ses devoirs seule ? (comme je le veux, parce qu’après l’avoir étudiée , je sais qu’elle ne se donne la peine de penser que quand elle est tout à fait livrée à elle-même). Elle me répondit : " Non, avec Caroline " . Mais vous savez bien, lui dis-je, que je veux que vous travailliez sans demander et demain vous devrez dire à votre maître que vous avez été aidée, autrement ce ne serait pas honnête. Tout en parlant nous arrivâmes près de mon amie, qui avait tout entendu puisque la porte était ouverte, et qui me dit :"Est-ce que ces devoirs avaient été expliqués à l’Archiduchesse ? J’ai cru que non". Ce à quoi je répondis affirmativement, ajoutant qu’elle ne devait pas être aidée. Je puis assurer que je n’ai pas eu un instant le ton de reproche envers mon amie, que ce n’est qu’à l’enfant que je me suis adressée, et cela sans emportement aucun. Nous soupâmes sans qu’il en fût plus longtemps question. Le lendemain, lorsque Weiser arriva, je priai Caroline qui venait me relever de ma surveillance de prendre un autre siège que le mien parce que je voulais parler au maître. J’expliquai donc à celui-ci comment je désirais qu’il fût avec l’Archiduchesse pendant la leçon, afin qu’elle travaillât sans aide à ses devoirs, puis j’allai me reposer dans ma chambre. Je fis la chose sans aigreur, sans intention de blesser qui que ce fût ; mais simplement parce que je la trouve bonne pour l’Archiduchesse. Quand je reparus, c’était pour le dîner. Je vis à mon amie un air des plus piqués, elle me répondait à peine, ne toucha qu’à sa soupe, en un mot, je la sentis dans un état violent. Cependant ne me trouvant aucun tort et voulant la laisser se calmer, je ne fis semblant de rien, j’allai à la promenade, me confesser comme j’en avais l’intention ; de là je me rendis chez la Ctesse Stadion et ne rentrai que pour le souper . Je vis que la même disposition durait, et voulant éviter une explication qui m’aurait dérangée de mon sujet, je me mis en prières à l’heure où l’Archiduchesse était couchée, je voulais d’ailleurs me reposer pour le lendemain. Dimanche matin, à mon déjeuner , elle vint me trouver, me fit des reproches sanglants sur ce que je ne lui avais pas parlé avant de parler au maître en sa présence (comme si je l’avais accusée de quoi que ce fût), me dit qu’elle ne voulait pas être traitée en petite fille ni pis qu’un domestique, que quant à elle, si elle traitait quelqu’un comme moi je la traite, elle en aurait des remords pour toute sa vie, que je ne lui témoignais aucune confiance, qu’une fille de chambre suffirait pour ce que j’en veux faire, etc..etc…qu’il fallait que cela finisse….J’ai tâché de rester calme, j’y suis parvenue jusqu’à un certain point seulement, car intérieurement j’étais vivement émue ! J’ai déclaré à Caroline que je n’avais nullement eu l’intention de la blesser, que j’avais reconnu la mesure que je prenais pour l’Archiduchesse comme indispensable, que si par là je l’avais offensée, je voyais que je pourrais l’offenser encore bien des fois, parce qu’ayant la responsabilité de la charge, je voulais et devais être libre d’agir et que quand je reconnaîtrais une chose comme nécessaire je me ferais toujours un devoir de l’exécuter sans m’inquiéter des susceptibilités que je pourrais blesser. J’ajoutai que je comprenais toute l’abnégation que réclame sa position, que je l’admirais et savais que je n’en serais jamais capable ; mais que quand on avait dit ja il fallait savoir dire b., que du reste, quant à un changement, elle était assez âgée pour savoir ce qu ‘elle voulait faire, et, là dessus, je descendis, le cœur bien gros, chez l’Archiduchesse Sophie pour reprendre mon élève qui, comme chaque dimanche avait assisté au déjeuner de ses grands parents. Depuis ce jour je suis aussi aimable que je le puis, je croyais aussi l’être avant ! ! !mais la chose n’est pas facile car le fond de son caractère est pourtant très raide…Que nous réserve l’avenir ? Je n’en sais rien ; je remets le tout à la volonté de Dieu. Je suis résolue à faire ce qui dépendra de moi pour vivre en paix ; mais je veux rester libre d’agir comme je l’ai déclaré parce qu’autrement la charge deviendrait impossible.
Mercredi 21 février. 1866
Je me sens le besoin d’écrire quelques lignes aujourd’hui- mon cœur est gros depuis quelques jours, sans que j’aie pour cela une raison particulière. Je l’attribue à un peu plus de malaise que de coutume ; cette nuit j’ai mal dormi, j’étais agitée, j’avais des douleurs partout qui ne m’ont guère quittée encore ; ce n’est pas sans effort que j’écris, tout mon dos me fait mal. J’ai aussi dans les aines des tiraillements comme quand je grandissais, c’est pénible même au lit. Löschner est revenu de Pest ce matin – il avait été appelé pour l’Impératrice qui a beaucoup toussé – il ne m’a pas même demandé comment je vais, ce qui prouve que mon état ne l’intéresse guère, ou qu’il n’y peut rien. C’est donc à Dieu seul qu’il faut que je sache confier mes maux, là je suis sûre de n’ennuyer personne. Je suis persuadée que beaucoup de gens me croient ou malade imaginaire, ou très faible moralement – après tout , je ne m’en inquiète guère . Qui aurait la prétention d’empêcher le prochain de juger, moi-même je me prends souvent à le faire à tort ou à travers.
Lundi 12 mars.
Il y a aujourd’hui 8 jours (le 5 mars), que les Majestés sont revenues de Pest. Je m’attendais à plus de démonstration de la part de l’Impératrice en retrouvant ses enfants – il semble que le retour à Vienne ne lui a causé qu’un très médiocre plaisir. Le mardi soir elle nous a fait appeler tour à tour et nous a offert, à moi une très belle robe d’un lilas tendre, à Caroline un châle blanc brodé de noir. Mais que je serais bien autrement satisfaite, si au lieu de cadeaux, elle montrait un peu plus d’intérêt pour ce qui se passe dans notre Kammer ! Depuis son retour elle n’y est pas montée une seule fois… et je vais la voir de moins en moins puisque samedi soir , elle a décidé que ce sera mieux que nous passions par les corridors pour aller à la promenade et en revenir, que par ses appartements comme précédemment. Je lui ai adressé la question qui lui a fait prendre cette détermination, parce que les dimanches l’Archiduchesse se promène le matin juste à l’heure des audiences et qu’il y a eu hier 8 jours, Caroline, en la conduisant , a trouvé chez elle plusieurs archiduchesses etc…etc…J’ai donc d’abord demandé à l’Impératrice ce qu’elle désirait relativement au dimanche, puis voyant qu’elle acceptait si facilement qu’on passât par les corridors, je me suis aussi informée de ce qu’il y avait à faire pour les autres jours et c’est ainsi que s’est décidé ce nouvel arrangement . Comme je le disais plus haut, il me peine, parce que je voyais déjà l’Impératrice trop rarement et que maintenant je ne la verrai plus que quand il faudra absolument que je lui parle. Nous deviendrons donc de plus en plus étrangères, quand il me semble qu’il aurait été si nécessaire qu’au contraire nous nous rapprochions autant que la distance qui nous sépare le permet. Et du reste, entre une mère et celle qui la remplace, devrait-il exister une si grande séparation ? une si grande distance…
Mardi 10 avril 1866.
Presque un moi que je n’ai écrit ! Comme le temps passe malgré tout…Je suis toujours et toujours souffrante, plus ou moins, mais jamais délivrée de ces douleurs dans les jambes, de cette faiblesse générale qui est si pénible. Grâce à Dieu je dors, et c’est beaucoup, il est vrai, mais le plus souvent, quand je me lève, c’est avec un sentiment de dégoût pour tout ce que m’apportera la journée. Ces jours derniers j’avais à parler à l’Impératrice pour nos arrangements d’été avec MmeSchmidt qui, probablement ira en Angleterre et sans doute y conduira Berty pour l’y laisser quelques mois. Sa Majesté était charmante ce soir là, et m’a demandé quand je comptais partir pour les bains de mer. J’ai répondu que j’attendais la permission de Sa Majesté, et il a été convenu que je serai libre en août et septembre. C’était justement ce que je désirais. Dieu veuille me soutenir jusque là et surtout permettre que l’effet attendu ne soit pas une illusion. L’Impératrice m’a encore assuré que son médecin Fischer a le meilleur espoir, et sur ce que je lui parlais de mes craintes de devenir à charge à cause de mon manque de santé, elle m’a répondu les choses les plus gracieuses . Il est décidé que les petites Altesses passeront l’été à Ischl. J’en suis heureuse pour elles et pour nous. J’espère que ma pauvre Caroline s’y portera mieux que l’année dernière ! Comment ferait-elle sans cela pour supporter les fatigues pendant mon absence ? Ceci m’effraierait fort, si je ne remettais le tout entre les mains de la Providence. La dernière lettre que j’ai reçue de ma mère il y a quelques jours, m’a fortement contrariée. Depuis longtemps Fanny voudrait que je me misse en rapport avec la Ctesse de Guéroult qui, m’écrit-elle, fait de magnifiques homéopathiques. Elle en a monté la tête à maman, et déjà, en automne, j’ai eu à combattre cette idée en leur prouvant que la chose n’était pas faisable dans ma position. A cette époque, maman m’écrivait qu’elle comprenait mes raisons et dans sa dernière lettre elle revient de plus belle à la charge (toujours travaillée par une sœur qui, elle, ne m’en dit mot), et me demande de consulter cette dame si j’ai de l’affection pour elle etc…etc…
J’ai donc répondu que je ne pouvais le faire aussi longtemps que j’étais sous les yeux de Löschner, qu’une fois à Ischl où il ne nous suivra pas, je ne demandais pas mieux que de satisfaire le désir de ma bonne mère, mais que, d’ici là, nous devions avoir patience l’une et l’autre.
L’Archiduchesse enrhumée depuis quelques jours ; la gorge surtout était prise ; Elle n’a eu ni fièvre ni altération ; mais depuis 3 jours il fait une telle chaleur accompagnée de sirocco et de poussière, que la pauvre enfant est retenue à la maison. J’espère que demain nous pourrons la lâcher.
Toni croit commencer une grossesse qui les enchante tous. Caroline veut déjà travailler cet été pour sa future nièce; espérons que tout ira suivant nos désirs.
La Ctesse de Castries, belle-mère de la Bonne Cino (Castries) est ici pour les couches de sa belle-fille. Elle m’a apporté une lettre de Fanny. Je ne l’ai pas trouvée la première fois que j’ai voulu l’en remercier ; mais à la seconde j’ai eu plus de chance. Elle connaît peu ma sœur, si bien que je n’ai pas eu la jouissance de lui en entendre parler beaucoup, ni de m’en entretenir longuement avec elle. Ce qu’il y a de mieux c’est qu’elle emportera mes commissions, un châle pour ma mère une boite de petites bêtises pour ma nièce. Tout cela serait resté là puisque la mort de Wohlmann est cause que sa sœur ne va pas à Paris.
Lundi 16 avril 1866.
Le 12 à 8 heures du matin, l’Archiduchesse a fait sa seconde confession. Elle parle peu de ses impressions, ou pour mieux dire elle ne les communique pas du tout, si bien qu’il difficile de juger quelle est leur profondeur. Le lendemain elle a paru étonnée de la question que je lui ai faite sur sa pénitence. Je lui ai demandé si elle n’avait pas oublié de la faire ? " Non, m’a- t-elle répondu, mais comment savez –vous que j’en ai une ?" Comme elle est toujours sage et docile, je ne remarque pas si elle est fidèle aux résolutions qu’elle a dû prendre ; j’espère qu’elle y pense, qu’elle n’y va pas légèrement, mais je ne puis jusqu’ici m’en assurer.
Hier j’ai fait partir une lettre pour maman dans laquelle je lui parle de ce qui est arrêté pour mes vacances. Comme elle va être heureuse ! Pauvre mère ! Combien je l’aimerais pour compagne pendant que je serai au bord de la mer. Je prie Fanny de s’informer si en Normandie il n’y aurait pas un petit bain, bien, tranquille, où nous pourrions nous réunir. Quels délices ce seraient de passer ainsi le temps… Dieu veuille bénir nos projets et nous préserver de cette malheureuse guerre entre la Prusse et l’Autriche, guerre qui selon toutes probabilités ne s’en tiendrait pas à ces deux puissances. Que de questions diverses agitent l’Europe en ce moment ! !..Les affaires de Rome, jusqu’à quand peuvent-elles rester dans cette indécision ? Le St Père, dit-on, n’a plus d’argent malgré les sacrifices que s’impose la catholicité ; sacrifices qui, je crois, se sont fait plus grandement en France qu’ailleurs ; mais enfin qu’on ne peut continuellement renouveler. Tout cela est sombre, triste, effrayant si nous n'espérions le secours d'en haut...
Je lis en ce moment un délicieux livre, le journal d’Eugénie de Guérin. En le lisant, mes amies ont pensé à moi, non que j’approche de l’héroïne, mais parce que comme moi, elle aimait un frère de toutes les facultés de son âme et que ce frère, Dieu lui en a demandé aussi le sacrifice. Combien je comprends son chagrin, se retrouvant à chaque ligne malgré sa piété d’ange. Cette lecture me va au cœur et me calme, tout en me rapprochant de la plus grande douleur que j’aie éprouvée de ma vie. Comme style, comme simplicité, c’est l’œuvre d’une femme de génie. Que j’eusse béni le ciel de la rencontrer sur mon chemin.
Samedi 5 mai 1866.
Il y a bien bien longtemps que je n’ai écrit. J’aurais pu le faire depuis notre installation ici qui a eu lieu le 28 avril ; mais j’étais si mal en train pour tout que je ne m’en suis pas senti le courage. D’une part ma santé qui s’obstine à ne pas s’améliorer, de l’autre ce changement d’habitude, ont suffi pour me mettre dans cette disposition d’esprit qui est tout ce qu’il y a de plus pénible. Puis on n’entend parler que de guerre, on ne voit que des soldats rappelés sous leurs drapeaux, tout cela dispose grandement à la mélancolie ou, pour mieux dire, à la tristesse. L’agio monte énormément. J’ai eu la bêtise de ne pas changer 600 fl. que j’avais déposés à la banque d’escompte, quand je n’aurais presque rien perdu, si bien qu’hier, en toute hâte, Bayer m’a fait cette affaire. J’ai ce qu’il me faut maintenant, mais à quel prix ! Je le saurai dans quelques jours, ce ne serait pas à moins de 20% de perte, j’en suis bien sûre. Et encore, si j’étais bien certaine de faire ce voyage ! Mais que d’obstacles peuvent s’y opposer si réellement la guerre éclate, soit avec l’Italie, soit avec la Prusse, soit dans les provinces du Danube, si réellement la Russie s’est alliée avec la Prusse et l’Italie, comme les journaux le prétendent maintenant.
Hier j’ai ressenti une joie véritable en lisant la nomination d’Anna Dobrzensky au chapitre du Hradschin. Cet hiver en revoyant cette pauvre fille j’ai si bien compris que son cœur souffrait d’être à la charge de l’une ou de l’autre de ses sœurs et de ne pouvoir rien faire pour sa pauvre mère ! Dieu a bien voulu enfin la tirer de cette position si dure ; aussi suis-je convaincue qu’elle s’en sent bien heureuse. Je lui ai écrit ce matin pour la féliciter.